Etre lobbyiste à Bruxelles, témoignage

, par Laurent Nicolas

Etre lobbyiste à Bruxelles, témoignage

Lobbiyste pour une fédération industrielle à Bruxelles, Elisabeth travaille au plus près des institutions de l’Union européenne. Elle revient sur la nécessité d’être présent à Bruxelles pour peser, auprès de la Commission et d’un Parlement de plus en plus important depuis l’adoption du traité de Lisbonne.

Laurent Nicolas : A quoi sert de déployer des stratégies de lobbying au niveau européen ?

Elisabeth : Tout d’abord, avec le fonctionnement du marché intérieur et le processus d’intégration européenne, il faut bien garder en tête que beaucoup de lois sont décidées au niveau de l’UE avant de s’appliquer ensuite dans les 27, soit de façon directe (comme par exemple avec les Règlements) soit par l’intermédiaire de transposition en droit national (notamment à travers les Directives). Dans ce contexte, une activité de lobbying menée au niveau européen a beaucoup plus d’impact et d’efficacité : plus on agit à la source de la décision, plus grandes sont les chances de réussite.

Ensuite, c’est aussi une question de représentativité. Les professionnels d’un même milieu ont souvent les mêmes problèmes à travers l’Europe. Dans ce cas, pourquoi ne pas s’unir pour parler de ces problèmes et y trouver des solutions en commun ? De plus, comme le dit la devise de la Belgique « l’union fait la force » : s’organiser au niveau international permet de disposer de plus de ressources (intellectuelles, matérielles, financières), d’être plus représentatif et plus crédible aux yeux des institutions.

Laurent Nicolas : Comment êtes vous perçus, et reçus par la Commission européenne ?

Elisabeth : La Commission européenne a pleinement conscience de la valeur et de la nécessité de l’apport des représentants d’intérêts. Chaque fonctionnaire en charge de dossiers souvent techniques et complexes ne peut pas disposer d’une expertise et d’une connaissance d’un marché infaillibles ; les mieux renseignés restent les professionnels du terrain. C’est pourquoi la Commission sollicite en permanence cette expertise, notamment à travers de nombreuses procédures de consultation des stakeholders à tous les stades de l’élaboration d’un texte de loi. Le but étant de rassembler un maximum d’information, venant de points de vue divergents, parfois opposés, avant de prendre une décision.

Cependant, c’est toujours la Commission (et/ou le Parlement et le Conseil, suivant la procédure et le stade d’avancement), en tant que gardienne de l’intérêt commun européen, qui fait la part des choses et qui a le dernier mot. Il n’y a pas de Commission « à la solde » des lobbies.

Laurent Nicolas : Quelles sont les principales différences avec votre travail auprès du Parlement européen ?

Elisabeth : Les deux institutions n’interviennent pas au même moment dans les différentes procédures législatives, leurs rôles sont différents, le travail de lobbying doit donc s’adapter à ces paramètres.

Les responsabilités et les buts ne sont pas les mêmes. Alors que les fonctionnaires de la Commission ont un point de vue global et se penchent sur l’intérêt européen dans son ensemble, un député défend tout d’abord le point de vue de sa propre circonscription selon le prisme de son parti. Un député est aussi une personnalité qui est beaucoup plus sous les feux des projecteurs, il a donc des comptes à rendre de façon bien plus immédiate à travers les électeurs et les médias qui suivent son activité.

Laurent Nicolas : Que pouvez-vous apporter à un député européen pour obtenir son soutien sur un dossier : de l’argent ? une expertise sur le dossier en question ? un week-end aux Maldives ?

Elisabeth : Les clichés ont la peau dure. L’image fausse des pots-de-vin aux fonctionnaires est très loin de la réalité des activités de lobbying. Tout d’abord parce que les règles sont strictes : comme dans toute démocratie qui fonctionne, dans l’Union la corruption est punie par la loi.

Apporter de l’expertise est toujours possible, c’est le corps du métier de lobbyiste. Mais de la même façon que la Commission, un député reste maître de sa propre analyse, de ses conclusions et de ses choix. Plutôt que d’apporter son soutien à un groupe d’intérêts, un député cherche tout d’abord à apporter son soutien aux citoyens de sa circonscription.

Laurent Nicolas : Comment peut-on améliorer la transparence et la confiance dans les actions de lobbying auprès des institutions de l’UE ? Doit-on faire évoluer la législation actuelle vers une régulation plus coercitive ? Doit on créer un registre obligatoire des lobbyistes et de leurs pratiques, comme cela se fait dans certains États américains ou au Québec ?

Elisabeth : Les registres des représentants d’intérêts existent sur le site de la Commission européenne et sur le site du Parlement européen. Il reste facultatif de s’y inscrire. Néanmoins, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le rendre obligatoire : une association ou entreprise qui s’inscrit d’elle-même montre une démarche volontaire de transparence et se différencie dans un sens positif de celles qui ne sont pas inscrites.

D’autre part, il faut noter la particularité des activités de lobbying : il est très important de comprendre qu’il n’y a pas de proportionnalité entre input et output. C’est-à-dire que les résultats en termes d’influence sont tout d’abord difficilement mesurables et que dans tous les cas ils ne sont pas forcément connectés aux ressources qu’on y alloue. Ce n’est pas en investissant trois fois la somme du groupe d’intérêts A que le groupe d’intérêts B aura des analyses trois fois plus pertinentes, des arguments trois fois plus percutants ou trois fois plus d’articles repris dans un texte de loi. En prenant cela en compte, imposer des mesures coercitives de transparence a nettement moins de force et de sens.

Illustration : Réunion

Source : Flickr

Vos commentaires
  • Le 24 février 2010 à 16:43, par judabricot En réponse à : Etre lobbyiste à Bruxelles, témoignage

    Mais où se situe la frontière entre l’influence (saine à mon sens) et la pression ? Comment on évite les dérapages ? Comment déjà, on identifie les dérapages ? Qu’est-ce qu’un comportement de lobbying qui dérape ?

    Il y a un gros vide juridique, un gros manque de régulation à Bruxelles et encore pire en France. J’aimerai bien avoir le sentiment de l’interviewée sur la proposition de Stéphane Desselas de créer un corps de lobbyiste « commis d’office » pour permettre la représentation de tous les intérêts ; une sorte de misison de service public du lobbying... c’est un peu utopique mais c’est intéressant.

  • Le 24 février 2010 à 19:04, par Elisabeth En réponse à : Etre lobbyiste à Bruxelles, témoignage

    Merci pour ton commentaire. Je crois qu’il faut d’abord revenir sur une certaine vision du lobbying.

    Un lobby se crée d’abord parce qu’un pouvoir politique existe. Si un pouvoir réglementaire existe, il y aura des gens pour essayer de plaider leur cause devant lui. Exemple : s’il n’y a pas de Ministère de la Pêche, si l’Etat n’a pas un quelconque pouvoir réglementaire actuel ou en devenir sur le secteur de la pêche, il n’y aura pas de lobby des pêcheurs car ce dernier n’aura personne à influencer (ce serait une perte de temps et d’argent).

    "L’influence", la communication du lobby envers le pouvoir public peut prendre plusieurs formes plus ou moins transparentes. Plus on entrave ce processus normal, nécessaire, naturel (un pouvoir naît donc un lobby naît et commence à l’influencer pour se protéger), moins l’influence se fera de façon transparente, donc plus elle sera coûteuse (par conséquent plus les "petits" acteurs économiques seront hors jeu).

    Conclusion : moins il y aura d’inflation réglementaire, moins il y aura de lobbying ; plus les procédures de policy-making seront transparentes, moins influencer sera coûteux et plus les « petits » seront capables de défendre leur point de vue.

    A propos de l’idée des lobbyistes commis d’office :

    Je me répète (voir dernière question de l’interview) : ce qui différencie un lobby d’un autre face aux pouvoirs publics, ce n’est pas son budget, c’est sa crédibilité, son expertise et sa représentativité. S’il ment ou s’il est incapable de fournir des informations fiables et intéressantes, les institutions ne feront plus appel à lui.

    Si l’on met en place des lobbyistes commis d’office, ils ne seront pas assez pointus techniquement dans le domaine qu’ils sont censés représenter, ils ne seront donc pas assez experts pour les pouvoirs publics qui les sollicitent ; ils apparaîtront pour représenter des causes minuscules, donc ils ne seront pas vus comme représentatifs. Si un groupe d’intérêts n’est ni crédible, ni représentatif, son influence sera (à juste titre) très réduite, voire nulle. Et ce ne sera pas un manque d’argent. Ce sera le résultat d’un arbitrage politique qui vient d’au-dessus des fonctionnaires de la Commission.

  • Le 30 mai 2011 à 09:05, par HERBINET En réponse à : Etre lobbyiste à Bruxelles, témoignage

    Pour truisme, les actions d’influence qualifiées de lobbying offrent l’opportunité à des groupes d’intérêts d’élaborer des lois, des normes tout en participant aux décisions des pouvoirs publics. Face à des dérives inacceptables, des initiatives citoyennes prennent vie sous la forme de veilles informatives et citoyennes, d’expertises scientifiques et citoyennes, de préventions des conflits d’intérêts et de protections des lanceurs d’alertes. Au Sénat comme au Parlement, le lobbying pourrait être encadré par un système d’inscription électronique à caractère obligatoire, par la publication des rapports d’activité, par des règles spécifiques et par un code de conduite pour les élus. En adéquation avec le réseau citoyen ETAL - www.Reseau-etal.org - Pierre-Franck Herbinet, Secrétaire Départemental (39) du Mouvement Démocrate, membre de la commission sociale/santé du Mouvement Européen, soutient l’appel citoyen au sujet de l’encadrement et de la transparence des actions de lobbying en direction des pouvoirs publics.

    Comme Stéphane Hessel, il est urgent de s’indigner avec une conscience citoyenne. « Aux actes citoyens ! »

    Pierre-Franck Herbinet

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