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Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

Billet d’humeur…

, par Valéry-Xavier Lentz

Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

L’un des blogs phares de la campagne de 2005 aurait-il changé de nature ?

Le blog Publius [1], créé pour rassembler les commentaires de plusieurs blogueurs plutôt Europhiles, avait en son temps été remarqué par sa qualité. S’il ne s’était pas engagé explicitement en faveur du traité constitutionnel – laissant à chaque auteur la responsabilité de prendre position, il proposait une information se voulant objective et par conséquent se positionnait de facto dans le camp pro-européen.

Une série d’articles moins critiques qu’anti-« Bruxelles »

Depuis le référendum, la plupart des meilleurs auteurs de l’époque comme Versac ou Eolas publie moins souvent et de nouveaux auteurs sont arrivés. On constate aujourd’hui que plusieurs billets publiés ces dernières semaines penchent dans le sens d’un euroscepticisme plus ou moins assumé, tendance britannique, consistant à détourner des initiatives prise au niveau européenne pour les dépeindre comme un complot technocratique à tendance tyrannique. Si l’on peut s’interroger sur le fonctionnement de la comitologie [2], une note publiée sur le sujet s’intitule « Technocratie ordinaire » et assimile ces pratiques aux « fonctionnaires européens ». Une autre sur le sujet de l’introduction du système métrique en Grande Bretagne, s’intitule « Commander une pinte de bière restera possible » (comme s’il avait été prévu de l’interdire) en suggérant que la Commission nourrit « l’espoir de regagner quelque popularité au sein d’une population quelque peu braquée par l’autoritarisme et l’arrogance dont fit parfois preuve l’administration européenne ».

La caricature absolue est atteinte avec un post intitulé « La Commission Européenne sait fort bien se servir elle-même » en abordant l’heureuse intervention des autorités contre le racket que les opérateurs téléphonique faisaient subir aux citoyens qui voyageait à travers l’Union [3] sous l’angle « seuls les fonctionnaires européens ( …) sont des consommateurs significatifs de téléphonie mobile internationale ». Les millions de voyageurs qui se sont vu surfacturés abusivement alors qu’ils ne quittaient pas l’Europe apprécieront ce raccourci imaginatif.

Pourquoi ne pas avoir une ligne éditoriale plus claire ?

Si les billets restent heureusement de meilleure qualité que sur les sites nationalistes et sociaux-nationalistes, ce dénigrement du projet de construction européenne s’avère de plus en plus fréquent sur Publius, allant parfois au-delà de la critique légitime des insuffisances de l’Union.

Le problème est que critiquer ces dernières sans en exposer les causes — et donc les solutions potentielles — conforte la cause réactionnaire des nationalistes... Ne pas souligner la source des disfonctionnements et des déceptions, essentiellement dus à son fonctionnement encore à dominante intergouvernementale, ne permet pas d’envisager des évolutions positives ou des réformes qui ne soient pas seulement un repli sur son clocher.

Cette évolution de Publius est préoccupante car ce blog, bénéficiant d’un bon référencement dans les moteurs de recherche et d’une bonne réputation, apparait comme crédible. Le problème est surtout que sur des questions complexes comme les questions européennes, les lecteurs ont besoin d’une ligne éditoriale claire. Mêler sur un même site partisans et adversaires du projet européen ne peut que semer la confusion si le lecteur n’a pas connaissance des enjeux qui sous-tendent les propos de chacun des auteurs. Cela peut donner aux adversaires de l’Europe l’occasion d’avancer à visage masqué et de propager des « vérités » approximatives sous le couvert du débat démocratique comme on l’a vu lors de la campagne référendaire de 2005 où des anti-TCE présentaient leurs brochures militantes comme issus d’un anodin "Comité de réflexion citoyen sur la constitution européenne". Espérons que « Publius » ne s’oriente pas dans cette voie et que l’on y retrouve bientôt un plus grand équilibre de points de vue.

Qu’en pensez-vous ?

Illustration : logo du site Publius.

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Notes

[1Publius était le pseudonyme sous lequel James Madison, Alexander Hamilton et John Jay avaient publié Le Fédéraliste, une série de lettres en faveur d’une nouvelle constitution pour la confédération qui rassemblait les 13 colonies américaines

[2Lire à ce sujet l’article Le lobbying dans les institutions européennes.

[3Lire à ce sujet :
  Vers une téléphonie mobile européenne ? sur le Blog d’un Européen jamais content de Cédric ;
  Blitzkrieg victorieux contre les opérateurs de télécoms sur le blog de Jean Quatremer.
  Le texte de la loi européenne via le Journal du Marché Intérieur.

Vos commentaires
  • Le 21 septembre 2007 à 12:41, par versac En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Quelques éléments de réponse et d’éclairage.

    Publius a été créé en novembre 2004, a connu un fort développement lors de la campagne du referendum (500.000 visiteurs sur la séquence de la campagne, plus de 3000 citations). Il était alors clairement présenté comme éphémère, et nous ne savions qu’en faire une fois passé ce moment.

    A la fin de la campagne, de nombreux participants, commentateurs et lecteurs, ont fait part de leur souhait d’une pérennisation. La question était celle du scope, et de l’équipe. La plupart des auteurs initiaux n’avait pas l’énergie pour porter, en sus de leur propre blog et d’une activité professionnelle déjà chargée, un blog plus généraliste sur l’Europe à moyen terme. Il a donc été décidé d’élargir l’équipe d’animation pour intégrer de nouvelles compétences, en « faisant monter » des commentateurs actifs et pertinents comme auteurs.

    Nous avons régulièrement appelé à de nouvelels contributions, et n’avons pas souhaité fermer le blog, un peu pour laisser en ligne l’historique des échanges (15.000 commentaires sur le traité) et aussi pour maintenir une possibilité.

    Maintenant, il est vrai que le blog vit peu, et qu’un seul auteur l’anime effectivement depuis plusieurs mois. C’est le corollaire du bénévolat et de l’absence d’attachement à un mouvement, quel qu’il soit. L’audience est nettement retombée depuis la folle époque.

    Je serais extrèmement favorable à ce que de nouvelles personnes viennent reprendre le flambeau, et suis prêt à leur laisser les clefs du blog. Il doit bien exister dans l’armada des jeunes passionnés d’Europe quelques amateurs de la chose qui auraient l’envie et le temps de contribuer sur un espace neutre, affilié à aucun mouvement, et centré sur des logiques de décryptage de l’actualité.

    C’est un peu un appel à candidature (le n-ième). Si seuls des euro-sceptiques répondent, ce n’est pas de notre fait...

  • Le 22 septembre 2007 à 07:45, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Merci pour ces précisions. Il eut été regrettable en effet de ne pas laisser à disposition des internautes les archives des échanges qui se sont déroulés il y a deux ans. Espérons que votre appel à candidature trouvera preneur.

  • Le 23 septembre 2007 à 19:51, par dhalber DD En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Quand un blog ne « vit » plus c’est que le besoin qui anime ( anima) cette vie n’existe plus. La logique est donc de le fermer, quand bien même un certain nombre de personnes souhaiteraient son maintien.

    Le danger permanent dans une telle situation est la dérive « extrémiste » qui se produit lorsque l’aspect négatif d’une question l’emporte sur le souci d’objectivité et de neutralité. Quant au fait que des internautes souhaitent son maintien, sans apparemment y prendre une part active ( ce qui est tout de même contradictoire- attitude de pur « consommateur »), il ne doit doit pas être considéré comme déterminant dans la décision à prendre.

    Il existe tellement de blogs « non vivants » que c’est l’ensemble du WEB qui devient trompeur. La loi qui rappelle que l’inflation ( le gonflement) fait perdre de la valeur joue à plein. La prolifération nuit souvent à la qualité des blogs et ajoute à la difficulté de repérage des « bons » noyés dans la masse des médiocres. Faire le toilettage ( quand c’est possible) n’est donc pas une oeuvre inutile, au contraire.

  • Le 30 septembre 2007 à 18:16, par KPM En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Il est tout à fait possible de ne plus alimenter Publius tout en laissant l’accès à l’historique complet des billets et des commentaires passés...

  • Le 16 novembre 2007 à 12:30, par Ronan En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    En même temps, en lisant le titre de cet article je m’attendais à y trouver du ’’lourd’’ sur une véritable dérive eurosceptique du blog en question. Et, lecture faite, finalement je suis un peu déçu (ou soulagé, c’est selon...).

    Franchement, que reproche-t-on ici à Publius ? Des indéniables maladresses d’écriture (certes...), un dynamisme étiolé (i. e : de moins en moins de publication...), une focalisation évidente sur des thématiques très souvent technico-juridiques, un éclairage sans nul doute contestable et inutilement polémique de celles-ci (on fait là sans doute davantage dans le billet d’humeur que dans l’article d’information...) et, enfin, un accès aléatoire à ses archives (et à des billets plus militants et plus favorables à l’actuelle construction européenne, puisque datant effectivement d’une récente campagne référendaire où la ’’rédaction’ de Publius s’était majoritairement prononcée en faveur du OUI).

    Mais de là à parler de dérive clairement eurosceptique, tout de même... (plus de peur que de mal, donc...). Franchement, la seule grave dérive qui menace vraiment le blog Publius aujourd’hui c’est surtout, à l’heure actuelle, celle de l’extinction pure et simple.

  • Le 16 novembre 2007 à 13:55, par valéry En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    L’article voulait donner le bénéficie du doute à Publius ou plus exactement à l’unique auteur qui y rédige aujourd’hui des posts, d’où son ton prudent. Toutefois je t’invite à consulter le genre de texte hallucinant que l’on peut y lire aujourd’hui L’europhilie est-elle un réflexe de classe ?. Décidément les sociaux-nationalistes n’ont pas finis de nous consterner.

  • Le 16 novembre 2007 à 16:28, par Ronan En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Ne devrait-il tout de même pas être possible de dégager des consensus, même avec certains anciens ’’nonistes’’ de gauche ?! Non pas tant sur l’orientation ou la nature de certaines politiques communautaires actuelles (ne rêvons pas...) que sur - par contre - certaines thématiques auxquelles ils ne sont pas insensibles (et nous non plus...).

    Comme - par exemple - la réforme des mécanismes de solidarité communautaire (la formation du budget de l’union, la répartition de ses sommes, le redéploiement de ces fonds, etc) voire la nécessaire démocratisation (et une plus grande transparence) des institutions communautaires ?!

    Et (pour répondre rapidement à ce billet, cité ci-dessus et dâté du 10 novembre dernier) l’enjeu n’est-il pas précisément d’essayer de refaire de la construction européenne une grande cause populaire qui parle aux plus humbles : précisément ceux-là qui, aujourd’hui effrayés par un avenir dont ils ont le sentiment qu’ils ne le maîtrisent pas, ont - mêlant ainsi leurs voix à celles d’authentiques nationalistes - cédé aux sirènes du ’’national-protectionisme’’ et massivement porté leurs suffrages sur le NON lors de la dernière campagne référendaire ?!

    Si le texte alors présenté à leur réflexion n’avait pas excédé 50 articles classés en une petite trentaine de pages ne parlant que de très neutres questions d’organisation des pouvoirs (comme, sauf exception notable, toute constitution qui se respecte...), alors nos contemporains auraient sans doute massivement dit Oui à un tel texte.

    Au lieu de quoi (fameuse « partie III » oblige...), on a laissé penser à l’opinion publique qu’on lui demandait là de réitérer une sorte d’approbation générale portant - les yeux fermés - sur la compil’ de 50 ans de politiques communautaires. Et ce, sans même se rendre compte qu’une partie de l’opinion en désapprouve très fortement certaines orientations politiques actuelles.

    N’est-il donc pas (toujours ? / encore ?) temps de se mettre d’accord (même avec d’anciens nonistes) sur un strict cadre institutionnel européen (politiquement neutre) dont les européens (de Gauche comme de Droite) feront enfin - en temps utile (et s’ils y tiennent vraiment) - ce qu’ils voudront ?! Je ne sais pas, je m’interroge...

    Il me semble que certains de nos contradicteurs posent de bonnes questions et que des convergences de vues sont possibles entre eux et nous. Surtout lorsqu’ils parlent de solidarité, de transparence et de démocratisation. En évoquant ces thématiques ils convoquent là l’appui de forces populaires avec lesquelles nous aurions tout intérêt à ’’faire du judo’’ (i. e : utiliser leurs forces) dans le but de réformer et d’améliorer l’Union : voeux sincères de tous ceux d’entre les ’’nonistes’’ d’hier qui ne cherchent pas à détruire l’Union par le dénigrement irréfléchi et systématique...

  • Le 16 novembre 2007 à 17:33, par valéry En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    On peut parfaitement en effet trouver des consensus voire des accords avec des personnes de gauche qui ont choisis d’exprimer leur défiance envers le traité constitutionnel.

    Pour beaucoup de choses, une partie d’entre eux — ceux qui ont un désir authentique de voir l’Europe s’améliorer — pas les gauchistes, le choix du non ne relevait pas d’une appréciation différente de la notre des qualités et défauts du traité mais plus un choix relevant du contexte. Comme certains l’ont expliqués, ils espéraient après la présidentielle — dans l’hypothèse d’une victoire — orienter la renégociation dans un sens plus proche de leurs préoccupations.

    Nous estimions que cette hypothèse n’était pas raisonnablement envisageables et que les conséquences d’un Non seraient avant tout au profit des conservateurs et des partisans d’un marché moins contrôlés. Les faits ont prouvés que nous avions eu raison, mais peu importe : ces personnes ont un engagement respectable et sont des interlocuteurs légitimes.

    Pervenche Bérès a d’ailleurs annoncé son soutien au nouveau traité car elle fait partie de ceux qui sont conscients qu’une sortie de crise est indispensable avant de pouvoir progresser à nouveau. Nous devrions d’ailleurs je pense lui proposer une interview sur le Taurillon (Fabien ?)

    En revanche il est consternant d’observer que les militants nationalistes et sociaux nationalistes tentent purement et simplement de refaire le débat de 2005 qui leur avait valu un 1/4 d’heure de célébrité sans prendre en compte le fait qu’il s’agit d’un nouveau traité, hélas bien différent sur l’essentiel, et d’autre part que le contexte est également très différent. Ceux là doivent être combattus aujourd’hui comme autrefois et comme nous devrons encore les combattre demain. Leur idéologie est dangereuse.

  • Le 17 novembre 2007 à 14:26, par Ronan En réponse à : Publius connait-il une dérive eurosceptique ?

    Je partage cette analyse. Mais je ne suis pas franchement sûr qu’on puisse vraiment classer les actuels rédacteurs de « Publius » dans la catégorie des irréductibles gauchistes - eurosceptiques par principe (?) et nationalistes par idéal (?) - avec lesquels il ne serait décidément pas possible de discuter. Il me semble que les principales critiques qu’ils adressent à l’égard de l’UE actuelle (opacité, manque de transparence, déficit démocratique) sont exactement les mêmes que celles que, nous aussi, nous formulons. Et ce n’est que par défaut (défaut de protection sociale, défaut de démocratie...) qu’ils se tournent vers l’Etat-nation...

    Quant au nouveau Traité (de Lisbonne), c’est là un autre problème : sa substance même en fait là en fait une bien timide, bien imparfaite et bien incertaine ’’sortie de crise’’... A mon sens il n’en n’est d’ailleurs pas vraiment une : en fait, la vraie crise est pour demain. Et, sauf recherche d’une vraie ’’sortie de crise’’ par la voie démocratique, il me semble que l’avenir de l’Union risque, à terme - entre stagnation économique, déficit démocratique et impopularité encore croissante - d’être singulièrement compliqué.

  • Le 7 décembre 2007 à 13:22, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Publius s’ouvre à de nouveaux contributeurs

    Suite à différents échanges sur l’avenir de Publius, de nouveaux contributeurs ont rejoints le blog qui redeviens désormais un blog collectif où publient des personnes ayant des approches diverses sur les questions européennes.

    J’ai ainsi posté une première contribution ce matin.

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