Avenir de l’Europe

Ombre et lumiere sur l’Europe

Entretien avec Giuliano Amato

, par Traduit par Aurélie Agnès, Eva Heidbreder, Samuele Pii

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Ombre et lumiere sur l'Europe

Pour sortir de la léthargie constitutionnelle, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont donné à l’occasion du dernier Conseil européen (21 et 22 juin 2007) un nouveau mandat à une conférence intergouvernementale qui doit se conclure d’ici la fin 2007. Nous avons interviewé Giulano Amato, un des personnages-clé du Traité constitutionnel pour l’Europe (TCE) puisqu’il a été Vice-Président de la Convention européenne de février 2002 à juillet 2003, pour qu’il nous éclaire sur les points positifs et négatifs de la situation actuelle.

Taurillon : Monsieur Amato, un commentaire sur le Conseil de l’Europe : le mandat apporte-t-il plus d’ombre ou plus de lumière sur l’avenir de l’Europe ?

Giuliano Amato : En effet, il y a de bons et de mauvais côtés. Commençons par la forme du traité. Il est incontestable que la structure représente un recul par rapport au traité de la Constitution mais aussi par rapport aux autres propositions. Cette solution correspond à la volonté de s’éloigner le plus possible du caractère constitutionnel du texte d’origine. Il s’agit d’un objectif légitime, partagé par tous les chefs d’Etats et de Gouvernements, visant à éviter un nouveau « non » lors d’un référendum. Pour cette raison cependant, la méthode de révision du traité a de nouveau été appliquée, les traités établis ont été adaptés, articles après articles, au lieu de rédiger un nouveau traité. Dans l’ensemble, cela donne une forme considérablement confuse et illisible. Mais il est possible que, au bout du compte, le texte final soit meilleur que le texte actuel car il comptera à la fin trois parties : un traité de l’Union essentiellement réécrit, un traité de Communauté révisé et une Charte des Droits Fondamentaux.

Si l’on considère le contenu et non la forme, les pertes directes sont relativement limitées par rapport au Traité constitutionnel. Cela signifie que la majorité des réformes ont été reconnues comme étant utiles, et ont été prises en compte et non pas remises en question. Les parties perdues sont :
 La primauté du droit communautaire reste un principe de droit, mais n’est plus mentionné de manière explicite dans le Traité.
 Le thème de la concurrence disparaît de l’article sur les objectifs de la Communauté et apparaît à la place dans un protocole, cependant il reste présent dans les articles fondamentaux concernant des bases juridiques illégitimes, les transformations du marché, etc.…
 l’idée de renommer le dossier sur la justice a été abandonnée. J’étais partisan de cette dernière modification ; les régulations auraient été rebaptisées en lois et les directives en lois-cadres.

Mais beaucoup de choses ont subsisté. Cependant, ce qui est vraiment regrettable, plus que le contenu ou la forme, c’est le contexte. Le contexte est fait d’une conjonction de déclarations, unilatérales ou non, et de protocoles qu’on a réuni de manière obstinée afin d’ajouter des dizaines de points. En fin de compte, ils expriment tous la même chose : rien de ce que nous faisons ne justifie de nouvelles compétences de l’Union ; il ne résulte de ce que nous faisons aucune réduction des privilèges des membres de l’Etat. On va un peu trop loin dans la fausseté ; il s’agit à vrai dire de mensonges jugés vraisemblablement nécessaires par les décideurs pour faire comprendre à l’opinion publique que de l’Europe ils n’offrent plus « le plus possible » mais « le moins possible ».

Taurillon : Pensez-vous que ce nouveau contexte représente un changement capital de cette philosophie « faire l’Europe ensemble » ?

Giuliano Amato : Oui, dans un sens. Jusqu’à présent, il s’agissait d’une position essentiellement, voire exclusivement, britannique, partagée seulement par quelques Etats voisins de la Grande-Bretagne. Désormais, avec l’adhésion des Etats d’Europe centrale et orientale, nous faisons l’expérience d’une renaissance des sentiments nationaux après des années de souveraineté limitée, ce qui est un phénomène tout à fait compréhensible. Ces Etats font chorus avec la Grande-Bretagne, ce qui, pour la Communauté européenne, signifie un renforcement de la position intergouvernementale.

Taurillon : Sera-t-il nécessaire d’organiser des référendums dans certains pays ?

Giuliano Amato : Oui, cela sera nécessaire. Je pense que ça le sera en Irlande, où une interprétation de la Constitution a déjà été établie. Nous savons également qu’un référendum aura lieu au Danemark, si toutefois le parlement obtient une majorité de 5/6. Il y aura donc un référendum dans ces deux pays. De ce point de vue, il est vraiment regrettable qu’il ait été jugé comme nécessaire de soumettre un texte illisible pour satisfaire les citoyens et cela va certainement entraîner des difficultés. Cependant, pour être sincère, je ne pense pas que dans le climat de détermination commune actuel, les référendums se solderont par un échec.

Taurillon : Coordonner les processus de ratification nationaux est une option envisageable ou bien est-il encore trop tôt pour cela ?

Giuliano Amato : Il est encore un peu trop tôt pour en parler, attendons tout d’abord la fin de la Conférence Intergouvernementale. Grâce au système choisi, c’est-à-dire d’un mandat restreint et déjà prédéfini par le Conseil de l’Europe, qui établit déjà en détail ce que la Conférence devra approuver, on attend encore plus de la Conférence Intergouvernementale qu’elle soit courte et rapide. Par conséquent, il faut s’attendre à ce que le processus de ratification commence à la fin de l’année. Ensuite, nous verrons si une coordination entre les Etats est souhaitable.

Pourquoi un Comité d’Action pour la Démocratie Européenne ? Comment est-il né, quelles étaient les motivations ?

Giuliano Amato : Nous nous sommes rassemblés suite à la pause réflexion annoncée par les organes européens en réaction au « non » des Français et des Néerlandais. Ce moment de pause a ouvert une phase de confusion et le risque était de n’obtenir aucun résultat concret. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire, tout comme à d’autres avec d’autres méthodes, de nous assurer que cette phase de réflexion serait utilisée pour recharger les batteries au lieu de tout envoyer promener. Ensuite, nous avons essayé de trouver de nouvelles énergies et ce fut une expérience merveilleuse.

Nous avons fondé un groupe de « men and women of good will », venant de toute l’Europe, qui a travaillé en étroite collaboration avec l’Institut universitaire européen et le Centre Robert Schuman ; le groupe compte des membres jeunes et des membres plus âgés qui ont tous donné des réponses positives. Nous nous sommes rencontrés souvent et le travail à accomplir est devenu progressivement plus clair. Comparé à de nombreuses autres contributions survenues à la fin de la phase de réflexion, cela donna une position privilégiée à nos résultats dans la recherche d’une solution possible. En effet, il s’agissait d’une des contributions les plus appréciées et de la proposition la plus proche d’un possible résultat du Conseil de l’Europe.

­Taurillon : L’assemblée constitutionnelle européenne représentait-elle une occasion manquée ? Quelles leçons doit-on tirer de cette expérience ?

Giuliano Amato : Non, ce n’est pas une occasion manquée. Le fait que nous ayons aujourd’hui un ensemble de réformes reprises avec succès dans les traités, n’a été possible que grâce au travail de la Convention. Et si à présent, quatre ans plus tard, on estime que plusieurs réformes institutionnelles sont nécessaires, dont certaines se recoupent avec les propositions du Traité de la Constitution, il s’agit bien d’une preuve de la qualité du travail de la Convention. Je suis convaincu qu’il s’agissait d’une méthode très utile pour transformer la pratique des négociations secrètes concernant les modifications du Traité.

Elle a permis de mettre toutes les opinions au même niveau, de rompre avec le caractère inviolable de souveraineté exprimé dans les arguments des représentants des Etats. Cela a donné une forme beaucoup plus rationnelle et bien plus transparente au débat sur les modifications nécessaires. Il s’agit sans aucun doute de la méthode du futur. Il est certain, on doit le reconnaître, que les résultats reviendront aux gouvernements et ces derniers peuvent tout interrompre. C’est justement là que réside la différence entre la Convention et une assemblée constituante, mais ce sera l’objet de discussions futures.

Taurillon : Quand a commencé votre engagement pour l’Europe ? Que fut votre expérience « Erasmus » ?

Giuliano Amato : J’appartiens manifestement à une autre génération. Vous, les jeunes, vous apprenez à connaître l’Europe en faisant vos études hors de votre pays d’origine et vous y apprenez les langues. J’ai commencé mes études l’année où les Traités de Rome ont été signés. Dans les années 50, « Erasmus » n’existait pas encore. Je dois avouer que l’Europe m’est devenue plus proche non pas grâce à la politique, mais lorsque j’ai passé un an aux Etats-Unis pour mes études : en étudiant un système fédéral et en prenant connaissance de la plus-value que peut avoir un système gouvernemental de plusieurs niveaux de la taille d’un continent. Suite à cette expérience, j’ai appris à apprécier l’Europe, même s’il ne s’agit pas d’un Etat fédéral.

Paradoxalement, cela m’a rendu très européen et en même temps j’ai ressenti une sorte d’indigestion envers les vieux fédéralistes qui, pleins d’affection pour les modèles du passé, ont peut-être moins la capacité que moi de voir que l’Europe est en train d’offrir au monde un modèle de gouvernance qui fait le lien entre le droit international et le droit interne. J’ai ainsi célébré l’Europe comme étant « hermaphrodite », ce qui paraît bien indécent dans un monde où les sexes sont séparés.

Après le rejet de la France et des Pays-Bas du Traité de la Constitution Européenne, les Institutions européennes se sont plongées en 2005 dans une phase de réflexion pour l’Union. En tant que Vice Président de la Convention Européenne, Giuliano Amato fut un personnage clé dans la rédaction du projet de Traité. En 2006, il fonde le Comité d’Action pour une Démocratie Européenne (ACED) composé de 16 personnalités de haut rang politique. Ayant pour objectif d’apporter son soutien à la Présidence allemande du Conseil et à la Présidence suivante, l’ACED a élaboré une étude sur la possibilité de réaliser une alternative au Traité.

Nous nous sommes entretenus avec Giuliano Amato à l’occasion des résultats du Conseil de l’Europe des 21 et 22 juin 2007 pendant lequel les Chefs d’Etats et de gouvernements sont tombés d’accord sur un mandat pour une Conférence Intergouvernementale. Cette Conférence devrait, avant la fin 2007, reprendre la « substance du Traité Constitutionnel » et l’intégrer dans un nouveau traité de réformes – mises à part quelques exceptions explicitement mentionnées et qui reviennent principalement à la Grande-Bretagne (Charte des Droits Fondamentaux) et à la Pologne (processus du référendum).

Le texte tant attendu aura la forme d’un traité de réformes traditionnel qui révisera les traités existants et ajoutera de nouvelles déclarations. D’après le mandat du Sommet de Bruxelles en juin, l’actuelle Présidence portugaise s’est fixée pour objectif de parvenir, dès que possible, à un accord sur le nouveau traité, afin que le processus de ratification soit achevé avant les prochaines élections du Parlement Européen de 2009.

Illustration : Giuliano Amato entre le Président Valéry Giscard d’Estaing (sur la droite) et le Vice-Président Jean-Luc Dehaene durant une session de la Convention européenne. Source : European Convention.

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