Fillon III : Wauquiez sera-t-il le vilain canard européen du gouvernement ?

, par Marc-Antoine Coursaget

Fillon III : Wauquiez sera-t-il le vilain canard européen du gouvernement ?

Avec une présence gaulliste toujours aussi forte, le troisième gouvernement composé par François Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy ne laisse que peu d’espoirs vers une ouverture plus en faveur de l’Europe. Pour Fillon comme pour Sarkozy, l’UE se résume en effet au couple franco-allemand. Au moins peut-on se féliciter du départ de Kouchner et Lellouche, et de l’arrivée de Laurent Wauquiez aux Affaires européennes. Ce dernier peut difficilement faire moins dans un cas, ou pire dans l’autre.

Sarkozy comme Fillon : une seule vision de l’UE, faite pour servir les intérêts franco-allemands.

« En Europe, il y a 2 pays qui tiennent le système : l’Allemagne et la France. Je ferai tout pour qu’il en reste ainsi  ». Tout est dit en deux phrases, par le Président Sarkozy dont la politique européenne se résume en un mot : le "merkozisme". Et si le gaulliste social François Fillon sort renforcé du renouvellement gouvernemental, ce n’est pas lui qui va changer la donne. Il y a peu encore, les rumeurs bruxelloises l’envisageaient pourtant Président de la Commission.

Père de cinq enfants marié à une britannique, donnant l’image d’un travailleur discret et chevronné, le Premier ministre reconduit présente certes de grandes qualités, mais il ne fait entrer la construction communautaire dans son discours que pour la diluer dans l’intergouvernementalisme : « ma conviction, c’est que le XXIe siècle va devoir compter avec l’Europe », disait-il à Tokyo cette année. Ces élans verbaux ne se retrouvent malheureusement jamais dans les actes, et Fillon ne promeut l’UE que parce qu’il estime l’Europe politique impossible dans le contexte actuel. Quel que soit le rapport de force entre le Président et son Premier ministre, l’Union européenne se résume pour tous deux à la France et l’Allemagne réconciliées, une grande victoire certes, mais vieille de 60 ans. Quitte à s’approprier les succès des générations précédentes, ils pourraient mentionner Konrad Adenauer et Robert Schuman, Jean Monnet, et le discours du salon de l’Horloge.

L’amitié franco-allemande a longtemps servi de moteur pour l’Union, en témoignent les couples VGE-Schmidt et Kohl-Mitterrand. Mais le "merkozisme", c’est la France et l’Allemagne décidant à deux dans le dos de l’Europe. Et l’inertie gouvernementale traduit bien la tendance.

Un vrai soulagement tout de même, face au départ du tandem Kouchner-Lellouche

Bernard Kouchner, le French doctor, ancien eurodéputé, ex-administrateur des Nations Unies au Kosovo, et le premier Ministre des Affaires étrangères et européennes, est parvenu à décevoir autant qu’il avait promis. L’Europe sera « notre détermination première, notre première urgence », affirmait-il avec emphase, lors de son discours d’investiture. Trois ans plus tard, qu’en reste-t-il ? Pieds et poings liés par l’Elysée, Kouchner n’a même pas tenté d’infléchir la politique européenne de Sarkozy. Jean Quatremer décrit un ministre désengagé, fuyant Bruxelles et ses journalistes pour ne pas assumer son incompétence face aux questions européennes.

L’ex-secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Pierre Lellouche ne sera pas non plus regretté à Bruxelles. Ce pro-Bush favorable à la guerre en Irak a marqué la fin de son mandat par un certain nombre de dérapages europhobes. S’estimant le ministre d’un pays ayant dit « non à l’Europe », l’altercation avec Viviane Reding au sujet des Roms l’a conduit à contester les compétences et la légitimité de la Commission européenne. Les déclarations de l’ancien député, auteur du « il n’y a qu’à les stériliser ! » au sujet des homosexuels (lors d’un débat à l’Assemblée nationale), ne manqueront décidément pas à l’UE.

En termes de déclarations europhobes, on peut sans doute compter sur Mariani pour le remplacer. Jusqu’à la semaine dernière Vice-président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, ce tenant du recours aux tests ADN et de l’autorisation aux statistiques raciales va devoir gérer le dossier difficile de la libéralisation ferroviaire. Ce choix n’est bien sûr pas anodin. Après le thème de la libéralisation postale, celui de la libéralisation ferroviaire est porteur d’énormes tensions particulièrement en France, qui apporteront leur lot de critiques europhobes. On peut compter sur Mariani pour les canaliser : il est à la tête d’un « collectif pour une droite populaire » qui, comme exprimé dans sa charte, « croit en la Nation, seul cercle d’appartenance à la fois à l’échelle de l’homme et à l’échelle du monde  ».

L’également très polémique dossier des OGM sera géré par la nouvelle génération montante de l’UMP, conjointement par Bruno Le Maire reconduit à l’agriculture, et Nathalie Kosciusko-Morizet à l’environnement. Ce thème sulfureux n’est pas non plus pour redorer le blason européen auprès des citoyens. On peut simplement espérer qu’ils ne s’en remettront pas à "Bruxelles" à chaque montée de la contestation, comme leurs aînés en ont pris l’habitude.

Quelques signaux positifs : les déclarations de Juppé et la nomination de Wauquiez

Invité samedi 13 Novembre à l’Université d’Automne du Mouvement Européen-France, Alain Juppé s’est exprimé sur l’Europe, quelques heures après l’annonce sur France Info de sa nomination au sein du prochain gouvernement. N’hésitant pas à critiquer l’accord franco-britannique de défense qui tient les autres Etats-membres hors du coup, il a également plaidé en faveur du « fédéralisme budgétaire », selon ses propres termes. Mais avec Nicolas Sarkozy et la gaulliste Michèle Alliot-Marie aux Affaires étrangères et européennes, on peut cependant s’interroger sur sa marge de manœuvre en faveur de l’Europe.

Fondatrice du Chêne et pour "un gaullisme du renouveau", MAM devient la première femme Ministre des Affaires étrangères et européennes, après avoir été la première femme Ministre de la Défense, et la première femme Ministre de l’Intérieur. Sans doute peu encline aux élans fédéralistes mais consciente des menaces représentées par les coupes de budget dans la défense, elle a su voir dans la construction d’une défense européenne crédible l’avenir de l’armée française.

Mais la principale – la seule ? – bonne nouvelle européenne de ce gouvernement, c’est peut-être la nomination de Laurent Wauquiez aux Affaires européennes. D’abord il n’a pas été nommé secrétaire d’Etat, comme on l’attendait, mais ministre délégué. Ensuite, après Lellouche à Bruxelles il devra certes recoller les morceaux, mais bénéficiera également de sa réputation – à vérifier – d’européen convaincu.

Des espoirs sont soulevés par ce normalien, agrégé d’histoire et major de l’ENA. Espoirs à mesurer cependant face au turnover imposé à la fonction : en trois ans, Laurent Wauquiez est le 4ème à occuper le poste, et probablement pas le dernier. Par ailleurs, d’autres pro-européens affichés ont déçu avant lui. Sa réponse à la lettre ouverte des Jeunes Européens-France sera un signal éclairant.

Espérons que le remaniement "complètement révolutionnaire" dont parle Christine Lagarde ne sera pas, comme elle l’entend avec humour, un retour à la case départ.

Illustration : Francois Fillon aux cérémonies du 11 Novembre

Source : Remi Jouan

Vos commentaires
  • Le 17 novembre 2010 à 19:08, par François Guillamo En réponse à : Fillon III : Wauquiez sera-t-il le vilain canard européen du gouvernement ?

    Cet article est très bien, je voudrais juste apporter une petite précision. Lors de l’Université d’Automne du Mouvement Européen France, Alain Juppé s’est au contraire réjouit de l’accord Franco-Anglais, tout en espérant que cette mesure bilatérale se transmute en une véritable politique européenne de défense. Il est temps de donner une véritable impulsion à l’Europe, j’espère que Laurent Wauquiez répondra à cette attente, même s’il faut rester réaliste. Tant que le Chef du Gouvernement et a fortiori le Président de la République n’afficheront pas d’avantage cette volonté, l’Europe politique sera condamnée à avancer tel un escargot, sans passionner ooutre mesure les citoyens et sans donner de véritables gages de puissance et de stabilité.

  • Le 19 novembre 2010 à 17:27, par Namtab En réponse à : Fillon III : Wauquiez sera-t-il le vilain canard européen du gouvernement ?

    belle photo :-))

  • Le 21 novembre 2010 à 19:28, par Fabien Cazenave En réponse à : Fillon III : Wauquiez sera-t-il le vilain canard européen du gouvernement ?

    Euh, Alain Juppé n’a pas du tout dit ça à propos de l’Europe de la défense : voir mon blog à ce sujet

    Il a clairement dit que cela menait sur une voie divergente que celle d’une Europe de la défense. D’ailleurs son assistante ne m’a pas contre-dit quand je lui en ai parlé... Bref, mieux vaut Alain Juppé qu’un autre cepandant ;-)

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