La prévention de la piraterie, enjeu crucial pour la communauté internationale
La région recouvrant le sud de la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien au large des côtes somaliennes est une zone vitale pour le commerce mondial. Située au carrefour de plusieurs routes maritimes cruciales, on estime qu’y transitent 25 000 navires par an, parmi lesquels 932 000 tonnes d’aides envoyées par le Programme alimentaire mondial vers la Somalie – laquelle subit une situation humanitaire désastreuse, renforcée par la déliquescence de l’Etat.
Chaque année, plusieurs centaines d’attaques de pirates frappent les navires naviguant dans cette zone de 4 millions de km², plus étendue que l’Europe continentale. La piraterie sévissant dans la zone aurait coûté quelque sept milliards de dollars en 2011 : il s’agit dès lors d’un fléau tant pour le commerce international que pour les aides humanitaires destinées à la Somalie.
Sécurité, reconstruction, justice
Suite à la recrudescence de la piraterie dans cette région, le Conseil de sécurité des Nations unies autorisa le déploiement de forces armées ayant pour but de maintenir la paix et la sécurité dans la région . La décision de mettre en œuvre une opération militaire européenne au large de la Corne de l’Afrique fut prise par le Conseil de l’Union le 10 novembre 2008. Le 8 décembre, Atalante était née et ne devait initialement durer que douze mois.
La force militaire liée à Atalante (EU NAVFOR) poursuit trois objectifs : protéger les navires du programme alimentaire mondial à destination de la Somalie ; défendre les autres navires en situation de vulnérabilité dans cette zone ; dissuader, prévenir et réprimer les actes liés à la piraterie. Cette force réunit une dizaine d’Etats sous la direction stratégique d’un « comité politique et de sécurité » et sous la conduite du comité militaire de l’Union européenne. Les succès initiaux de l’opération, mais également les exigences d’une mission de maintien de la paix et de la sécurité, amenèrent les dirigeants européens à en renouveler les effets dans le temps de la mission, le 15 juin 2009 puis le 23 mars 2012. Tandis que le mandat initial de la mission EU NAVFOR ne comprenait que l’escorte de navires et la prévention des actes de piraterie, la mission européenne dispose désormais de la possibilité d’attaquer des bases de pirates au sol.
Depuis 2008, une vingtaine de bâtiments et d’aéronefs sont déployés dans la région, représentant un peu plus de 1 800 militaires. Cette force est certes faible au regard de l’immense zone maritime couverte par l’opération et des moyens financiers impliqués, et elle ne saurait résoudre à elle seule un phénomène pirate de grande ampleur. Néanmoins, une telle opération de mutualisation des forces armées européennes sous un commandement intégré aurait été parfaitement inenvisageable il y a quelques décennies et constitue un progrès indéniable dans la politique de défense européenne.
Le succès incontestable d’une mutualisation des capacités militaires
Ce type d’opération permet aux Etats européens de constituer une force unie sur un théâtre d’opération extérieur, malgré des difficultés économiques et des restrictions matérielles qu’ils ne pourraient surmonter individuellement. La France, première puissance militaire d’Europe avec le Royaume-Uni, a ainsi mis à disposition de l’opération une seule frégate et un unique avion de patrouille militaire ; ses bases de Djibouti fournissent un soutien logistique appréciable, notamment dans le golfe d’Aden. Sans que les moyens budgétaires investis par l’Etat français soient considérables et pèsent trop lourdement sur ses finances publiques, sa contribution individuelle permet d’accroître la force de frappe de l’EU NAVFOR.
Sur un plan strictement institutionnel, l’opération Atalante a été réalisée en collaboration avec la force de l’OTAN également présente dans la région, ainsi qu’avec les forces militaires russes, indiennes, japonaises et chinoises. Les experts s’accordent à affirmer qu’il s’agit d’une coordination réussie, les forces armées en présence ayant su agir en complémentarité et non en concurrence. Sur le plan organisationnel, la force EU NAVFOR a assuré la quasi-totalité des escortes des convois du programme alimentaire mondial.
L’extension des compétences de la mission Atalante a donné lieu à de récentes réussites. Notamment, une récente offensive aérienne a abouti, le 15 mai 2012, à la destruction d’une base logistique de pirates sur la côte somalienne. Sans que le nombre d’attaques pirates ait décru significativement, le taux de succès de ces attaques n’en a pas moins diminué depuis quelques années.
L’Europe, possible leader des opérations militaires dans des théâtres extérieurs ?
La mission Atalante connaît encore des difficultés qui freinent ses actions et limitent ses capacités : la couverture du territoire sur lequel elle agit est encore largement insuffisante : une poignée de bâtiments navals doivent assurer la couverture de plusieurs millions de kilomètres carrés. Les hélicoptères, aéronefs particulièrement adaptés aux opérations menées dans la région, sont présents en trop faible nombre. Sur le plan stratégique, la coordination avec le sol (et notamment avec l’Union africaine, principale actrice militaire en Somalie) est insuffisante et se traduit en une insuffisance des renseignements.
Néanmoins, les résultats sont présents et évaluables : en juin 2011, 23 navires étaient capturés par des pirates, et 501 personnes prises en otage. En juin 2012, seuls 8 navires et 215 otages restaient entre les mains de ces mêmes pirates. Malgré la difficulté de fiabiliser les informations, ces seuls chiffres témoignent du potentiel que l’Europe peut déployer dans une région où un Etat membre seul, fût-il la France, n’aurait pu agir. Le Royaume-Uni, habituellement réticent à s’extraire des seules coopérations bilatérales, a vanté les mérites d’une telle opération, à laquelle il participe. Les efforts encore nécessaires à la reconstitution d’un Etat somalien restent colossaux, mais les actions comparables à l’opération Atalante sont une condition sine qua non à la reconstruction d’un « Etat failli ». L’Union européenne constitue ainsi une partie d’une large dispositif visant à concilier le développement, la sécurité et la justice.
Elle démontre également qu’il lui est possible de s’extraire de la tutelle de l’OTAN, en organisant une intervention militaire indépendante .
En incarnant la communauté internationale par un effort inédit de mutualisation des moyens et des commandements, l’Europe a démontré sa crédibilité lors d’une mission de sécurisation maritime. Sans que la question de la piraterie au large de la Corne de l’Afrique ne soit résolue pour autant, l’opération Atalante illustre les bénéfices d’une intégration poussée – bien que ponctuelle et circonscrite – dans le domaine militaire.
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