L’ICE, ou la démocratie directe transnationale devenant réalité

, par Sylvia-Yvonne Kaufman, Traduit par Jean-Francis Billion

L'ICE, ou la démocratie directe transnationale devenant réalité
Giuseppe Pellizza da Volpedo, « Il quarto stato », 1901

Le 1er avril 2012, l’Europe va s’avancer en terre inconnue : à dater de ce jour là, l’une des plus importantes innovations au sein de l’Union européenne (UE) sera entrée en vigueur et pour la première fois dans l’histoire, la démocratie directe transnationale deviendra une réalité. Quand nous pensons à cet évènement important, il est utile de jeter un coup d’oeil en arrière sur une histoire pavée de difficultés.

Un bref coup d’oeil en arrière : l’ICE, un enfant de la Convention européenne

Une décennie s’est quasiment écoulée depuis que l’idée de l’ICE a été développée au sein de la Convention européenne en 2002-2003. Pour moi, comme pour la grande majorité de mes collègues dans la Convention, il était clair que l’UE avait besoin d’une réforme très complète, une réforme qui finisse par dépasser son déficit démocratique. Les débats se sont donc centrés sur les réformes institutionnelles, spécialement sur le renforcement des pouvoirs du Parlement européen en tant que représentation directe des citoyens européens et sur le fait de donner aux parlements nationaux une meilleure voix au chapitre sur les politiques européennes. Mais, dans le même temps, il était clair que la démocratie en Europe avait plus besoin d’amener les citoyens au centre du jeu politique.

Peu après l’ouverture de la Convention, une première réunion s’est tenue entre quelques parlementaires qui en étaient membres, tels que Alain Lamassoure (PPE-ED, France), Johannes Voggenhuber (Verts-ALE, Autriche), Josep Borell Fonteles (PSE, Espagne), Casper Einem (PSE, Autriche), Jürgen Meyer (PSE, Allemagne) et moi-même plus le IRI Europe Convention Network (réseau d’activistes engagés pour la démocratie directe, réuni par l’Initiative & Referendum Institute, IRI Europe). Cette réunion, le 20 mars 2002, a marqué le début d’un débat intense entre les militants d’ONG et des membres de la première assemblée constitutionnelle dans l’histoire de l’UE afin de développer des idées et des concepts sur comment des éléments de démocratie directe pourraient être introduits dans les traités futurs. C’était loin d’être simple. Il n’y avait pas de prototype existant qui puisse en quelque sorte être pris comme base de référence. Par ailleurs, un regard plus acéré sur la situation et les expériences dans les Etats membres montrait, d’un côté, que les modèles nationaux existants étaient très différents et, de l’autre, qu’une majorité des Etats membres n’avaient aucune règle pour aucun type d’instruments de démocratie directe et, en conséquence, aucune culture politique à cet égard.

Au début de 2003, un groupe de travail informel de militants d’ONG et de membres de la Convention a commencé à discuter de propositions détaillées, devant être présentées à la Convention constitutionnelle. A ce moment, au sein de la Convention tout comme dans la société civile, les débats se concentraient sur la question de savoir si les nouveaux traités proposés par la Convention devraient finalement être adoptés par referendum dans tous les Etats membres, ou par un referendum pan-européen. Il y avait une pression croissante en faveur de l’idée référendaire venue de différentes fractions de nos sociétés, et plus de 120 ONG faisaient activement campagne en ce sens. Aussi différents membres de la Commission commencèrent à présenter des propositions individuelles et le 31 mars 2003, une contribution (Conv. 658/03) en faveur d’un referendum pan-européen sur la Constitution européenne était présenté au Présidium de la Convention. Elle était présentée par Alain Lamassoure et signée de 38 membres de la Convention, membres suppléants et observateurs.

Toutefois, l’idée d’un referendum pan-européen suscitait une forte opposition, venant principalement des gouvernements nationaux et des principales forces politiques. Ils s’y opposaient pour des raisons de principe et basaient leurs arguments sur les difficultés et problèmes légaux. Aussi, en fin de course il n’y eut malheureusement pas de possibilité de convaincre le Presidium de la Convention de soutenir cette proposition.

Mais notre groupe de travail a suivi depuis le début une approche à deux voies. Quand il est devenu clair que l’idée du referendum n’aurait pas de succès, nous avons intensifié notre travail sur une question différente : l’idée de renforcer la démocratie et les droits des citoyens en introduisant un nouvel outil dans les traités, le droit d’initiative des citoyens. Au printemps 2003, le Presidium a publié son premier projet d’un chapitre, « la vie démocratique dans l’Union européenne », qui comprenait également un projet écrit pour un article sur le principe de la démocratie participative. Il y avait toutefois un grand désappointement -malgré la formule de dialogues structurels avec la participation des organisations représentatives et de la société civile, il n’y était aucunement mentionné la démocratie directe.

Après des semaines de débats et lobbying intenses, une proposition du Professeur Jürgen Meyer est finalement sortie du lot. La proposition (Conv. 724 / 03) était entièrement centrée sur le thème de l’initiative des citoyens et basée sur l’approche d’égaliser le rôle des citoyens, en ce qui concerne le fait d’influencer la Commission européenne, avec les droits d’initiative du Parlement et du Conseil. Environ 70 membres ou membres suppléants de la Convention l’ont soutenue. Avec les efforts communs des parlementaires européens et des membres des parlements nationaux présents dans la Convention, nous avons réussi à briser les dernières résistances au sein du Presidium de la Convention : à la veille de sa dernière session, le droit d’initiative des citoyens a été inclus dans le projet de traité constitutionnel, donnant pour la toute première fois dans l’histoire aux citoyens un outil pour la démocratie directe au niveau transnational. Avec l’adoption d’une demande clé de nombreuses personnes et ONG, la Convention a ouvert une fenêtre vers un agenda transnational fixé par le bas.

Cette proposition a bâti le socle pour le texte final dans le projet de traité constitutionnel, présenté par le Président de la Convention Valéry Giscard d’Estaing le 13 juin. « Un nombre significatif de citoyens, au moins un million, venant d’un nombre significatif d’Etats membres, peut inviter la Commission à soumettre une proposition appropriée sur des sujets pour lesquels les citoyens considèrent qu’un acte légal de l’Union est nécessaire dans le but de mettre en pratique sa Constitution. Une loi européenne devra déterminer les dispositions concernant les procédures et conditions spécifiques exigées pour une telle demande des citoyens » (Art. I-46, p. 4). Comme pour de nombreux autres éléments prometteurs dans le projet de traité constitutionnel de la Convention, tels que l’incorporation de la Charte des droits fondamentaux, le droit d’Initiative européenne des citoyens symbolisait un saut au-delà de l’Union européenne « de papa ».

Mais après l’adoption du « Traité établissant l’Union européenne » par les Chefs d’Etat et de gouvernements à Rome le 29 octobre 2004, le processus de ratification a échoué avec les votes non en France et en Hollande en 2005. Des efforts extraordinaires ont été nécessaires pour sauver la substance du Traité constitutionnel et trois autres années ont été nécessaires avant que l’ICE (maintenant Art 11- 4 du Traité d’Union européenne) ne revienne dans le focus du débat politique. C’est, sans surprise, la Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen (AFCO) qui a pris le leadership durant l’été 2008. Bien qu’étant encore confrontée au processus de ratification inachevé du Traité de Lisbonne, elle a insisté pour le lancement rapide d’un débat large et détaillé sur la mise en place de l’ICE. L’intention principale d’une majorité de parlementaires était de donner aux citoyens un signal politique avant les élections européennes de juin 2009, à savoir que c’est le Parlement européen qui est l’institution préparant la voie à une législation simple et aisée sur l’ICE et qui, dans l’intérêt des gens, se démène pour qu’elle soit mise en pratique le plus tôt possible.

Avec l’adoption de mon rapport sur l’ICE en mai 2009, le Parlement a réellement préparé le terrain à ce sujet. Ainsi, il a défini la formule du Traité de Lisbonne « un nombre significatif d’Etats membres » comme un quart, ou sept Etats membres ; il a appelé la Commission à recevoir les organisateurs d’une ICE afin de leur permettre de définir en détail les sujets soulevés par une ICE couronnée de succès avec plus d’un million de signatures ; et il a demandé des auditions publiques pour les organisateurs d’une ICE couronnée de succès. En 2010, grâce à l’excellent travail des co-rapporteurs, Zina Gurmai (S & D, Hongrie) et Alain Lamassoure (PPE, France) ; il a été possible d’inclure ces points essentiels dans le règlement et d’abandonner, par exemple, la proposition bureaucratique originelle de la Commission de vérifier l’admissibilité d’une ICE après que seulement 300.000 signatures aient été collectées. Ainsi, c’est une nouvelle fois le Parlement qui a prouvé être à nouveau le garant des intentions de la Convention constitutionnelle.

Tournés vers l’avenir : faisons de l’ICE une histoire à succès

Avec l’approbation du règlement de l’ICE par le Parlement et le Conseil au début de 2011, il y a maintenant environ un an de délai pour les citoyens et pour la société civile organisée pour discuter et considérer comment utiliser ce nouvel instrument. Comme nous le savons tous, dans un grand nombre de forces politiques différentes et d’ONG, le débat a déjà commencé. Et qui d’autre, sinon nous-même, les Fédéralistes européens, devrions examiner l’opportunité de lancer également une ICE ou, à tout le moins, d’en soutenir une ?

De mon point de vue, les Fédéralistes européens ont une grande responsabilité pour que l’ICE devienne une histoire à succès. Nous devons, en tant que fédéralistes, faire notre maximum afin que les gens en Europe sentent et voient que leurs souhaits et leurs idées sont prises sérieusement en compte pas les institutions européennes ; que l’Europe n’est pas un projet pour les élites, et que la volonté politique de bâtir l’Europe avec les citoyens existe. Une chose est sûre : si les premiers projets d’ICE ne sont pas des succès, cela créera un extraordinaire dommage pour la démocratie.

Le déclin régulier de la participation aux élections européennes et la participation extrêmement faible à celles de 2009 étaient déjà alarmants. Mais en jetant un regard sur les sondages récents en Allemagne, par exemple, l’on peut s’alarmer encore plus. Les chiffres d’un sondage d’opinion représentatif parus le 26 janvier 2011, sur le Frankfurter Allegemeine Zeitung montre qu’en Allemagne le soutien envers l’UE décline de manière dramatique. A la question, « Pensez vous que l’Europe soit notre avenir ? », seuls 41 % des Allemands répondent positivement. Les réponses à la question, « A quelle vitesse les développements vers une Europe unie devraient-ils se faire ? Plus vite ou plus lentement ? », montrent que depuis les années 1990 le pourcentage des sondés en faveur de progrès plus rapides vers une Europe unie, décroît constamment. Au début de 2011, seuls 12 % des personnes consultées étaient en faveur d’une intégration plus rapide. La même tendance négative se reflétait dans les réponses à la question, « Quelle confiance avez-vous dans l’UE ? ». Au cours des cinq dernières années, environ 50 % des Allemands disaient avoir peu ou pas de confiance dans l’UE, alors qu’un tiers des personnes disaient que leur confiance en elle était élevée. Mais au début de cette année les chiffres ont été encore plus mauvais, seuls 26 % des sondés continuant à déclarer « je crois dans l’UE ».

Aussi, en pensant à comment faire de l’ICE une histoire à succès, les fédéralistes devraient prendre ces études d’opinion très répandues dans nos Etats membres avec beaucoup de sérieux. Mais ce n’est pas seulement cet arrière plan qui doit être pris en considération. Deux autres facteurs auront une grande importance : le sujet et le positionnement dans le temps. En ce qui concerne le thème sur lequel l’UEF et ses sections nationales devront décider de s’impliquer, il est certain que seule une question proeuropéenne visant à renforcer l’intégration européenne et soulevant un large besoin ou intérêt public commun dans nos différents Etats membres, devra mobiliser tout notre soutien. En ce qui concerne le timing, nous devrons garder à l’esprit les délais nécessaires. Avec l’ICE en vigueur le 1er avril 2012, il faudra plus de dix-huit mois -soumission à la Commission, recueil d’un million de signatures dans sept Etats membres, processus de vérification des signatures collectées, jusqu’à la date de la décision de la Commission sur la suite à lui donner- avant qu’elle ne soit officialisée environ en novembre 2013. C’est seulement alors, que nous saurons ce que la Commission entend faire, si elle veut saisir la demande des citoyens ou la rejeter ; juste à la veille des prochaines élections européennes.

C’est pourquoi, une ICE que nous, en tant qu’UEF, pourrions décider de soutenir, devrait être considérée en vue des élections européennes de 2014. Elle devra être couronnée de succès, pour encourager les gens à s’engager dans les affaires européennes et pour les pousser à participer aux élections européennes. L’unification européenne ne pourra durer que si une Europe des citoyens est construite. Le nouvel outil, l’ICE, nous donne la chance de progresser dans cette direction et de suivre l’esprit de Jean Monnet, qui disait que le but n’était pas d’unifier les Etats, mais d’unifier les peuples.

Une publication en partenariat avec Fédéchoses www.pressefederaliste.eu

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