Flottements de la politique européenne en Géorgie

, par Sébastien Pierret

Flottements de la politique européenne en Géorgie

L’Union européenne est présente dans le Caucase du Sud depuis le début des années 1990. La Communauté européenne à l’époque met sur pied des programmes d’aide internationale pour les Etats nouvellement indépendants. Mais c’est en 2003 que l’UE se lance dans une vaste politique à l’adresse de ses voisins immédiats : la Politique européenne de voisinage (PEV). Rapidement, cette politique inclut la Géorgie.

L’objectif est de créer une zone de stabilité aux portes de l’UE et d’entourer l’Union d’une ceinture d’Etats démocratiques et bien gouvernés. Malgré les nombreuses adaptations réalisées, la PEV peine à fournir des résultats probants et continue de souffrir d’un manque de cohérence et de consistance.

Pourtant, lors des précédents conflits qui avaient opposés les autorités géorgiennes aux deux républiques sécessionnistes, l’UE n’avait guère réagi. Avant 2008, sa stratégie en Géorgie s’apparentait au jeu du chat et de la souris. Elle s’abstient de participer à la surveillance de la frontière, qui aurait pu la mettre en contact avec la Russie. Lorsque cette dernière bloque le renouvellement de la mission de l’OSCE en Géorgie, elle crée un instrument d’évaluation des incidents. Cependant, elle n’y recourt pas avant l’éclatement du conflit en 2008. Pourtant, le président Saakachvili avait expressément demandé à l’UE d’envoyer des troupes de police, mais les Européens ne saisissent pas l’occasion. Rompant avec cette politique, la réaction rapide de l’UE en août 2008 contraste avec sa faible implication d’antan. Une fois les hostilités déclenchées, l’UE décide d’intervenir via la médiation orchestrée par le Président français. Celui-ci parvient à obtenir un cessez-le-feu en six points. L’un d’entre eux prévoit le déploiement d’une mission civile d’observation dont le plus grand mérite est certainement d’avoir permis d’internationaliser le conflit. 

Malgré ses bonnes intentions, cette mission d’observation baptisée EUMM (EU Monitoring Mission in Georgia) souffre de sérieuses limites. Depuis son déploiement en octobre 2008, elle ne peut pénétrer dans les territoires d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Les autorités russes, en totale contradiction avec l’accord en six points qu’elles ont signé, en refusent l’accès. Autant dire que dans ces conditions, la dernière opération multinationale sur le terrain ne peut remplir son mandat que partiellement. Et de relever ce paradoxe : en ne patrouillant qu’en dehors des entités séparatistes, l’EUMM contribue à légitimer des frontières administratives que l’UE ne reconnait pourtant pas. Les rapports ne relatent donc que la situation prévalant dans les territoires géorgiens contrôlés par Tbilissi. Même si la situation reste tendue et imprévisible, on dénombre peu d’incidents graves depuis l’arrivée de l’EUMM. 

N’en reste pas moins que pour le développement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), l’EUMM constitue un beau pas en avant. Alors que la mise en route de ce type d’opération provoque régulièrement des dissensions entre Etats-membres et nécessite un long temps de préparation, l’EUMM vient contredire ce constat. Il faut dire que les enjeux énergétiques concernent tout le monde. De plus, deux éléments permettent d’attribuer un caractère tout à fait européen à cette opération : d’abord le consensus sur l’importance de la sécurité énergétique, ensuite la flexibilité de la PESD grâce à laquelle une formule opérationnelle acceptable par l’ensemble des parties concernées a pu être trouvée.

La Géorgie a sur son territoire deux voies de passage énergétique capitales pour l’UE. Un gazoduc Baku-Tbilissi-Erzurum et un oléoduc reliant Baku, Tbilissi et Ceylan. Dans cette perspective, la mission de l’UE en Géorgie s’assimile à un instrument de gestion de crise complémentaire à l’action extérieure de l’UE. Les intérêts sont à ce point vitaux que vingt-six des vingt-sept Etats membres participent à l’opération.

Ensuite, c’est bien le caractère flexible de la PESD qui a permis à l’EUMM de naitre, renforçant par là la cohésion et la crédibilité de l’UE dans le dossier géorgien. Il ne s’agit pas d’une mission militaire, mais bien d’une mission civile. Les Etats membres sont plus enclins à s’investir dans ce second type de mission où les risques opérationnels et politiques sont moins lourds à se répartir. L’aspect consensuel de cet instrument en constitue son principal intérêt.

En définitive, l’UE a demandé de remettre le rapport de force sur la question de la norme plutôt que sur celui des armées. En cela, elle se différencie fondamentalement de la Russie, voire même des Etats-Unis qui ont paru étrangement absent du conflit d’août 2008. Ce « soft power » montre cependant ses limites, la Russie n’hésitant pas à bafouer ses propres engagements sans susciter de réelles réactions européennes.

Illustration : Ces observateurs européens surveillent l’application de l’accord de cessez-le-feu conclu par N. Sarkozy (alors président du Conseil de l’UE) et D. Medvedev, président russe, après le conflit d’août 2008. Ils patrouillent le long de la ligne de démarcation entre la Géorgie et sa province séparatiste d’Ossétie du Sud. Ils ne peuvent toutefois pas la dépasser, les autorités russes leur refusent toujours l’accès aux provinces sécessionnistes. Photographie de Marie Frenay (tous droits réservés)

Pax Christi Wallonie-Bruxelles est une association qui vise à susciter l’analyse critique de la société par les citoyens dans une optique de promotion de la paix et de la non-violence. Un voyage a ainsi été organisé en Géorgie en septembre 2009 pour étudier les conséquences du conflit sud-ossète.

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