Le Royaume-Uni doit-il quitter l’Union européenne ?

, par Charles Nonne

Le Royaume-Uni doit-il quitter l'Union européenne ?
Opening of Europe House in London Auteur : European Parliament

Le 9 décembre 2011, aux côtés de la République tchèque mais pour d’autres motifs, le Royaume-Uni a résolument refusé de prendre part aux nouvelles négociations portant sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Le Premier ministre britannique, David Cameron, avait manifesté une claire opposition à la perspective d’un contrôle plus accru des budgets nationaux par l’Union européenne. Cette attitude eurosceptique, prévue et attendue, fut maintenue avec constance au cours du printemps dernier. Elle risque cependant de marginaliser l’Angleterre au sein du jeu européen tout en illustrant, une fois de plus, sa position particulièrement ambigüe en Europe. Les dirigeants européens ont désormais tout intérêt à s’interroger sur les véritables motifs de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union.

Royaume-Uni et Europe, une alliance ambivalente

Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou la France, le Royaume-Uni a souvent été réticent à se qualifier de nation « européenne ». Outre sa situation géographique particulière, son ancien empire colonial devenu le Commonwealth a conduit les dirigeants britanniques à considérer l’Angleterre comme une véritable puissance mondiale, extérieure à l’Europe. Au cours du XXe siècle, l’Angleterre a néanmoins entretenu des liens particulièrement forts avec le vieux continent.

Le Royaume-Uni aura certes salué les premières initiatives à l’origine de la création des Communautés européennes, mais il n’a pas manifesté, dans un premier temps, le souhait de participer à la construction européenne. Une Association européenne de libre échange (AELE [1]) fut fondée en 1960 à l’initiative du Royaume-Uni, et a longtemps été considérée comme un concurrent de la Communauté économique européenne. Le Royaume a finalement adhéré à la Communauté en 1973, mais ce ne fut qu’après avoir constaté l’échec relatif de l’AELE et surmonté deux vétos antérieurs du président De Gaulle (en 1963 et 1968).

Depuis lors, l’État insulaire a été à l’origine de nombreux et douloureux blocages institutionnels, freinant à plusieurs reprises et de façon durable le processus d’intégration. Tandis que les créateurs de l’euro considéraient la politique monétaire comme devant s’étendre à l’ensemble des États membres, le gouvernement britannique est parvenu à mettre en péril les chances de succès de la monnaie unique. C’est à l’issue de cette crise institutionnelle que débuta la pratique désormais célèbre des opting-out. Quelques années plus tard, le Royaume-Uni a en effet obtenu une série de dérogations à la politique sociale de l’Union, renforçant l’idée d’une Europe « à la carte ».

Paradoxalement, le Royaume-Uni n’a jamais manifesté d’hostilité à une coopération très accrue à l’échelle européenne. Par exemple, au cours des négociations sur le traité de Maastricht, les Britanniques ont refusé toute « communautarisation » des questions de défense ; mais c’est pourtant avec l’Angleterre que la France a récemment signé des accords internationaux visant à la mutualisation des équipements et des budgets de la défense, dans une démarche bilatérale et intergouvernementale, mais particulièrement efficace.

Cette ambigüité a toujours caractérisé l’Angleterre. Celle-ci s’estime encore être une grande puissance mondiale mais elle souhaite maintenir des liens particulièrement étroits avec les autres nations européennes. Certains hommes politiques britanniques estiment pouvoir lever cette ambigüité par un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, précédé par un référendum dont les résultats potentiels ne font, aujourd’hui, aucun doute.

Quelles causes et quelles conséquences d’un départ du Royaume-Uni ?

Force est de constater que les relations particulièrement complexes entre le Royaume-Uni et l’Union européenne furent des sources de vives tensions au cours des quarante dernières années. Le Royaume-Uni et l’Europe « continentale » divergent fondamentalement sur la question de l’avenir de l’Europe et du projet européen. La plupart des dirigeants européens approuvent l’idée d’une intégration plus poussée et d’un processus que certains qualifieraient de « fédéralisation ». Au contraire, les Britanniques considèrent en majeure partie que l’Europe est une zone de libre-échange, propice au commerce mais inapte à bénéficier durablement de transferts de souveraineté.

Ces relations conflictuelles pourraient également être évaluées sous l’angle géopolitique. A l’issue de la seconde guerre mondiale, la plupart des États européens ont perdu toute velléité coloniale, réalisant qu’ils ne pourraient plus demeurer (sinon pour quelques années) des puissances mondiales. Au contraire, le Royaume-Uni s’est pensé comme une puissance égale de l’Union soviétique et des États-Unis, dialoguant autant avec ces derniers qu’avec ses voisins européens. Son attachement renouvelé au Commonwealth révèle la vitalité des liens de l’Angleterre avec son ancien empire colonial. Ces liens constituent autant de barrières au développement d’une identité européenne en Grande-Bretagne.

Allié aux côtés de l’Europe, hors de l’Europe ?

En se retirant des institutions de l’Union européenne, le Royaume-Uni offrirait à celle-ci l’occasion d’enclencher un véritable mouvement de fédéralisation. La plupart des États membres n’ont pas de doctrine immuable quant à la question de l’intégration européenne. Ils ne risqueraient ainsi pas d’opposer des refus de principe à des transferts de souveraineté supplémentaires. Même lorsque les Français et les Néerlandais ont refusé le traité constitutionnel, en mai et en juin 2005, ces refus n’étaient pas un rejet de l’intégration européenne, mais plutôt une défiance exprimée à l’encontre des politiques libérales de l’Union.

Aujourd’hui, bien que le Royaume-Uni ne soit pas le seul État à avoir refusé de signer le futur traité budgétaire, lui seul est résolument opposé à tout nouveau transfert de souveraineté. A terme, son retrait pourrait être compensé par de nombreux accords multilatéraux avec l’Union, et notamment des accords de libre-échange. De tels accords permettraient au Royaume-Uni de bénéficier du marché unique sans entraver la fédéralisation de l’ « Europe continentale » et sans mécontenter l’opinion publique britannique par des abandons de compétences.

Absence de conscience européenne en Grande-Bretagne

Les mouvements pro-européens « universalistes » pourraient certes affirmer que l’Union européenne a vocation à accueillir tous les États qui souhaitent en tirer un bénéfice, sans considération de projet ou de vision pour l’avenir. Cependant, la situation actuelle doit nous contraindre à privilégier l’efficacité et le pragmatisme. Le Royaume-Uni est parvenu à tisser des relations approfondies avec les États-Unis, concluant de très nombreux partenariats et faisant de ces deux puissances des alliés historiques. Pourquoi de tels liens ne seraient-il pas envisageables entre la couronne britannique et l’Union européenne, que la majorité des Britanniques semble aujourd’hui rejeter ? En effet, des analystes de la politique britannique affirment que la population du Royaume-Uni est désormais plus eurosceptique que l’élite politique du pays.

Des précautions toutes particulières doivent certes être prises lors de l’analyse de sondages. Néanmoins, plusieurs enquêtes d’opinions semblent révéler une véritable séparation entre l’opinion publique britannique et les opinions publiques des autres membres de l’Europe occidentale quant à leur volonté d’adhérer au projet européen.

Selon les résultats d’un sondage Eurobaromètre réalisé en mai 2011, les Britanniques sont l’unique peuple d’Europe occidentale à considérer majoritairement que l’adhésion de leur pays à l’Union européenne fut une mauvaise chose (32%, contre 26% d’opinions favorables, le reste des sondés ne se prononçant pas). Ils sont également les seuls Européens à considérer majoritairement que leur pays n’a pas bénéficié de son appartenance à l’Union européenne (54% contre 35% d’opinions contraires). Ces sondages ne font que confirmer une tendance déjà présente depuis des décennies. La crise des dettes souveraines a certes accentué le scepticisme des autres peuples d’Europe, mais elle ne saurait masquer le rejet structurel de l’Union européenne par l’opinion britannique. A en croire les résultats d’un sondage plus ancien d’octobre 2004, les Britanniques seraient également plus nombreux à éprouver un vif soulagement face à la disparition de l’Union européenne (27%) qu’à ressentir de grands regrets (22%).

La dynamique de l’intégration européenne est aujourd’hui paralysée ; il est plus que temps que chaque État soit placé face à ses responsabilités et remette en question son appartenance à l’Union européenne. Dans le cadre du Royaume-Uni et malgré l’évidente complexité de cette question, le débat mériterait sans doute d’être organisé à l’échelle européenne, au lieu d’être restreint au Parlement de Westminster. L’Europe ne peut désormais plus se permettre de subir des divergences fondamentales de vision à long terme. La question de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Europe est plus que jamais d’actualité. Or, il y a à peine plus de soixante ans, Winston Churchill avait prophétiquement affirmé : « Each time we must choose between Europe and the open sea, we shall always choose the open sea ». Un référendum pourrait donner la chance au peuple britannique de déterminer si cette affirmation est une réalité.

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Notes

[1Réunissant encore aujourd’hui l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.

Vos commentaires
  • Le 31 août 2012 à 17:39, par un eurofédéraliste En réponse à : Le Royaume-Uni doit-il quitter l’Union européenne ?

    Mais oui !!! Qu’ils s’en aillent s’ils veulent partir !!! On en peut plus de leurs critiques de mauvaise foi !!!

  • Le 2 septembre 2012 à 22:24, par I want out En réponse à : Le Royaume-Uni doit-il quitter l’Union européenne ?

    Thank you so much for this. Please demand that we be given a referendum as soon as possible. If you really wanted to force the issue you could all demand a new treaty that transferred powers to the EU. We would now have to hold a referendum and as you state the highly Eurosceptic population would say NO. Most of us are tired of the British political elite pretending to be Eurosceptic and then once again ignoring the wishes of the people.

    Once we have the referendum, I suspect you can go ahead and become a federal state and we can become the trading partner we always wanted.

    Good luck.

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