à Besançon, le 18 septembre 2006

« Au coeur de l’Europe : le Fédéralisme. »

Une tribune d’Yves Lagier (président de l’UEF France)

, par Yves Lagier

« Au coeur de l'Europe : le Fédéralisme. »

Le fédéralisme est au cœur, ou devrait être au cœur de toute réflexion sur l’Europe. On peut affirmer que les fédéralistes sont aujourd’hui les vrais militants européens.

Les JEF s’inscrivent pleinement dans cette démarche, ainsi qu’en témoigne le thème qui nous rassemble : « CONSTRUISONS L’EUROPE FEDERALE AVEC LES CITOYENS ».

Je ne me lamenterai pas sur l’impuissance de l’UE, sur la lente agonie du TCE, sur l’absence de visibilité de l’UE sur la scène internationale (Cf. la crise du Proche Orient), sur son inaptitude à relever les défis posés par la mondialisation. Autant d’évidences que vous connaissez aussi bien que moi.

Militant fédéraliste européen depuis 45 ans, je souhaite simplement transmettre un message. La crise européenne ne trouvera d’issue qu’à travers la voie fédérale. Ce chemin ne concerne pas uniquement les élus mais également tous les citoyens car c’est de leur destin qu’il s’agit. La prochaine élection présidentielle donnera l’occasion à nous autres militants de tous âges de porter le débat sur la place publique.

Je vous propose d’axer mon intervention sur trois thèmes : le fédéralisme, un mode d’organisation institutionnelle et une philosophie du « vivre ensemble » ; la place du fédéralisme dans l’UE ; des modèles pour inspirer l’UE.

Le Fédéralisme, mode d’emploi.

Le fédéralisme n’est pas a priori facile à définir. Il ne saurait être placé au même plan que le libéralisme, le socialisme, la démocratie. La réalité du fédéralisme est d’abord celle d’un certain type d’Etat. Mais elle est également celle d’un certain type de comportement social caractérisé par les valeurs humanistes. Un certain type d’Etat :

Dans l’Etat unitaire (la France par exemple) il n’existe qu’une seule organisation politique et juridique dotée de la plénitude de la souveraineté. Les états unitaires, de par leur histoire, connaissent des structures fortement centralisées. Ainsi en France ont été successivement rattachées au Royaume (ou à l’Empire) la Bretagne (1532), la Franche Comté (1678), la Savoie et le Comté de Nice (1860).Le concept d’unité nationale est la traduction de cette évolution. Les Etats contemporains ont cependant estimé qu’il fallait pratiquer une politique de décentralisation en donnant aux collectivités territoriales une relative autonomie par rapport aux organes centraux(Cf. les lois Defferre en France). Le pouvoir central continue à y disposer d’un droit de regard sur les décisions prises par les collectivités (contrôle de légalité exercé par les préfets).

Dans l’Etat fédéral les collectivités fédérées sont des ETATS à part entière et disposent de certains attributs de la souveraineté : constitution, pouvoir politique, système juridictionnel. Les Etats fédérés sont associés au sein d’un ensemble qui se superpose à eux. La Fédération assure les intérêts supérieurs que sont la diplomatie, la défense, les finances, l’économie donc la monnaie.

Ce modèle a été inventé en 1787 par la Convention de Philadelphie, sur l’initiative de Hamilton, qui a donné naissance aux Etats Unis d’Amérique.

Le fédéralisme n’est rien d’autre que la délégation de souveraineté dans quelques domaines. Nous militons afin que tout ou partie de l’UE se transforme en une FEDERATION D’ETATS ET DE CITOYENS. Nous ne prônons pas la disparition de la France mais tout simplement la mise en commun de moyens indispensables pour assurer notre existence et l’amélioration de nos conditions de vie.

Le fédéralisme est aussi un certain type de comportement social, privilégiant la participation des citoyens aux décisions les concernant, la coopération entre états fédérés, la recherche du consensus. Le fédéralisme est le gardien de la démocratie, le système le plus respectueux des droits et des libertés des citoyens. C’est l’application concrète du principe de subsidiarité qui consiste à organiser le pouvoir et les responsabilités seulement s’ils ne peuvent pas l’être plus efficacement à un niveau inférieur.

Union européenne et fédéralisme

L’UE n’est pas un Etat fédéral. D’abord elle n’est pas un Etat mais une OPNI, expression de Jacques Delors : Organisation Politique Non Identifiée. Il lui manque des traits élémentaires pour s’identifier à une collectivité étatique. Elle n’a pas de peuple, elle réunit des peuples. Elle n’a pas de territoire ou plutôt les dimensions de celui ci varient en fonction des compétences : Schengen n’est pas Maastricht.Elle n’exerce que les attributions que les états lui ont consenties. Elle partage avec les Etats les attributs du pouvoir.

L’UE n’est pas un ensemble fédéral, tout au plus un club, une association d’Etats. Elle est une structure largement commandée par une philosophie internationaliste - une Confédération, peut être - dans laquelle prime la défense des intérêts strictement nationaux. L’UE se dit attachée au principe de subsidiarité, tout en ayant pour premiers interlocuteurs les gouvernements. CA NE MARCHE PAS ET CA NE PEUT PAS MARCHER.

Le TCE (faut il en parler au présent ou au passé ?) va très légèrement dans le sens d’une esquisse de fédéralisation de l’Europe. Chacun sait qu’il est très mal en point.

Pour ma part je pense que le moment est venu d’inventer un nouveau modèle d’organisation qui tout en étant fédéral ne sera pas la copie de ceux des Etats Unis, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, tous états fédéraux. L’objectif n’est pas de réaliser un état plurinational mais bien de faire naître une nation européenne pluri-étatique.

Les Etats fédéraux ne pas toujours bien vus sur la scène internationale. Ils ébranlent les colonnes du temple, en remettant en question les dogmes de la souveraineté. Ils n’en sont pas moins des réalités institutionnelles que l’on ne saurait ignorer.

Le 19ème siècle avait accoutumé à l’existence des Etats nations : des Etats antagonistes et concurrents.

Pierre Joseph Proudhon, né à Besançon en 1809, a écrit que « le 20ème siècle ouvrira l’ère des fédérations ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans ». Le siècle précédant a montré que les Etats nations étaient dépassés, ayant perdu une part de leurs responsabilités traditionnelles avec les transformations de l’Etat-providence. La mondialisation (globalisation) a accentué ce déclin.

Cherchons à définir ensemble un système donnant à l’UE cohérence afin de remédier à son quadruple échec :

1- Illisibilité de l’UE, résultat de la multiplication des institutions, entassées les unes sur les autres, ayant donné naissance à un monstre institutionnel totalement incompréhensible par les citoyens.

2- Immobilisme de l’UE, conséquence de la politique des petits pas, basée sur la seule sauvegarde des intérêts nationaux.

3- Confusion normative qui conduit à imputer aux institutions européennes la responsabilité des choix politiques des Etats.

4- Déficit démocratique car l’UE s’est construite par accords entre états négociés dans des conférences diplomatiques plus secrètes que publiques.

L’Histoire a montré qu’une Confédération d’Etats liés par des traités n’a que deux issues : soit se transformer en fédération, soit se dissoudre. Alors quelles sources d’inspiration pour le devenir de l’UE ?

Un modèle inédit de Fédéralisme pour l’Europe

Le temps de l’émergence d’un fédéralisme spécifique, typiquement européen est venu : UNE FEDERATION D’ETATS ET DE CITOYENS. Certains souhaiteraient que le fédéralisme suisse nous inspire. La Suisse a mis cinq siécles pour passer de la confédération à la fédération (en 1848) .Ce rythme ne nous convient pas. Existe également un problème de taille : la Suisse ne compte que 8 millions d’habitants.

Tous les Etats de l’Union ne s’accordent pas sur la finalité européenne : la conception de la Grande Bretagne, de la Suède, du Danemark, de certains pays de l’Est de l’Europe n’est pas la nôtre. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la paralysie institutionnelle : PAC, rabais britannique, budget , politique du ’’donnant-donnant’’ (Cf position de l’Autriche concernant la Turquie et la Croatie).

L’UE ne peut se transformer aujourd’hui en une fédération d’Etats et de citoyens pour la seule et bonne raison que nombre de ses membres ne sont pas en position de l’accepter. Le passé nous a donné l’exemple, avec la création de la monnaie unique, que seule une initiative d’un groupe pionnier d’états, agissant en avant-garde , permettra de sortir de l’impasse. Des propositions concrètes existent, notamment celles de Guy Verhofstadt, premier ministre belge (Les Etats Unis d’Europe, éditions Luc Pire, 2006).

Relisons Verhofstadt qui - en exergue - cite Winston Churchill à Zurich en 1946 :

« We must recreate the European Family in a regional structure called, it may be, the United States of Europe. If at first all the States of Europe are not willing or able to join the Union, we must nevertheless proceed to assemble and combine those who will and those who can”.

Le propos reste d’actualité même si la guerre froide a disparu. Que dit Verhofstadt ?

« Si l’Europe désire à l’avenir jouer un rôle sur la scène mondiale, il lui faudra s’intégrer davantage. L’idée des Etats Unis d’Europe est la seule option pour notre continent. La question de la direction politique que doit prendre l’Europe n’a jamais été tranchée ouvertement.

Les gens ne veulent pas moins d’Europe mais une autre Europe. Même si les citoyens européens sont partisans de la poursuite de l’intégration européenne, ils veulent avant tout une Europe forte, qui fonctionne efficacement, une Europe répondant à leurs inquiétudes.

Il reste nécessaire de transformer l’UE en un projet politique intégral et cohérent à même de relever les défis nombreux et inédits qui s’annoncent. Un choix décisif s’impose donc. Faut il opter pour une simple zone de libre échange ou pour une Europe véritablement politique ?

L’Europe ne peut vaincre sa dépression actuelle qu’avec une nouvelle approche et de nouvelles compétences. Nous avons besoin d’un nouveau projet en vertu duquel l’Europe, plutôt que de sombrer dans les ergotages, se concentre sur ses tâches principales, une Europe qui reconnaît dans le même temps l’identité et la spécificité des états membres, une Europe qui dispose d’institutions fortes et d’autonomie budgétaire. Certains Etats ne voient dans l’UE qu’un lien de coopération économique ou, pire encore, un robinet d’argent. »

Je partage totalement ces propos et suis partisan de ne pas attendre que tous les Etats soient disposés à faire un saut qualitatif. Ce serait aussi absurde que d’attendre un train sur une ligne ferroviaire désaffectée.

Le temps est venu de construire une nouvelle Europe qui sera celle des Etats Unis d’Europe, entourés par une Confédération d’Etats, une organisation des Etats européens. L’avant garde constituée par le « noyau dur » sera naturellement ouverte à tout état membre de l’UE qui le souhaiterait. La volonté des peuples de participer ou non à ce projet fédéral devra être validée par les citoyens : le référendum s’impose pour un choix aussi décisif.

Fédération d’états et de citoyens ou dilution dans une zone de libre échange aux contours incertains : telle est l’alternative. A nous militants fédéralistes de mettre le débat sur la place publique pour susciter les réactions : auprès des media, des élus, des relais d’opinion, des partis politiques.

Arrivé dans la dernière partie de mon existence je consacrerai mon temps et mes forces à convaincre du bien fondé d’une avant garde fédérale en lien notamment avec le « Comité d’action pour l’Etat fédéral européen » dont je m’honore d’être un des animateurs en France.

Vos commentaires
  • Le 17 septembre 2006 à 17:34, par ALfredo Pamine En réponse à : « Au coeur de l’Europe : le Fédéralisme. »

    Je partage à plusieurs égards votre vision institutionnelle mais je rejette catégoriquement la proposition suivante : « L’objectif n’est pas de réaliser un état plurinational mais bien de faire naître une nation européenne pluri-étatique. »

    Je doute sérieusement que les penseurs du fédéralisme intégral (Proudhon, Rougemont et consorts) auraient souscrit à un tel objectif. Je trouve votre conception extrêmement inquiétante sur ce point. J’aurais aimé vous conseiller de vous cantonner à une vision hamiltonienne du fédéralisme plutôt que de vous aventurer sur la pente glissante de la nation européenne. Je déplore cette mode actuelle consistant à vouloir trouver un ciment européen dans les attributs de la nation. L’urgence ne justifie pas l’emploi d’un tel expédient. Selon moi, le recours à ce concept de nation n’est que le constat d’un échec : l’incapacité de faire prendre conscience aux citoyens que le modèle fédéral est complexe et que cette complexité est la garante de nos libertés et de notre diversité.

    Par ailleurs, je veux bien admettre que certains états ont une conception minimaliste de l’Union européenne mais il me semble indélicat d’imputer à ces États le blocage institutionnel actuel. Vous connaissez aussi bien que moi la cause directe de la paralysie actuelle. De manière provocatrice, je souhaiterai adhérer à votre proposition d’avant-garde et suggérer aux États ayant ratifié le TCE d’avancer sans les réfractaires, c’est-à-dire sans la France...

  • Le 9 novembre 2009 à 11:35, par Jérôme En réponse à : « Au coeur de l’Europe : le Fédéralisme. »

    Je souscris à 100% à la remarque de Monsieur Alfredo Pamine (voir ci-dessus). Comme je l’exprime en réaction à l’article Souveraineté-Nation-Europe (http://www.taurillon.org/Souverainete-Nation-Europe) votre intention, qui de prime abord se veut de défendre le fédéralisme, semble trahie par une mauvaise compréhension de celui-ci. Le vrai fédéralisme est garant de la liberté (de l’anti-empire-totalitaire) qui respecte les souverainetés et les particularismes. À titre d’exemple, la balance des pouvoirs dans la Confédération canadienne garantit un équilibre certain. Tant le Québec ou l’Aberta, pour ne prendre que ces deux exemples, n’accepteraient de se voir priver de leurs prérogatives d’État. En Suisse, chaque Canton possède sa propre Constitution. Le Canton de Vaud est une République, et non pas un Département. Celui de Neuchâtel est une République. Celui de Genève également. En 1815 Neuchâtel était à la fois Canton suisse et sujet du roi de Prusse (Allemagne). Encore aujourd’hui, un vaudois se sentira plus proche d’un français de Pontarlier que d’un zurichois. Le pouvoir de Berne existe par la seule volonté des Cantons, lesquels se sont alliés pour une cause commune et non pour devenir uniformes (les lois sur les cépages ne seront pas les mêmes au Pays de Neuchâtel que dans le Pays de Vaud). L’Histoire nous a montré qu’un Empire de l’Europe n’est pas une solution pour la paix. Bien au contraire ! Tandis que le respect des souverainetés, oui. En ce sens, le Conseil de l’Europe (CdE) me semble bien plus intéressant car inclusif. Contrairement à d’autres institutions qui se veulent clairement exclusives (« vous êtes dans le cercle ou vous êtes hors du club »). La carotte et le baton. Or, ce qui est garant de paix n’est jamais l’exclusion ou la contrainte, mais bien l’inclusion librement consentie, et la primauté du droit des peuples à rester hors d’un carcan s’ils ne s’y sentent pas respectés (à ce titre, la construction artificielle de la Yougoslavie, suivie de sa destruction, devrait nous servir de leçon).

  • Le 17 décembre 2010 à 15:10, par Jean-Claude RIDOLCE En réponse à : « Au coeur de l’Europe : le Fédéralisme. »

    En tout domaine il faut des symboles forts pour faire avancer les « grands concepts »... mais peu peuvent s’imposer facilement et rapidement.

    Le plus aisément « médiatisable » est, me semble t-il, celui des drapeaux... à commencer par celui qu’arborent nos athlètes européens lors des compétitions internationales, et très singulièrement aux jeux Olympiques.

    Cette double référence parait indispensable pour bien fixer cette relation.

    Ce doit être un objectif... si ce n’est facile, du moins possible.

    On pourrait peut-être commencer par ce petit bout et poursuivre par nos emblèmes nationaux (à l’instar du drapeau Australien qui dans un petit coin fait un rappel de ses liens à l’empire Britannique !)

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