Pologne

Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

Du ghetto de Varsovie au Parlement européen...

, par Jean-Baptiste Mathieu

Bronislaw Geremek : portrait d'un polonais ''européen''

Le Taurillon est triste : Bronislaw Geremek vient de nous quitter. Décédé dimanche 13 juillet 2008 dans un accident de voiture en Pologne, il a été l’un des principaux artisans des transformations démocratiques qui ont précipité la chute du communisme en Europe de l’Est. Voici un article déjà publié dans nos colonnes sur cette figure européenne.

Bronislaw Geremek, historien et homme politique polonais, grande figure morale : voici ici un rapide portrait.

Du ghetto de Varsovie à l’Université

C’est à Varsovie qu’est né Bronislaw Geremek - en mars 1932 - dans une famille juive polonaise originaire des confins orientaux du pays.

Ses jeunes années seront marquées par le second conflit mondial. En effet, en 1943 après avoir vécu une partie de son enfance dans le ghetto de Varsovie il parviendra à le quitter, en compagnie de sa mère. Néanmoins sa famille ne sera pas épargnée par le conflit : ainsi son frère aîné - déporté à Bergen-Belsen - allait en réchapper mais, en revanche, son père allait mourir à Auschwitz.

En 1948, à 16 ans il revient vivre dans sa ville natale, y achève son cycle d’enseignement secondaire et entame des études d’histoire à l’Université de Varsovie. Étudiant il a alors eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises à Paris en 1956, 1957 et 1962 pour y étudier à l’Ecole pratique des hautes études.

De l’historien médiéviste…

C’est ainsi qu’il entamera une brillante carrière universitaire : diplômé de l’université de Varsovie en 1954, et bientôt titulaire d’un doctorat de l’institut d’histoire de l’Académie des sciences polonaises en 1960. Et directeur du « Centre de civilisation polonaise » de l’Université de Paris, entre 1960 et 1965.

Médiéviste, ses recherches vont alors s’orienter dans un domaine peu connu à l’époque : l’étude de la pauvreté, se spécialisant dans l’histoire de la délinquance, de l’exclusion et de la marginalité. Il soutiendra sa thèse en 1972 (sur le thème des marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles : travaux publiés en France en 1976).

Universitaire brillant et polyglotte reconnu ayant entammé sa carrière dans le sillage de Fernand Braudel (la fameuse ’’Ecole des Annales’’ fondée par les Historiens renommés Lucien Febvre et Marc Bloch) et aux côtés de Jacques Le Goff et Georges Duby, ses publications dans ce domaine sociologique et historique vraiment très spécifique allaient faire de lui un spécialiste de réputation mondiale de la civilisation européenne au Moyen Age.

Reconnu dans le monde de la recherche il enseignera dans de nombreuses universités de par le monde, devenant même docteur "honoris causa" de plusieurs d’entre elles. Titulaire de la chaire internationale du collège de France « Histoire sociale : exclusions et solidarités » en 1992-1993, le « Grand prix de la francophonie » lui sera attribué en 2002 pour l’ensemble de son œuvre en langue française.

…à l’homme politique

Le début de son engagement politique se fait tout d’abord dans le cadre du parti ’’communiste’’ PZPR (i. e : « Polska zjednoczona partia robotnicza » ou « Parti ouvrier unifié polonais », parti unique au pouvoir depuis 1948) auquel il avait adhéré en 1950. Mais il quittera cette formation lors des purges antisémites de l’année 1968, à la suite de la répression du printemps de Prague.

Il reviendra à la politique au tout début des années 1980 : dans le cadre de l’opposition démocratique où son implication dans le combat pour la liberté, scellant ainsi l’alliance des intellectuels avec les ouvriers des chantiers navals de Gdansk, lui vaudra d’être l’un des cosignataires des Accords de Gdansk fondant le syndicat libre « Solidarnosc ». Devenu conseiller politique de Lech Walesa, il connaîtra par la suite les prisons du régime communiste (en 1981-1982).

Au moment de la marche vers la démocratisation (et de la fameuse « table ronde » - de février-avril 1989 - qui se tient alors entre les représentants du pouvoir communistes et de l’opposition démocratique) Bronislaw sera présent lors de ces négociations en tant qu’expert de l’opposition démocratique. Ce qui lui vaudra d’être, en 1989, élu au Parlement polonais comme député de sa région de Suwalki (Mazurie).

Un incontestable tropisme européen

Très impliqué dans les questions internationales, président de la commission des affaires étrangères de la Sejm, Bronislaw Geremek sera ministre des affaires étrangères de la Pologne de 1997 à 2000 puis, en 1998, président de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), se prononçant alors pour une adhésion rapide de la Pologne à l’Union européenne.

Modéré de conviction et d’engagement, en juin 2004 c’est à la tête du parti centriste « Union des libertés / Parti démocratique » (i. e : « Unia Wolnosci / Partia Demokratyczna » : UW/PD) - dont il est le leader depuis 2001 - qu’il mènera la campagne des élections européennes, devenant alors député européen, bientôt candidat malheureux au poste de président du parlement européen.

Et c’est dans le cadre du parlement européen qu’il agit aujourd’hui : comme Eurodéputé ALDE et notamment comme membre de la commission des affaires étrangères, des affaires constitutionnelles et de la délégation à la commission de coopération parlementaire « UE-Russie ».

Démocrate et européen exemplaire, Enseignant au Collège de Bruges, cofondateur en 2002 de son équivalent polonais de Natolin (près de Varsovie) Bronislaw Geremek est ainsi l’une des hautes figures intellectuelles et morales de l’actuel Parlement européen.

Et c’est à ce titre qu’il a, en 1998, très justement obtenu le « Prix international Charlemagne », prix annuel décerné par la ville d’Aix la Chapelle à des personnalités remarquables engagées pour l’unification européenne.

Pour précision auprès de nos lecteurs, cet article a déjà été publié le 16 novembre 2006 et le 27 mars 2007.

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie de M. Bronislaw Geremek : document tiré du site de sa formation politique « Unia Wolnosci » www.uw.org.pl.

- A lire :

Une courte biographie de Bronislaw Geremek, sur Wikipédia.

Une biographie de Bronislaw Geremek, sur MSN Encarta.

Sa fiche personnelle de présentation sur le site du Parlement européen.

Vos commentaires
  • Le 13 juillet 2008 à 16:55, par Fabien Cazenave En réponse à : Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

    Bien triste nouvelle...

    Sa mort me fait penser qu’il s’agit d’une information européenne et non d’une information polonaise.

    Bravo M. Geremek, vos yeux pétillants d’envie quand vous parliez d’Europe ont séduit bon nombre d’Européens.

    Encore il y a peu à Lille le 7 mai dernier, votre disponibilité en a touché plus d’un.

    Toutes mes condoléances à votre famille.

  • Le 13 juillet 2008 à 20:51, par Sylvain En réponse à : Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

    Merci Monsieur GEREMEK. Vous êtes un Père de l’EUROPE.

    Condoléances à votre famille.

  • Le 13 juillet 2008 à 21:03, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

    C’est un grand homme que perd l’Europe aujourd’hui.

    Son décès me touche d’autant plus que j’avais eu l’occasion de partager sa table lors de la première université d’été des Jeunes Européens en 1991. Il avait outre son intervention, passé la semaine parmi nous afin d’écouter les autres intervenants.

    Nous avons eu depuis de nombreuses occasions de l’entendre. Son français était excellent.

    Dominique Reynié avait vu en lui, point de vue que j’avais partagé, le profil idéal, en raison de la respectabilité, pour la future présidence du Conseil européen qu’instaurera le traité de Lisbonne une fois entré en vigueur.

  • Le 14 juillet 2008 à 00:52, par KPM En réponse à : Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

    C’est quand ils sont partis qu’on réalise leur importance... cette sagesse s’applique hélas aujourd’hui à ce grand monsieur qu’on pensait peut-être, quelque part, immortel.

    Que Dieu l’accueille dans son infinie miséricorde.

  • Le 13 décembre 2013 à 20:09, par RIERA En réponse à : Bronislaw Geremek : portrait d’un polonais ’’européen’’

    Après avoir questionner des espérantistes polonais sur l’information qu’il ont pu avoir sur l’accident qui a coûté la vie à leur éminent confrère, je dois avouer que je me suis étonné qu’il n’y est pas eu d’enquête judiciaire sur cet accident. GR

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom