Sergio Ghizzardi dans les couloirs de la Présidence française

Le 10 janvier à 22h55 sur ARTE, diffusion du documentaire « Europe, 180 jours pour convaincre »

, par Laurent Nicolas

Sergio Ghizzardi dans les couloirs de la Présidence française

Le Taurillon a interviewé le journaliste belge Sergio Ghizzardi, qui a suivi pour ARTE quatre ministres clés de la Présidence française de l’Union européenne.

Dans les pas de Christine Lagarde, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Louis Borloo et Michel Barnier, le film dévoile le fonctionnement d’une présidence du Conseil qui s’ouvre sur le « Non » irlandais au Traité de Lisbonne.

Taurillon : Ces six mois de présidence ont marqué le retour, parfois brutal, d’une volonté de la France d’être au cœur des affaires européennes. Comment cette attitude a-t-elle été perçue par les médias étrangers ?

Sergio Ghizzardi : Il faut constater que la présidence a été considérée comme un succès par tous les médias européens. Le Président Sarkozy a surtout profité des crises qui se sont présentées à lui (Géorgie, crise financière) et de l’absence de leadership américain pour replacer la France au centre des décisions en Europe et permettre à l’Europe de retrouver une voix qui compte dans le monde.

D’autre part, si le style Sarkozy a plu, pour paraphraser Wolfgang Proissl du FT Deuschtland, il aurait pu lassé très vite si cette présidence avait duré plus de six mois.

Taurillon : Lors des négociations au Parlement européen sur le paquet énergie-climat, plusieurs députés pointaient du doigt l’influence des lobbys industriels dans le compromis final qui a été soumis aux chefs d’Etat et de gouvernements. Vu de l’intérieur, avez-vous réellement l’impression que les lobbys ont dénaturé le texte ?

SG : Il est un fait que la proposition de la Commission a été modifiée substantiellement tant au Parlement européen que lors du Conseil européen de décembre. Les textes ont été globalement assoupli mais les objectifs politiques restent gravés dans le marbre. Il faudra donc voir avec le temps comment on procèdera pour leur mise en application. Il est un fait clair que les lobbys on tjoué un rôle important dans la modification des textes en s’appuyant à la fois sur les Parlementaires européens et sur les gouvernements nationaux.

Taurillon : Votre film montre à quel point la Commission européenne et son président, J. M Barroso, sont restés dans l’ombre de la Présidence française pendant les deux crises majeures de ces six mois : la guerre russo-géorgienne et la crise financière. Est-ce d’après vous un choix de circonstance, dicté par l’ampleur et les caractéristiques de ces deux crises, ou est-ce davantage révélateur d’un déséquilibre croissant des institutions de l’Union, au profit des gouvernements des Etats membres ?

SG : S’il est un reproche qu’on peut faire au Président de la Commission européenne est d’avoir transformé la Commission en secrétariat du Conseil. Comme le disait Jean-Pierre Jouyet sur son blog où est le temps d’une Commission qui met en marche de grands projets. Mais le déséquilibre entre le Conseil et la Commission vient également du fait que si la phase d’élargissement de l’UE a bien eu lieu, celle de l’approfondissement est restée à l’arrêt. Cela a rendu le paquebot Europe encore plus difficile à mener et plus dépendant des velléités des différents Etats membres.

Nicolas Sarkozy a profité de ce vide et de la frilosité de la Commission pour occuper tout l’espace. Il a donc renforcé le déséquilibre entre les institutions.

Taurillon : Alors que l’Allemagne s’opposait à tout plan européen dont elle se voyait premier contributeur, le Royaume-Uni a joué un rôle moteur dans la réaction européenne à la crise financière. Peut-on interpréter cela comme un regain d’intérêt des britanniques pour l’Europe ? Qu’en disent vos collègues d’outre-manche ?

SG : La livre et la City ont payé le prix fort durant crise. L’Euro, lui, a servi d’amortisseur aux différents pays membres. Ainsi, qu’aurait valu le franc belge, par exemple, si il n’y avait pas eu d’Euro alors que ce pays continue de traîner un crise de régime larvée et a subi la crise financière de plein fouet en devant intervenir à la fois pour Dexia et pour Fortis ? Les attaques contre cette monnaie auraient été terribles à l’image de celles rencontrées en Suède ou en Islande.

Lors d’un débat radio, Jose Manuel Barroso a laissé entendre que le P.M Brown lui aurait dit qu’il eut préféré être dans la zone euro pour affronter cette crise. Je ne sais pas si on peut parler de regain d’intérêt mais il est clair que certains milieux politiques et financiers britanniques voient aujourd’hui, en ces temps de crise, un intérêt pour le Royaume-Uni de rejoindre la zone euro. Cependant, ce discours doit être tempéré par un calendrier électoral qui ne permet aucun mouvement dans les mois à venir.

Taurillon : Entre le paquet énergie-climat et la crise financière, on a peu parlé pendant ces six mois du travail de Michel Barnier qui avait pour mission d’établir un « bilan de santé » de la Politique Agricole Commune. Pourtant l’enjeu est de taille car la réforme de la PAC reviendra sur le devant de la scène pendant les élections européennes et lors des prochaines négociations sur le budget de l’Union. Entre une Commission très libérale et la Présidence française soucieuse de ménager l’agriculture nationale, qu’avez-vous perçu des rapports de force politiques sur ce sujet ?

SG : Pour Michel Barnier il y avait deux objectifs : conclure ce qu’on a appelé le Bilan de santé de la PAC, et lancer le débat sur la réforme de la PAC. Si Michel Barnier a réussi à conclure le bilan de santé, il n’a par ailleurs pas réussi à conclure le débat sur les futurs objectifs de la PAC. Dans le débat qui aura lieu en 2013, il y aura 3 grandes forces en présence :

 Les pays agricoles qui bénéficient de la PAC et désirent garder une PAC forte(France, Espagne, Allemagne)
 Les pays qui désirent libéraliser et supprimer le plus possibles les aides liées à la production et faire disparaître le premier pilier au profit du deuxième pilier (RU, Danmark, Pays-Bas).
 Les nouveaux pays membres qui désirent bénéficier de la PAC à hauteur des anciens pays membres

Les débats seront apres.

Pour ce qui concerne la Commisssion, il est clair que la Commissaire Fisher Boel a une vision très libérale mais les prochaines négociations sur le budget auront lieu après les élections européennes. Les portefeuilles seront donc redistribués et les rapports de force politiques tant au Parlement qu’à la Commission européenne auront changé.

Taurillon : Nicolas Sarkozy a été très présent pendant ces six mois de présidence. Il a souvent agacé l’Allemagne et fait de l’ombre à la Commission et aux petits pays de l’Union. Mais il a sans doute réussi à rendre l’Europe plus lisible vis à vis de l’extérieur. Pour l’Elysée cette présidence est un succès, la France est de retour en Europe. Mais à l’inverse, avez-vous le sentiment que l’Europe a autant gagné que la France pendant ces six mois ?

SG : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Si Nicolas Sarkozy a agacé l’Allemagne, c’est surtout l’inexistence de la Commission européenne face à Sarkozy qui a agacé les petits pays. La Commission a toujours eu pour tradition de défendre les intérêts de petits pays. Face à une Commission timorée, ceux-ci ne se sont plus sentis défendu. Or l’Europe de Nicolas Sarkozy est intergouvernementale et une Europe plus intergouvernementale est plus défavorable aux petits pays.

Cependant, il est clair que dans la gestion de la crise financière, la réactivité de la présidence française a permis d’éviter une crise majeure. Qu’aurait été la gestion de cette crise sous présidence tchèque sachant qu’ils sont euro-sceptiques et non membre de la zone euro ?

Nicolas Sarkozy a notamment bénéficié du manque de leadership américain dans la gestion de la crise financière et même dans la gestion de la crise géorgienne. Avec Barak Obama, les Etats-Unis vont certainement vouloir reprendre ce leadership. On le voit clairement sur le dossier énergie-climat. Comment cela va-t-il se traduire pour les Européens, vont-ils pouvoir garder l’espace qu’ils ont occupé dans la gestion de ces deux dossiers. Comment la Présidence tchèque va-t-elle prendre le gouvernail européen ? Vont-ils le faire dans un esprit de continuité ? Vont-ils changé de cap ?

Je me permets de conclure en disant qu’une fois de plus le manque de Traité de Lisbonne se fait sentir. Avec une Europe qui s’intergouvernentalise, un Président du Conseil européen au mandat plus long aurait été préférable et surtout aurait permis une plus grande continuité de l’action et de consolider les « points marqués » par le Président Sarkozy durant la Présidence française.

Le film

« Europe, 180 jours pour convaincre », de Sergio Ghizzardi, Domino Production

Première diffusion sur ARTE, samedi 10 janvier 2009 à 22h55

Illustration

Christine Lagarde et Peer Steinbrück au conseil des ministres de l’économie et des finances à Nice, le 4/11/08. Photo issue du site officiel de la PFUE

Vos commentaires
  • Le 12 janvier 2009 à 06:23, par Martina Latina En réponse à : Sergio Ghizzardi dans les couloirs de la Présidence française

    Merci pour la diffusion de cet entretien avant le reportage (tardif) d’ARTE ! Maintenant, comment l’Union Européenne et plus spécialement la toute jeune Union Pour la Méditerranée peuvent-elles agir pour que l’équilibre et la paix s’établissent sur le rivage oriental de la Méditerranée, juste au sud du rivage d’où partirent les figures mythiques d’Europe et du taureau vers l’aventure fraternelle et réelle appelée EUROPE ?

  • Le 17 mars 2009 à 11:33, par Nath En réponse à : Sergio Ghizzardi dans les couloirs de la Présidence française

    Merci pour cette article, On comprend mieux les enjeux majeurs de la PFUE, toutefois qu’en est il de la cible Grand Public, comment les français ont-ils ressentis cette Présidence française, se sont-ils sentis investis, concernés ? N’y a-t-il pas eu de véritables déficits de communication en ce sens ?

    Quelles étaient les véritables cibles de communication de cette PFUE, les citoyens français ou bien les partenaires européens ?

    Y a t il une rediffusion de cette émission prévue ?

    Merci

  • Le 17 mars 2009 à 13:03, par Laurent Nicolas En réponse à : Sergio Ghizzardi dans les couloirs de la Présidence française

    Malheureusement aucune rediffusion n’est prévue...

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom