Elargissement

Le Royaume-Uni restreint la mobilité des travailleurs bulgares et roumains

Comment des erreurs de calcul conduisent à une forme de discrimination

, par Traduit par Sophie Gérardin, Irina Ivanova

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Le Royaume-Uni restreint la mobilité des travailleurs bulgares et roumains

Imaginez que vous ayez convié quatre invités à la maison pour dîner. Imaginez qu’au lieu de passer une soirée tranquille en bonne compagnie, vous vous retrouviez avec 150 personnes prêtes à faire la fête et envahissant chaque recoin de votre maison.

C’est l’effet que la politique de l’emploi, dite de « porte ouverte » de l’Angleterre, a produit ces deux dernières années. Le Royaume-Uni, avec l’Irlande et la Suède, ont été les trois seuls Etats à accorder les mêmes droits du travail aux citoyens des dix pays qui ont rejoint l’Union européenne (UE) en 2004, qu’aux autres.

Le gouvernement britannique attendait entre 5 000 et 13 000 travailleurs immigrés. Cette estimation s’est révélée être une énorme erreur de calcul, puisque des sondages ont révélé que le nombre d’immigrés venant des dix nouveaux pays membres de l’UE avait désormais atteint le nombre de 600 000. C’est quasiment quarante fois plus que ce qui avait été estimé à l’origine.

La Bulgarie et la Roumanie vont faire les frais de cette erreur de calcul du gouvernement. Bien que ces pays soient devenus membres à part entière de l’Union au 1er janvier 2007, ils se sont vus refuser les mêmes droits que les autres pays membres. Les nationaux A2 – c’est ainsi que sont référencés les Bulgares et les Roumains – ne pourront travailler que dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture.

« Les travailleurs des nouveaux pays membres ont comblé les secteurs où il manquait de la main-d’œuvre qualifiée, y compris dans les services publics clés comme la Sécurité Sociale et la protection sociale et ils contribué à la croissance et à la prospérité du Royaume-Uni… Les études n’ont pas prouvé qu’ils avaient pris des emplois aux travailleurs britanniques ou qu’ils avaient contribué à la baisse des salaires », a déclaré le Ministre de l’Intérieur, John Reid, dans un discours devant la Chambre des Communes.

Ces résultats positifs ont été suivis par l’annonce que les Bulgares et les Roumains devaient « se diriger vers n’importe quels emplois où il manque de la main-d’œuvre sous-qualifié e au Royaume-Uni ». Si on retire du discours les paroles politiquement correctes de John Reid, la version brute ressemble à quelque-chose comme « ne faites que ce qui ennuit les Anglais ». Aussi difficile que cela puisse paraître, c’est tout ce que le Royaume-Uni peut offrir à la Bulgarie et à la Roumanie dans un avenir proche.

Meglena Kuneva, la Ministre bulgare des Affaires européennes, définissait en 2004 la politique britannique de « portes ouvertes » comme très « courageuse et très juste ». Mais elle a fait connaître sa déception face à la position actuelle du gouvernement britannique. « C’est un peu étrange que cette politique ne soit pas maintenue [pour la Bulgarie] », a-t-elle déclaré sur la BBC News 24. Madame Kuneva s’attend à ce qu’environ 36000 citoyens bulgares rêvent de trouver du travail en Grande-Bretagne. C’est dix fois moins que le nombre de Polonais venus au Royaume-Uni depuis mai 2004 pour y gagner leur vie.

A en juger par les statistiques, il est clair que ce ne sont pas les chiffres qui inquiètent le gouvernement britannique. C’est peut-être le niveau élevé du crime organisé en Bulgarie et en Roumanie qui est à l’origine de ce soudain changement de politique du ministère de l’Intérieur. Les inquiétudes existent concernant certaines organisations criminelles qui choisiraient la Grande-Bretagne pour y mener leurs affaires. Pour l’instant, ces peurs ne sont pas fondées.

« C’est dommage, mais nous sommes traités somme des gens de moindre qualité. La différence de niveau de vie entre l’Angleterre et la Roumanie est si grande ; cela nous rend vraiment humble. C’est pourquoi, nous nous satisfaisons de peu », déclare Julien Shakpadjiev, 47 ans. Monsieur Shakpadjiev est arrivé à Londres en 1999 dans l’espoir de trouver de meilleures opportunités, après avoir épuisé tous les secteurs d’emploi potentiels dans sa ville natale de Bulgarie. Il ne parlait pas anglais à l’époque. Ainsi, le premier emploi qu’il ait trouvé fut celui d’excavateur dans un cimetière. Puis il a travaillé comme jardinier, homme de ménage et à la plonge.

« La vérité c’est qu’un travailleur d’Europe de l’Est – de Bulgarie comme c’est mon cas – acceptera d’être payé 50% de moins qu’un Anglais. C’est comme cela depuis des années. Cela n’a rien à voir avec les immigrés d’Europe de l’Est ». Monsieur Shakpadjiev n’est pas le seul à souligner cette vérité.

Dans une interview pour Sky News,

Simon Briault, de la Fédération des Petites Entreprises (FPE), a confirmé que le gouvernement n’avait toujours pas admis le rôle positif des travailleurs d’Europe de l’Est dans le milieu des affaires anglais car ils voulaient exercer des emplois que de nombreux travailleurs du reste de l’Europe refusaient. Cela a aidé à contenir l’inflation dans l’économie britannique.

La décision du gouvernement de restreindre l’accès des nationaux A2 à tous les secteurs d’emploi a amplifié un autre doute ; à savoir, la possibilité d’un marché noir en expansion. Dans un communiqué de presse, la FPE a exprimé sa crainte « que la pression qui va maintenant peser sur le milieu des affaires pour décider de qui de ces deux nations pourra travailler légalement ou pas, sera trop forte à supporter. »

Monsieur Shakpadjiev est venu en Angleterre en prétendant qu’il se formerait auprès d’un faiseur de livre. Il ne l’a jamais fait, mais il n’a pas non plus été une seule seconde en situation irrégulière au Royaume-Uni. « Mes employeurs m’ont aidé à prolonger mon visa. Ils m’ont aussi obtenu le numéro d’assurance. Ce que j’ai appris ici, c’est que si vous faites bien votre travail, vous n’aurez pas de problème avec la loi. »

Ce qui rend la situation plus difficile encore c’est que les limitations ne sont imposées que sur les Etats A2. D’autres pays européens comme l’Allemagne et l’Espagne ont mis en place des restrictions similaires pour faire fléchir les flux migratoires, après l’élargissement de l’UE en 2004 ; on s’attendait à ce que cela soit aussi le cas pour la Bulgarie et la Roumanie. Sans surprise, ces deux pays des Balkans ont interprété la position britannique comme un acte de discrimination.

En Angleterre, hommes politiques et experts voient les actes de Reid comme une tentative pour gagner en électorat. Le Ministre des Affaires européennes, Geoff Hoon, a insisté sur le fait que le gouvernement gardait sa politique de « porte ouverte ». Le parlementaire travailliste, Keith Vaz, a qualifié cette décision de « xénophobe ».

Dimitar Tsanchev, le porte-parole du ministère bulgare des Affaires étrangères, a annoncé que son gouvernement discuterait de la possibilité d’imposer en retour des restrictions envers l’Angleterre.

Avec un 1er janvier qui appartient au passé et l’entrée désormais effective de la Bulgarie dans l’UE, beaucoup de gens pensent trouver du travail à l’étranger, à priori légalement. Les limitations des droits du travail, telles qu’imposées par l’Angleterre, ne feront qu’augmenter le nombre de travailleurs illégaux et causeront des complications pour les autorités qui auraient pu être évitées. Monsieur Shakpadjiev le dit clairement : « dans ce cas, ces restrictions deviendront davantage un problème qu’une solution. »

Illustration : photo coupée de graffitis d’artistes détournant un panneau du parti conservateur

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