Les droites italiennes et l’Europe

, par Marie Eldin

Les droites italiennes et l'Europe
Pier Ferdinando Casini, Président de l’Union des démocrates chrétiens Auteur : European People’s Party - EPP - Certains droits réservés

Le retour annoncé de Silvio Berlusconi ces derniers jours nous renvoie à sa démission, il y a un peu plus d’un an, suite notamment aux pressions de la Commission européenne et de la Banque Centrale européenne. En Italie, la crise économique agit comme un révélateur de la relation qu’entretiennent les différents courants de droite avec l’Union européenne.

La diversité de la droite italienne, la diversité des rapports avec l’Europe

L’Italie est un des pays fondateurs de l’Union européenne et a historiquement toujours fait preuve d’un fort enthousiasme à l’égard de l’intégration européenne, ayant souvent été un moteur pour l’approfondissement de la construction. Cependant, il s’agit ici d’observer les rapports entre l’Union européenne et l’Italie de façon interne, en se concentrant sur la droite politique italienne. Cette tradition européiste ne se retrouve pas forcément dans l’ensemble de la droite italienne.

« Ensemble », car pour comprendre les enjeux de la relation qu’entretient la droite transalpine vis-à-vis de l’Union européenne, il faut en appréhender la diversité. Il ne faut pas réduire cette partie de l’échiquier politique aux coalitions et aux grands partis de rassemblement tels que le Peuple de la Liberté de Silvio Berlusconi, créé en 2009. Ils sont en effet l’arbre qui cache la forêt de la diversité des courants de la droite italienne, chacune de ces mouvances entretenant une relation bien particulière avec l’Union européenne.

Un centre droit historiquement pro-européen

Le centre droit italien est constitué par deux grandes composantes : les démocrates-chrétiens, minoritaires car divisés entre la droite, le centre et la gauche, et le Peuple de la Liberté [1], majoritaire.

La démocratie chrétienne de droite, actuellement regroupée dans l’UDC de Casini, s’inscrit dans la tradition pro européenne : revendiquant l’héritage des pères fondateurs et surtout d’Alcide De Gasperi, fédéraliste convaincu, qui parlait de « notre Patrie Europe » et appelait à la constitution d’un pouvoir politique européen central. Depuis l’annonce du retour de Silvio Berlusconi dans l’arène politique et celle de la démission de Mario Monti du poste de Président du Conseil, cette frange de la droite italienne tente de constituer un front favorable à une potentielle nouvelle candidature de ce dernier. Soutenant un candidat européiste et pro-fédéraliste, le centre droit semble ainsi réaffirmer son identité historique.

Bien que le Peuple de la Liberté revendique les racines judéo-chrétiennes de l’Europe, ainsi que son héritage commun culturel issu des Lumières, qui, selon les déclarations du parti, sont les fondements de la société et malgré ses références aux figures tutélaires des pères fondateurs, s’inscrivant ainsi dans la large tradition du centre droit européen, les présidences successives de Silvio Berlusconi ont marqué un abandon de la tradition très pro-européiste italienne.

En tant que Président du Conseil, Silvio Berlusconi a agi au niveau européen selon une méthode intergouvernementaliste. Cela s’est notamment observé en 2009, suite à des remontrances de la Commission européenne au sujet de la politique d’immigration italienne. A cette occasion, il Premier avait menacé de bloquer le travail du Conseil européen par son droit de veto. Cet exemple nous montre que pour le dirigeant de centre droit, la Commission n’était qu’une administration marginale alors que les Etats membres gardaient sous contrôle l’intégration européenne, les grands moments de négociations n’étant que des occasions de défendre leurs intérêts. Par ailleurs, la politique extérieure de l’ancien Président du Conseil a été marquée par des visées souvent plus pro-atlantistes qu’européistes. Autrefois clairement pro-fédérale, l’Italie et le droite sous Berlusconi n’avait plus de vision très cohérente quant à l’Europe.

Après l’annonce par Silvio Berlusconi de son retour au début du mois de décembre, ce dernier entend combattre contre les réformes et la rigueur imposée par Mario Monti, sous la pression européenne. Comme il est écrit dans le journal Il Sole 24 ore, le risque de ce retour est celui d’ « une campagne entièrement construite contre l’Europe, contre l’Allemagne et contre la rigueur budgétaire » [2]. En effet, il Cavaliere pourrait bien céder à la tentation populiste face à des italiens qui voient souvent en l’Union européenne la cause essentielle de leurs problèmes.

La normalisation de l’extrême droite

Le parti Alliance nationale de Gianfranco Fini a été dissout dans le parti du Peuple de la Liberté. Ancien héritier des mouvances fascistes et ayant longtemps été un modèle pour les extrêmes droites européennes dont le Front national français, il a opéré une normalisation et représente aujourd’hui le courant conservateur de la droite italienne.

Concernant ce courant de droite, il est intéressant de pointer la transformation de ses rapports avec l’Union européenne, allant de pair avec la normalisation des thèses de ce parti et l’éloignement des références mussoliniennes. Actuellement, cette droite est nationale mais ouverte sur l’Europe.

Le cas particulier du régionalisme politique : au-delà de l’europhobie, les signes récents d’un opportunisme européen de la Ligue du Nord

Cependant, le cas des partis régionalistes d’extrême droite et particulièrement de la Ligue du Nord, parti populiste et xénophobe prônant l’indépendance de la Padanie, est encore plus frappant. Ayant longtemps fait preuve d’un très fort euroscepticisme populiste sous la direction d’Umberto Bossi [3], qui voyait l’Europe comme une machine anti-démocratique, bureaucratique et administrative, annihilant les pouvoirs locaux et les cultures régionales, la présidence de Roberto Maroni marque une légère transformation dans la façon dont la Ligue du Nord appréhende l’Union européenne, car elle a trouvé dans l’Europe des régions une résonance forte à ses thèses sécessionnistes. Ce qui est intéressant ici n’est pas de s’arrêter sur la longue tradition europhobe de ce parti mais de se concentrer sur les signes récents d’une instrumentalisation de l’Europe par la Ligue du Nord.

L’Union européenne a toujours porté une attention particulière aux régions des Etats membres : que ce soit pour des objectifs de réduction des inégalités socio-économiques ou des raisons de préservation des identités culturelles, le niveau régional est un échelon d’action privilégié des institutions communautaires. Ce régionalisme pousse la Ligue de Nord à considérer de plus en plus l’Union européenne comme un appui et une ressource, toute mesure gardée.

L’illustration concrète de cela est la proposition, lors des Etats Généraux du parti en septembre dernier, de créer une Eurorégion rassemblant les territoires du nord de l’Italie, qui serait plus proche de l’Europe que de l’Italie du sud. Cette structure administrative européenne est donc vue par la Ligue du Nord comme un moyen d’affirmer ses ambitions régionalistes.

Les électeurs italiens étant davantage attentifs aux effets de la crise économique et le parti subissant actuellement des accusations de corruption, la Ligue du Nord est actuellement en perte de vitesse. Dans ce contexte, l’Union européenne apparaît donc, de façon pragmatique pour le parti, comme une opportunité de renouvellement et d’appui extérieur. Cet exemple d’un parti originellement europhobe qui saisit les outils mis à disposition par l’Union européenne met en lumière la complexité de la relation entre les certains courants de la droite italienne et l’Europe, qui n’est donc en aucun cas manichéenne.

Dans ce contexte de crise et de surveillance de l’Italie par les instances européennes comme la BCE mais aussi par le couple franco-allemand, le paysage politique transalpin se redessine, la droite italienne, notamment. Dans cette recomposition politique, l’Union européenne apparaît souvent comme un jalon permettant au monde politique de se positionner, les rapports qu’entretiennent les droites italiennes avec l’Europe sont donc mouvants et propices à des instrumentalisations. A ce titre, les campagnes pour les élections générales d’avril 2013, visant à renouveler les deux Chambres du Parlement [4] vont sans doute être l’occasion pour les différents courants de la droite italienne de mettre en avant leur relation et leur positionnement quant à l’Europe et notamment à l’Allemagne, qui surveilleront assurément cela de très près.

Sources :

ARNERA Albin, Berlusconi face à l’Europe, 2006, Editions Le Manuscrit.

Bulletin Quotidien, 11 décembre 2012, « Le président du Conseil italien Mario Monti tente de rassurer les marchés, sans dévoiler son avenir politique ».

Café Babel, 13 août 2008, Mattia Bergamini, « La Ligue du Nord ou l’euroscepticisme triomphant ».

Le Figaro, 9 décembre 2012, Jean-Jacques Mevel, « Italie : Monti rattrapé par ses réformes impopulaires ».

Le Figaro, 12 septembre 2012, Jean-Jacques Mevel, « L’Europe face au tabou du fédéralisme ».

Le Taurillon, 8 décembre 2011, « Monti, l’Europe et la démocratie ».

Le Taurillon, 6 septembre 2009, Fabien Cazenave, « Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen ».

Notes

[1Le Peuple de la Liberté rassemblant le centre droit et la droite conservatrice d’Alliance nationale, il s’agit ici des courants centristes majoritaires dans ce parti.

[2Source : Il Sole 24 ore, cité dans l’article de Jean-Jacques Mervel « Italie : Monti rattrapé par ses réformes impopulaires », Le Figaro, 9 décembre 2012.

[3Premier secrétaire fédéral de la Ligue du Nord de 1991, année de création du parti, à 2012.

[4La Chambre des députés (Camera dei deputati) et le Sénat (Senato della Repubblica).

Vos commentaires
  • Le 11 janvier 2013 à 02:03, par vincent v En réponse à : Les droites italiennes et l’Europe

    « Le retour annoncé de Silvio Berlusconi ces derniers jours nous renvoie à sa démission, il y a un peu plus d’un an, suite notamment aux pressions de la Commission européenne et de la Banque Centrale européenne. » Berlusconi a démissionné sous la pression des marchés et des défections dans sa coalition, je ne vois pas trop les pressions de la commission ou de la BCE …

    Le « fort enthousiasme pour l’Europe » et la « tradition européiste » de l’Italie étaient souvent superficiels, bien sûr dans les années 70 et 80, l’Europe était vue positivement avec la croissance économique mais en France aussi il y avait un large consensus. Mais le discours en fait des politiques italiens était très plat, l’Europe pour s’unir, pour la paix, pour le marché mais ensuite ? Comme dans tous les domaines, le corpus idéologique des politiques italiens est très vague. Depuis les années 90, cet enthousiasme a disparu partout car on a constaté les excès réglementaires de Bruxelles et que l’euro (à l’exception de l’Allemagne principalement) a coïncidé avec la crise et le déclin. Dans votre article vous confondez aussi les propos tenus en campagne électorale et la réalité de l’exercice du pouvoir, Berlusconi n’est pas plus anti européen qu’un autre, il n’est pas contre la rigueur budgétaire non plus, il l’a d’ailleurs pratiqué, il a laissé l’Italie avec des finances publiques dans un état meilleur que la plupart des pays européens (comme la France ou les Pays Bas) que l’énorme dette publique italienne est née à la fin des années 80 et le début des années 90 (l’époque encore des européistes socialistes et démocrates-chrétiens avant l’entrée au pouvoir de Berlusconi ou de la ligue du nord). Votre séparation européiste- atlantiste me semble assez erronée, la construction européenne ne peut s’opposer à l’atlantisme historiquement, les démocrates-chrétiens étaient atlantistes également, demandez aussi aux allemands et aux néerlandais. Votre vision est très française.

    « En tant que Président du Conseil, Silvio Berlusconi a agi au niveau européen selon une méthode intergouvernementaliste. Cela s’est notamment observé en 2009, suite à des remontrances de la Commission européenne au sujet de la politique d’immigration italienne. A cette occasion, il Premier avait menacé de bloquer le travail du Conseil européen par son droit de veto » Etonnant comme observation puisque l’Europe fonctionne de cette façon selon une méthode intergouvernementale, tous les pays pratiquent de cette manière, Merkel, Sarkozy Hollande et tous les autres agissent selon une méthode intergouvernementale à moins que vous contestez aux italiens d’avoir les mêmes droits que les autres. L’Italie a également le droit de défendre ses intérêts et ses positions (comme le font les autres) sans être taxé d’ « anti européen » et de « bloquer le travail du conseil » ? J’aimerais savoir si ce pays a des droits selon vous ?

    « Dans ce contexte de crise et de surveillance de l’Italie par les instances européennes comme la BCE mais aussi par le couple franco-allemand » Quel point de vue condescendant envers l’Italie…comme si l’Italie était inférieure à ses voisins du nord ou comme si la France de François Hollande pouvait se permettre actuellement de surveiller ce que font les autres, la BCE et la commission surveillent tout le monde et tous les budgets européens.

    Je rappelle que l’Italie, bien que pays qualifié « du sud » (synonyme désormais de mépris) est le troisième contributeur net du budget européen, des plans d’aide, qu’elle est la troisième économie européenne, la seconde industrie européenne, que son déficit budgétaire est parmi les plus faibles de la zone euro, que sa dette publique bien qu’élevée a moins augmenté qu’ailleurs, qu’elle a une dette privée faible, qu’elle n’a aucune bulle immobilière, pas de crise bancaire…

    « prônant l’indépendance de la Padanie » la Padanie ? c’est quoi la Padanie ? cela n’existe pas, cela existe que pour une certaine ligue du Nord xénophobe qui a inventé ce concept, le reprendre est une ineptie. L’Italie du Nord est surtout une expression géographique et n’existe pas vraiment non plus puisqu’on ne sait toujours pas où le Nord commence ou il s’arrête…et la ligue du Nord est encore moins représentative du Nord de l’Italie.

    Et sur « l’indépendance » on ne sait jamais avec eux s’ils sont sérieux ils parlent plutôt « d’autonomie » et de « fédéralisme », surtout que la ligue du nord a été présente pendant des années dans des gouvernements nationaux à des ministères très importants… La droite « nationale » de Gianfranco Fini n’existe plus non plus, Fini représente désormais seulement lui-même et aujourd’hui est proche de Monti et des centristes, la plupart des ex membre d’Alliance Nationale d’ailleurs sont désormais fidèles à Berlusconi. « A ce titre, les campagnes pour les élections générales d’avril 2013, visant à renouveler les deux Chambres du Parlement » ce sera fin février en fait.

  • Le 11 janvier 2013 à 17:02, par Bob En réponse à : Les droites italiennes et l’Europe

    @ vincent v

    « l’euro (à l’exception de l’Allemagne principalement) a coïncidé avec la crise et le déclin. »

    En 1999 date de l’entrée en vigueur de l’euro, la zone euro a gagné 2 points de croissance.

    En 2005 trois points de croissance.

    De 1999 à 2007, le PIB par habitant de la zone euro a continuellement augmenté, passant d’environ 19 000 € en 1999 à 26 000 en 2007.

    A titre de comparaison, sur la même période, le PIB US est passé d’environ 25 000 € à 35 000 €.

  • Le 12 janvier 2013 à 01:47, par vincent v En réponse à : Les droites italiennes et l’Europe

    vous vous arrêtez en 2007, je me demande pourquoi on pourrait aller jusqu’en 2013 et faire le bilan.

    ensuite je ne vois pas comment on peut nier que l’euro a coûté très cher à l’Espagne, à l’Italie ou à la France (en terme de compétitivité et d’emplois industriels), la crise actuelle de l’euro est une crise d’un écart de compétitivité au sein d’une zone monétaire non optimale alors bien sur ces pays sont plus fautifs (de ne pas être comme l’Allemagne) que l’euro en tant que tel mais la politique de l’euro a été décidée en premier lieu au bénéficie de l’Allemagne et pour ses intérêts, un euro fort peut fonctionner pour l’industrie allemande moins pour les autres économies.

  • Le 12 janvier 2013 à 13:34, par Bob En réponse à : Les droites italiennes et l’Europe

    @ vincent v

    2008 c’est la crise mondiale. Ce n’est pas à cause de l’euro. C’est due à la crise des subprimes et la crise de confiance qui en a suivie. Le tout étant du à l’explosion de la bulle internet dans les années 2000.

    Au départ l’Allemagne n’a pas profité de l’euro comme vous le dites. Entre 1999 et 2002 le Pib/hab en Allemagne a baissé passant de 121 à 115. En Espagne, il a augmenté, de 96 à 100. En France de 115 à 116.

    L’euro a permis aux pays comme l’Espagne d’avoir de très faibles taux d’intérêt, ce qui leur a permis de réduire leurs coûts de productions et de gagner en compétitivité.

    Concernant la compétitivité, mesurée par les exportations, ces dernières, en Espagne, sont passées de 206 milliards d’€ en 2003 à 288 milliards d’€ en 2008.

    En France de 411 Mds€ à 520 Mds€.

    En Italie, de 327 Mds€ à 448 Mds€.

    L’euro n’a donc pas causé de perte de compétitivité, bien au contraire.

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