Ce texte si débattu avait été largement remanié par le Parlement européen en février dernier, et devra être soumis à une seconde lecture à l’automne prochain.
Son impact sur le marché intérieur ne fait aucun doute dans la mesure où il a vocation à régir un secteur représentant 70% du PIB européen. Pour y voir enfin plus clair dans ce débat complexe, nous vous proposons ce bref retour sur image...
La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur n’est pas morte, même si sa clé de voûte originelle, le « principe du pays d’origine » [1] (v. ex-art. 16), a été sagement remplacée par le principe historique de la libre prestation de services, figurant depuis 1957 dans le traité de Rome (v. art. 49 al. 1er CE) [2], mais dont l’effectivité optimale n’est pas encore acquise malgré la jurisprudence dynamique de la Cour de justice des Communautés européennes.
Le texte proposé [3] par la Commission européenne le 13 janvier 2004 a donc été entièrement retravaillé, après de nombreux et vifs débats tant au sein des instances communautaires que de la société civile, aboutissant à la proposition modifiée [4] de la Commission du 4 avril 2006.
Établir un nouveau bilan
À la lecture de cette proposition largement rénovée, l’heure est à un nouveau bilan. D’un côté, la réalisation optimale de la libre circulation des services reste fondamentale pour approfondir l’intégration européenne [5] , tant économique - les services représentant 70 % du PIB des Etats membres pour seulement 20 % du commerce intracommunautaire - que politique - dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne de mars 2000 visant à faire de l’économie européenne, la plus compétitive du monde d’ici 2010 [6].
D’un autre côté, l’outil juridique mis au service de cette réalisation doit offrir toutes les garanties d’efficacité, de sécurité juridique et de respect des principes et droits fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, ce qui n’était pas le cas de la première proposition de directive. Il n’est pas question ici de reprendre les critiques tenant avant tout à l’imprécision et à l’ambiguïté technique des dispositions du premier texte, mais bien de montrer que de « bonnes leçons » en ont été tirées.
Tout d’abord, si les objectifs de la proposition de directive sont globalement inchangés, parmi lesquels « réaliser un véritable marché intérieur des services » [7] par l’élimination des entraves tant à la liberté d’établissement qu’à la libre prestation de services, « renforcer les droits des consommateurs » [8] ou encore « établir (...) une coopération administratives effective entre les Etats membres » [9], l’ « avis » [10] donné par la Commission révèle sans ambages qu’elle approuve le changement de cap défendu par la majorité des Européens.
De fait, elle valide l’essentiel des amendements proposés par les euro-députés, qui depuis deux ans se sont attelés à retravailler la proposition de la Commission afin d’obtenir un texte « acceptable » par tous. L’adoption de celui-ci à une large majorité, le 16 février dernier au Parlement européen, aura donc eu un impact indéniable sur la réaction favorable de la Commission.
Un champ d’application clairement précisé
Ainsi, le champ d’application de la directive est réduit et clairement précisé, l’articulation du présent texte avec l’acquis communautaire est explicitement envisagée, et enfin, le « principe du pays d’origine » est mis de côté. Dès la lecture des « considérants » de la proposition modifiée [11], les principaux sujets de discorde nés suite à la première proposition sont corrigés, et le « défi économique » n’est plus le seul fondement de ce texte.
Il s’agit à présent de réaliser l’approfondissement du libre établissement et de la libre prestation de services dans le respect du modèle social européen (v. considérant 3), de l’acquis communautaire (v. notamment considérant 13) et du principe de subsidiarité, c’est-à-dire sans empiéter sur les compétences nationales des Etats membres, en laissant notamment intactes les règles internes de droit administratif, de droit pénal (v. considérant 6 ter ), de droit du travail (v. considérants 6 et 6 ter, et sur le respect de la directive 96/71 CE sur le détachement des travailleurs, considérant 41 bis) ou de droit international privé (v. considérant 45).
Les principales modifications apportées au texte initial
Concernant les principales modifications de fond, c’est d’abord le champ d’application (v. art. 12) de la directive qui est revu, exit les services d’intérêt général (SIG), les services de santé, les services sociaux [12], les services portuaires, ainsi que d’autres secteurs tel que la fiscalité. En outre, pour régler les rapports entre le présent texte et les autres dispositions du droit communautaire (v. art. 3), c’est le principe de la prévalence de l’acquis communautaire qui s’applique.
Ainsi par exemple, les règles de droit international privé, autrefois gravement mises à mal par l’application généralisée du principe du pays d’origine, sont aujourd’hui sauvegardées et continueront à désigner le juge et la loi compétents dans les litiges transfrontières en matière d’établissement et de services.
Ensuite, en matière de libre établissement, les avancées déjà proposées dans la première proposition, sont reprises et délimitées plus clairement : simplification procédurale (v. art. 5) pour les entreprises grâce à la création de guichets uniques (v. art. 6), à l’instauration d’un droit à l’information (v. art. 7), à la mise en place de procédures par voie électronique (v. art. 8), et à l’élaboration d’un régime d’autorisation d’établissement dans l’État d’accueil, interdisant à celui-ci d’imposer à l’entrepreneur un certain nombre d’exigences risquant d’entraver tant l’accès à l’activité que son exercice (v. art. 9 à 15).
Enfin, le très controversé « principe du pays d’origine » est remplacé par une disposition sur la libre prestation de services [13], obligeant l’Etat d’accueil à garantir sur son territoire le libre accès à l’activité de services ainsi que son libre exercice (v. art. 16 §1).
Toute entrave est donc interdite, telle que l’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur le territoire d’accueil..., sauf pour l’Etat d’accueil à justifier d’exigences impérieuses d’intérêt général, sur le modèle de la jurisprudence Cassis de Dijon rendue en matière de marchandises [14], ou à invoquer les exceptions fixées par le traité [15], soit des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
L’utilité de la directive services
Ces dispositions, tant par la place faite à la reconnaissance mutuelle [16], qu’à celle réservée aux dispositions du traité en matière de services, ne sont finalement - et cette fois sans aucun doute - que la fixation, dans un texte de droit dérivé, de la jurisprudence de la Cour de justice.
Dès lors, l’utilité de ce texte sera peut-être discutable pour certains. Toutefois, il a le mérite de raviver l’attention portée au libre établissement et à la libre circulation des services dans la Communauté européenne, d’imposer la mise en place d’une coopération horizontale entre les États membres pour exercer le contrôle des opérateurs.
Et, plus globalement, de montrer que la machine démocratique communautaire ne fonctionne pas si mal, comme en témoigne ce processus décisionnel « contradictoire », tout en rappelant que chaque maillon de la chaîne démocratique communautaire, du Parlement européen au citoyen européen, en passant par le Comité économique et social européen, le Comité des régions ou le Conseil, a un rôle à jouer dans l’analyse du bien-fondé des nouvelles pièces du « puzzle » de la construction européenne.
Notre mot d’ordre est donc clair : « Donnons à la directive services un nouveau départ ! »
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