La crise ? Arrêtons de crier haro sur le 4è Reich !

Injuste, le sentiment anti-allemand croissant est aussi infondé

, par Niklas Kramer, Traduit par Mathieu Goethals

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La crise ? Arrêtons de crier haro sur le 4è Reich !
© Commission européenne

Un sentiment anti-allemand se répand en Europe. Tantôt dissimulé, tantôt ouvertement hostile. Ce ressentiment provient principalement des pays du Sud qui doivent faire face à la pression des marchés financiers et des mesures d’austérité imposées par la Troïka. Les dernières images de cette colère nous viennent de Chypre, où les gens descendent dans la rue pour manifester, comme tant d’autres, contre l’Allemagne.

L’Allemagne, tenue pour principale responsable de la chute libre du secteur bancaire et de l’économie de l’île après avoir exigé que les détenteurs de comptes de dépôts de plus de cent mille euros dans les banques chypriotes participent au sauvetage du pays. On attribue ce désastre bancaire au 4è Reich et à sa chancelière, que l’on dépeint comme l’alter ego d’Adolf Hitler. Si le gouvernement allemand continue de réagir diplomatiquement, l’Allemand de la rue, lui, ne comprend pas : « Voilà comment ils nous remercient ! », s’exclame-t-il, choqué des comparaisons avec un dictateur dont on se garde encore de plaisanter dans le pays.

D’autres dirigeants européens, comme Barroso, Van Rompuy ou Hollande, devraient s’opposer à cette vision monochrome, et ce pour plusieurs raisons : en plus d’êtres injustes, ces accusations sont infondées.

Injustes, car l’Allemagne n’est pas la seule à prôner la cure d’austérité. La Finlande, les Pays-Bas et l’Autriche aussi défendent ces politiques. Sans parler des pays de l’Est, tels que l’Estonie, la Slovaquie et la Slovénie, qui peinent aussi à expliquer à leurs citoyens pourquoi l’argent du contribuable doit financer le Mécanisme de stabilité européen (MES). Dans le cas de Chypre, la France aussi souhaitait que les plus riches contribuent.

Injustes aussi, parce qu’elles font fi de la solidarité qui existe. L’Allemagne est le principal contributeur au MES, que le pays finance à hauteur de 22 milliards d’euros de capital libéré et de 168 milliards d’euros de capital exigible. L’Allemagne s’est également engagée à effacer 750 millions de charges d’intérêts de son budget 2013 dans le cadre du second plan de sauvetage pour la Grèce. La Banque centrale allemande prend des risques vis-à-vis du plan de stabilité financière de l’Eurosystème (Target 2) et ce pour aider les autres pays de la zone euro — son déséquilibre commercial est colossal et s’élève désormais à 450 milliards d’euros. Ces risques sont souvent difficiles à expliquer aux citoyens ordinaires. Par conséquent, les eurosceptiques gagnent du terrain en critiquant la perte de souveraineté financière.

Certes, l’Allemagne ne soutient pas ces mesures que par charité, mais également parce qu’elle tient à la stabilité de l’euro. Actuellement, le pays profite d’ailleurs de taux d’intérêts bas, voire négatifs, sur ses bonds d’État. Il n’en reste pas moins que le pays doit lui aussi faire face à des contraintes nationales. Sa dette s’élève à 81% du PIB et les problèmes démographiques et sociaux s’amplifient. Les taux d’intérêts, bas aujourd’hui, finiront par remonter à moyen terme. Les dépenses publiques ont diminué et certaines communes sont au bord de la banqueroute. En outre, une étude récente publiée par la BCE montre que l’Allemand moyen dispose de moins d’avoirs que l’Espagnol ou l’Italien moyens. Même si cette étude ne tient pas compte du montant des pensions, grâce auquel un Allemand peut louer un appartement une fois retraité, les chiffres restent troublants. On peut évidemment remettre en cause les différentes approches économiques, mais même Keynes ne peut pas ignorer les tensions politiques existantes, et donner l’illusion que le MES et, in extenso l’Allemagne, sont un puits sans fond. Exiger du Bundestag qu’il accorde des garanties massives aux banques chypriotes, sans tenir compte des conditions de viabilité économique et sans exiger plus de responsabilités de la part du secteur bancaire relèverait de la naïveté politique. Et si la coalition actuelle (Chrétien démocrates-Libéraux) devait changer pour laisser place à un gouvernement Socio-démocrates-Verts, la situation ne changerait pas pour autant.

L’Allemagne pourrait bien entendu payer toujours plus pour relancer la croissance : nous, fédéralistes, défendons l’idée d’Eurobonds comme fonds d’amortissement, d’union bancaire plus forte, de système d’assurance-chômage, pour compenser les chocs asymétriques.

Mais voilà la question à se poser : que se passerait-il si les pays du Sud continuaient d’appliquer leurs politiques de distribution népotistes et non durables mais n’avaient pas le courage d’entreprendre des réformes ? Que ferions-nous si, au bout du compte, les déséquilibres commerciaux se maintenaient parce que la productivité continue de stagner dans ces pays ? L’idée selon laquelle l’Allemagne a besoin d’économies saines au Sud ne serait par conséquent plus valable, puisque pour le 4è Reich, les mesures d’austérité ont précisément pour but d’établir des économies saines, qui ne dépendent pas les unes des autres.

La question cruciale qui découle de la première est donc celle-ci : l’Allemagne peut-elle véritablement, dans le cadre institutionnel actuel, dépenser plus d’argent sans contrôle adéquat au niveau européen (pas de taxation sans participation) ? Plus encore : une fois les Eurobonds et de nouveaux systèmes de redistribution adoptés, les autres États membres donneront-ils leur feu vert à la création d’une nouvelle structure institutionnelle et d’une nouvelle convention ? Il s’agit là d’une question importante, surtout si l’on prend en compte les difficultés que présenterait un référendum européen sur un nouveau traité. Lorsqu’on voit la crise politique italienne, par exemple, on peut raisonnablement comprendre que certains gouvernements soient réticents à expliquer à leurs citoyens la nécessité de plus de réformes et de « plus d’Europe ».

L’Europe est une bonne chose, mais ses États membres ont des intérêts divergents : les pays du sud de l’Europe veulent disposer de plus d’argent et de plus de temps pour leurs réformes ; les gouvernements du Nord ne veulent plus faire porter le fardeau des dépenses à leurs électeurs. Si l’on veut brandir l’argument d’une « plus-value européenne », il faut cesser de rejeter la faute sur l’Allemagne, et trouver des réponses adéquates à ces questions aux niveaux national et européen. Crier haro sur le 4è Reich ne fera pas avancer le projet européen.

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Vos commentaires
  • Le 27 avril 2013 à 00:02, par Gilles En réponse à : La crise ? Arrêtons de crier haro sur le 4è Reich !

    Mon avis : à ce stade de mésentente, où les positions respectives divergent autant, il est peut être temps que chacun reprenne ses billes et quitte l’autre en « bons amis ».

    A partir de là, tout ressentiment des pays du sud envers l’Allemagne trop exigeante deviendra totalement injustifié.

    De même la rancoeur des allemands face aux « mauvais élèves » de l’Europe du sud n’aura plus de raison d’être...

    Après tout, n’est-ce pas là le fondement du divorce ? Quand les tempéraments de 2 personnes sont incompatibles, le bon sens commande de se séparer.

    Bizarrement, cette éventualité n’est jamais évoquée, au moins à titre de réflexion...

    Pourquoi ??

    Ce mariage européen a-t-il été prononcé selon le rite catholique, pour le meilleur, le pire, et surtout pour l’éternité et sans retour ?

  • Le 28 avril 2013 à 01:34, par Xavier C. En réponse à : La crise ? Arrêtons de crier haro sur le 4è Reich !

    Mais c’est tout simplement trop difficile de se regarder dans le miroir, alors on accuse le voisin...

    On devrait dire aux Allemands : ne donne pas à manger à un cochon, il viendra chier sur ton perron !

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