Pourquoi tant de passion pour un simple morceau de tissu ? Sans doute justement parce qu’il ne s’agit pas d’un simple morceau de tissu ni même d’un signe religieux comme les autres mais bien d’un marqueur « sexiste » qui exprime une triple ségrégation : entre les femmes et les hommes, entre les musulmanes et les non musulmanes et enfin, entre les bonnes musulmanes et les mauvaises musulmanes.
En ce sens il constitue une pression à l’égard des musulmanes qui ne le portent pas, ce n‘est pas un hasard, en effet, si l’on assiste un peu partout à une telle progression de cette pratique qui, encore récemment, n’était plus le fait que de quelques vielles femmes.
il ne s’agit pas d’un simple morceau de tissu mais bien d’un marqueur sexiste
En outre, le fait d’arborer même « librement » un accessoire vestimentaire qui, dans toute une partie du monde, est une obligation légale imposée à toutes les femmes pour signifier leur invisibilité dans l’espace public, leur devoir de « modestie » et leur statut de deuxième rang (polygamie, inégalité devant le juge et vis-à-vis de l’héritage etc.,…) traduit une soumission à des éléments d’une loi religieuse contraires à la laïcité, la mixité et l’égalité entre les sexes. Les pionnières du féminisme issues de culture arabo-musulmane ne s’y étaient d’ailleurs pas trompées puisque, au siècle dernier dès les années 20, les premières d’entre elles, en Tunisie et en Égypte, avaient symboliquement retiré leur voile pour marquer leur volonté de refuser la « claustration » imposée aux femmes et pour revendiquer une lecture moderne des textes religieux.
Ni la couleur, ni la taille, ni la forme de ce tissu n’y changent rien. Personne d’ailleurs ne s’y trompe : au-delà du prétexte religieux, le voile constitue le porte drapeau de mouvements islamistes visant à revenir à une lecture littérale du Coran, au mépris des avancées des droits de l’homme et en l’occurrence des droits de la femme, et cela quel que soit le pays concerné.
Autant de pays de l’Union, autant de solutions ?
Si la France est le seul pays de l’Union à avoir explicitement consacré la laïcité dans sa constitution, et si elle s’est singularisée en adoptant le 15 mars 2004 une loi interdisant aux élèves le port de signes religieux ostensibles à l’école, il n’en demeure pas moins comme le souligne Bernard Stasi, dans son rapport de 2004 au Président Chirac [1] qu’« une tendance au rapprochement des régimes européens s’esquisse dans le sens d’une séparation entre les églises et l’État » ajoutant que si « la plupart des pays européens ont opté pour une logique communautaire ( …), face à la montée des tensions, la tendance s’inverse aujourd’hui et revient vers une politique d’intégration plus volontariste ».
Ainsi que le met également en évidence un rapport du Parlement français publié en début d’année 2010 [2], les pays de l’Union ne restent pas sans réagir face à des exigences qui touchent aux fondements des sociétés modernes, mixtes et égalitaires et qui se manifestent aussi par l’exigence d’horaires séparés pour les femmes dans les piscines, le refus des femmes musulmanes d’être soignées par des médecins hommes dans les hôpitaux, et plus largement par des demandes d’application de la loi religieuse dans des affaires qui relèvent du statut personnel. Le rapport identifie pourtant à ce propos un décalage dangereux entre le ressenti des opinons publiques et les tentatives de solutions de compromis apportées par les pouvoirs publics. Il cite par exemple le cas de la Suède où « 45% des personnes interrogées se déclarent favorables à une interdiction du foulard simple à l’école et sur le lieu de travail » alors que les institutions confrontées aux exigences contradictoires du respect de la parité homme femme et de la liberté d’expression religieuse tentent de trouver des compromis à travers l’Ombudsman national.
La Laïcité, la seule voie de pacification des esprits
Si l’on veut que cessent les surenchères des extrémistes religieux et les indignations qui en résultent de la part des opinons publiques au sein de l’Union, il serait temps que l’Union européenne, en concertation avec l’ensemble des États concernés, adopte une position commune sur la question de la prolifération du voile islamique « simple ou intégral » sur son territoire ; car elle constitue une injure à la liberté des femmes de circuler dans l’espace public et une véritable provocation à l’égard des acquis du féminisme.
Il serait temps que l’Union européenne doit adopter une position commune sur la question du voile islamique
Il lui suffirait pour cela de s’inspirer des arrêts de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) faisant référence au texte de la convention Européenne des Droits de l’Homme, reconnaissant que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions prévues à l‘alinéa 2 de l’article 9 « par des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre (public), de la santé ou de la morale publique, ou de la protection des droits et des libertés d’autrui ». Il est temps que l’on se souvienne que c’est aux religions de savoir s’adapter à l’évolution du droit et de la dignité de la personne sur lesquels se fondent nos ordres publics et non le contraire.
Pour ceux qui se trompent sur le sens du mot tolérance, il est temps d’entendre ce qu’écrit l’Algérienne Djemila Benhabib [3] dans une lettre ouverte aux députés et sénateurs français « il n’y a rien dans ma culture qui me prédestine à être éclipsée sous un linceul, emblème ostentatoire de différence ».
1. Le 12 avril 2010 à 10:52, par Jacqueline Feldman En réponse à : La place du voile dans l’Union Européenne
Que répondre ? je suis à 100% d’accord. Si le voile est un « marqueur » de la place des femmes dans la société musulmane, la réponse européenne devrait être un « marqueur » de la place reconnue à la laïcité dans la construction européenne ; Jacqueline Feldman
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