L’Empire européen, les individus et la démocratie

, par Nouvelle-Europe, Philippe Perchoc

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L'Empire européen, les individus et la démocratie

Les débats sur la démocratisation de l’Union européenne sont toujours puissants. Au sommet d’Amsterdam, Lionel Jospin, à qui on faisait remarquer qu’il faudrait tenter de trouver les moyens de combler le déficit démocratique, répondait « d’accord, si l’on enlève le »cit« pour parler du »défi démocratique". Or, il est possible de penser cette question à partir du caractère impérial de l’Europe.

La question fondamentale qui reste posée, c’est celle du rapport entre l’Empire européen, les individus et la démocratie. Pour cela, il convient tout d’abord de revenir sur la dimension impériale de l’Europe. En effet, cette dernière peut paraître paradoxale. Pourtant, les deux éléments impériaux principaux sont présents, à savoir la dimension et le fait de regrouper de nombreux peuples.

L’Union européenne couvre aujourd’hui un espace qu’aucun empire dans son histoire n’a jamais rêvé dominer. Ni l’Empire romain, modèle de tous les autres, ni celui de Charlemagne, ni même celui de Napoléon ou d’Hitler n’ont atteint les dimensions de l’Union européenne à 27. Cela implique que cette entité - sans qu’on puisse parler d’État - englobe un nombre très important de peuples très différents. Des Français aux Grecs, des Portugais aux Estoniens et des Bretons aux Lives (petit peuple finno-ougrien de Lettonie), non seulement les peuples « titulaires » d’États européens, mais aussi une multitude de petits peuples régionaux.

La particularité de cet empire, c’est qu’il est un empire sans empereur. Même si on le rapproche du Saint Empire romain germanique dont les princes électeurs choisissaient l’Empereur parmi eux comme les membres du Conseil Européen (regroupant les chefs d’États et de gouvernement de l’UE) choisissent depuis le Traité de Lisbonne le Président permanent du Conseil européen. L’Europe n’est pas incarnée dans une seule figure, elle ressemble plus à l’Empire romain du temps de Dioclétien, dans lequel quatre empereurs partageaient la tâche de gouverner.

Néanmoins, si l’Europe ressemble un peu à un empire (certes un empire faible), elle en partage une autre caractéristique. Comme l’a souligné Anne-Marie Le Gloannec, les empires peuvent être proches de l’État de droit (comme l’empire austro-hongrois) et protéger les droits des individus, ils sont rarement démocratiques. En effet, nous n’avons aucun exemple d’empire démocratique. L’Empire romain a donné la citoyenneté à tous les hommes libres au IIIe siècle, le Hongrois de l’Empire des Habsbourgs pouvait faire valoir ses droits devant les tribunaux, mais aucun ne pouvait exercer de droits véritablement démocratiques au sens où nous les connaissons.

Car ces derniers sont associés historiquement au modèle de l’État nation, même si cela ne veut pas dire que cette liaison soit définitive. Les empires tendent à garantir les droits politiques de leurs parties constituantes, mais pas ceux de leurs sujets. En effet, il leur manque le sentiment qui dans les États nationaux fait de l’autre son « alter-égo », celui à qui on accepte de transférer de ses revenus par les politiques sociales, celui pour qui on peut mourir à la guerre et donc celui qui peut légitimement nous représenter. Mais les États ont mis trois siècles à développer ce sentiment, à travers l’école et la conscription. L’UE n’a que 60 ans, ni armée, ni contrôle des programmes scolaires. Pourtant, elle a fait de grands progrès dans la voie de la démocratisation, notamment à travers l’augmentation des pouvoirs du Parlement européen. Son vivre-ensemble est encore en construction.

Nouvelle Europe est un groupe de réflexion sur l’Europe élargie et son voisinage. Le projet, né en 2004, est aujourd’hui porté par 25 jeunes Européens de 10 nationalités vivant dans 6 pays différents. Professionnels, jeunes chercheurs ou étudiants, ils se sont réunis autour de l’idée que la réunification européenne est encore devant nous.

photo : Ravenne, Saint-Vital, Justinien et sa suite, par antiquité tardive, sur flickr

Vos commentaires
  • Le 17 avril 2011 à 16:43, par Ronan En réponse à : L’Empire européen, les individus et la démocratie

    Ci-dessus, l’Empereur romain d’Orient Justinien (un Empereur chrétien du VIe siècle de notre ère) réquisitionné pour les besoins de la cause.

    Où l’on dépasse le cadre étroit de la seule Europe "géographique" conventionnelle.

    Il est chrétien (plutôt que païen adorant les "vrais dieux" d’autrefois...), il parle sans doute plus grec que latin, mais on peut toujours ressortir du placard à archives les belles citations classiques de la vieille mystique impériale d’autrefois : “His ego nec metas rerum nec tempora pono / imperium sine fine dedi"

    i.e : "A la puissance (des romains) je ne place de frontière ni dans l’espace, ni dans le temps : je leur ai donné un Empire sans fin" (sic, Jupiter à Enée : in "Aeneid" de Virgile, Livre I, 278-279).

    Tout un programme...

  • Le 18 avril 2011 à 08:05, par HERBINET En réponse à : L’Empire européen, les individus et la démocratie

    L’intelligentsia est une caste codée, laquelle par la jubilation des pouvoirs, intrigue. Intriguant ! Intriguée ? N’ayant de cesse de transformer politiquement la société, l’intelligentsia se caractérise par un fort développement culturel, par la médiatisation et par sa proximité avec les élus de la République. Faisant fi des systèmes philosophiques traditionnels, des femmes cultivées et des hommes éclairés coordonnent des analyses fines pour inventer les paradigmes des temps futurs. Souvent décrié, « l’honnête homme » est fier de son influence en coulisse, conseille le décideur dans les salons luxueux, oubliant les sarcasmes étiquetés « Le Marquis de Sade » ou le fameux « luxe, calme et volupté ». Des conférences parisiennes rue Guillaume ou des cabinets cossus de la rue Monceau sans oublier les plages du débarquement, ultime lieu de mémoire de la lutte pour une Europe de la paix, le mythe de l’inaccessible fait rêver les foules. Par exemple, l’anticipation, la prévention et l’accompagnement des mutations économiques, sociales, écologiques et sociétales sont nées sous l’impulsion des classes créatives. Si Pierre-Franck Herbinet se saisit d’éclaircir ce point sociologique, c’est autant par devoir de transparence et par information citoyenne. Osez suspendre les temps futurs. Membre de la commission social-santé du Mouvement Européen, Secrétaire Départemental du Mouvement Démocrate Jura, ancien cacique de Terre Démocrate, Pierre-Franck Herbinet suggère que « l’homo europeanus » a un besoin accru de libertés. L’Europe devrait s’orienter sur une dynamique libérale, sur une fluidité de l’information, sur une osmose des comportements. Si les libertés individuelles des citoyens européens sont développées, le fonctionnement démocratique de l’Union européenne en sera plus efficace. Par exemple, le Parlement européen exprime la volonté démocratique de 500 millions de citoyens et il représente leurs intérêts dans le dialogue avec les différentes institutions européennes. Le Parlement est le bras législatif de l’Union, élu au suffrage universel direct, dont les sessions plénières se déroulent à Strasbourg tandis que les réunions des commissions ont lieu à Bruxelles. europarl.europa.eu

    Pierre-Franck Herbinet

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