Carton rouge à Nicolas Sarkozy pour son programme eurosceptique

, par Michel Gelly

Carton rouge à Nicolas Sarkozy pour son programme eurosceptique
Dessinateur : Frep http://www.crayondenuit.com/

Monsieur Sarkozy, alors que la campagne présidentielle n’avait jusque là fait émerger aucune idée brillante sur le sujet, j’ai remarqué, dans vos propositions récentes, le retour de la thématique européenne. C’est avec regret cependant que je constate les multiples inexactitudes de vos propos et que je déplore leur impact sur le lien déjà ténu entre l’Europe et ses citoyens, en France et au-delà.

C’est la faute à Schengen !

Exit la stratégie franco-allemande, N. Sarkozy l’européen, le nouveau Père Fondateur de l’Europe. Votre meeting à Villepinte le 11 mars fut l’occasion d’une série de propositions eurosceptiques. Présentées savamment aux côtés de citations de Schuman et Monnet, vous nous avez dévoilé votre nouvelle Europe. Une Europe tellement nouvelle qu’elle a été fraîchement accueillie par nos amis voisins.

Il faut dire que votre projet est irréaliste. Renouvelant le parallèle triste entre immigration et criminalité, vous vous en êtes pris à Schengen, manifestement source de tous les maux de l’Union et de la France. Vous déclarez vouloir plus de contrôles aux frontières communes et le droit de fermer les nôtres à tout moment. Et si vos desiderata frontaliers ne sont pas réalisés au bout d’un an, la France se retirera des accords de Schengen. Et tant pis si la libre circulation des personnes a été l’une des avancées les plus palpables de l’intégration européenne pour ses citoyens.

A manier si élégamment l’art de l’ultimatum, le premier tour vous montrera si vous avez su galvaniser les eurosceptiques et les souverainistes de tout poil.

En tout cas, en évoquant une sortie des accords de Schengen, vous avez déjà fait le bonheur des nostalgiques, puisque lesdits Accords n’existent plus… depuis 1997.

Pour sortir de Schengen aujourd’hui, il faut soit sortir de l’UE, soit espérer convaincre 27 autres États membres de réformer les Traités ou alors ne plus respecter le droit européen.

Il n’y a pas de petites économies

Votre retour aux sources souverainistes nous a prouvé qu’elles pouvaient sembler intarissables. L’annonce de votre programme la semaine dernière, agrémentée d’une Lettre au peuple français, nous a prouvé votre incroyable créativité en matière d’eurobashing, notamment budgétaire.

Pour réduire le déficit de la France, votre solution est toute simple : « geler le budget de l’UE ». Cela sonne bien. L’amalgame est rapide. On a tôt fait de croire qu’avec vous, la France arrêtera de payer sa contribution à l’Union européenne, le tout en donnant à la presse des chiffres sur sept ans, qui font plus peur (« le budget européen équivaut à 1000 milliards sur sept ans »). Je vous le dis, Monsieur Sarkozy, votre tentative de dénigrement des institutions européennes et de leur financement est purement détestable. Le budget européen est aujourd’hui très faible. L’Union européenne n’a dépensé en 2011 que 126 milliards d’euros. C’est loin des 800 milliards de dépenses publiques par la France, chaque année, et loin des énormes sommes que représentent aujourd’hui les fonds de sauvetage européens, dont vous ne parlez pas et qui ne bénéficient d’aucun contrôle démocratique.

Le retour de l’Europe-Léviathan

La page 20 de votre « Lettre au peuple français » constitue un parfait manuel d’introduction à l’euroscepticisme ; le chapitre « L’Europe devait nous protéger, elle a aggravé notre exposition à la mondialisation » semble être de la main d’un Geert Wilders sur la fin ou issu d’un tabloïd britannique. Il s’agit ni plus ni moins d’une anthologie Café du commerce des reproches faits à l’Europe. Honnêtement, en sélectionner les meilleurs morceaux à des fins d’illustration pour cet article est difficile, tant chaque phrase a sa place au Walhalla de l’euro-paranoïa.

Grosso modo, si vous en êtes aujourd’hui réduit à formuler des ultimatums virils à cette « Europe coupée des peuples », c’est que vous en avez été la principale victime, jamais l’artisan. « Elle s’est mise à accumuler les normes sans que les pays puissent réagir, divisés qu’ils étaient par un élargissement trop rapide qui les avait mis trop nombreux et trop hétérogènes autour de la table. »

Présenter les États-membres comme des victimes a de quoi faire sourire, tant sous votre mandat ils ont éclipsé les institutions communautaires et dominé la prise de décision.

On est toujours meilleur qu’un autre

Vos dernières propositions auraient presque eu l’air fade si vous ne les aviez pas agrémentées de sauce andalouse. Faisant fi de toute forme de solidarité européenne et de prudence pour le pays à moyen terme, vous avez en effet décider de blesser nos amis espagnols en déclarant que si vous n’étiez pas réélu, la France serait, comme l’Espagne, la proie d’une « crise de confiance ». Le gouvernement espagnol a justement crié au scandale et la zone euro a retenu son souffle, craignant des propos auto-réalisateurs sur les marchés.

Carton rouge pour avoir fragilisé l’Europe

Monsieur Sarkozy, vous obtenez ce carton rouge avec les honneurs. Vos propos fragilisent l’Europe.

Ils la fragilisent en la présentant exclusivement comme une Tour d’Ivoire. Sans tomber dans l’euro-béatitude et en appelant depuis toujours à un véritable contrôle démocratique des décisions européennes, nous regrettons que ce portrait à charge passe volontairement à la trappe le rôle que joue et pourrait jouer le Parlement européen (que vous n’avez pas mentionné une seule fois). Vous ne parlez pas non plus des nouveaux outils comme l’Initiative citoyenne européenne, qui représente une avancée.

Manifestement amnésique, vous omettez également de rappeler que vous avez cautionné et créé une Europe toujours moins transparente, toujours moins démocratique et toujours plus intergouvernementale, notamment dans sa gestion de la crise de l’euro.

Vous fragilisez l’Europe en abusant les Français sur les possibilités d’une Europe à la carte. Sur Schengen, sur la contribution française, vous laissez penser qu’en criant, on obtient ce que l’on veut. Ces postures, habituelles au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, étaient restées inédites en France. C’est franchement regrettable et démagogique, surtout quand on voit comment les derniers gouvernements britanniques et néerlandais sont revenus bredouilles de Bruxelles.

Vous fragilisez l’Europe enfin en froissant nos voisins, l’Allemagne d’abord, l’Espagne ensuite. Vous avez ainsi par là-même contribué à faire penser que, chaque cinq ans, la scène politique française déversera toute sa bile sur l’UE et ses États membres. Cela décrédibilise la campagne présidentielle à l’extérieur comme à l’intérieur et cela menace les liens entretenus avec les gouvernements voisins.

Si votre souhait de réformer l’Europe est aussi réel que vous le prétendez et si les électeurs français vous accordent leur suffrage, nous vous invitons à diriger votre énergie et votre créativité vers les vrais problèmes de l’Union : un déficit démocratique, une absence de gouvernement économique, un budget famélique ainsi qu’une représentation extérieure inopérante.

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