Sommet de Copenhague (3/3) : l’Europe entre occasions manquées et opportunités futures

, par Fabien Monteils

Sommet de Copenhague (3/3) : l'Europe entre occasions manquées et opportunités futures

La confiance est peut-être la principale inconnue des dynamiques en cours. Elle est pourtant décisive en ce qu’elle détermine le caractère principalement conflictuel ou coopératif de la nouvelle géopolitique climatique. Constat alarmant, elle était d’ailleurs la grande absente de Copenhague. Elle semblait pourtant la seule à même de permettre de basculer dans un mode de négociations réellement multipolaire. De ce point de vue, l’incapacité des pays développés à prendre des engagements ambitieux à la hauteur des enjeux est coupable.

Même l’Union Européenne, qui a su depuis Poznan alimenter un dialogue constructif sur la base d’engagements substantiels de réduction de ses émissions, n’a pas su confirmer ses bonnes intentions par des ambitions pourtant indissociables en matière de transfert financier vers les pays vulnérables. Dans ce contexte incertain, sans aucune garantie ni signal fort de la part de partenaires solides, les tentatives de rapprochement entre les pays les plus vulnérables de l’AOSIS (petits Etats insulaires) et les PMA (Pays les Moins Avancés) n’ont pas abouties, et les quelques initiatives isolées de pays vulnérables comme Tuvalu ont surtout laissé l’image de gesticulations désespérées empreintes d’exaspération et d’impuissance. Simultanément, les manœuvres politiques des dernières semaines et des derniers jours impulsées par les chefs d’Etat et de gouvernement européens comme Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown sont souvent apparus davantage comme des tentatives de déstabilisation et de division, plutôt que comme les signaux crédibles et fondateurs d’un véritable partenariat structurel entre ces groupes de pays sur la question du climat et du développement au sens large. En matière de confiance, le moins que l’on puisse dire est que tout reste à faire. Et pourtant, les motivations objectives de rapprochements stratégiques sont perceptibles, des pays vulnérables entre eux d’une part, et entre l’Europe et les pays vulnérables d’autre part.

Loin d’être écartée de l’arène climatique par un dénouement de Copenhague qu’elle avait peut-être « dépassé », l’Europe reste justement un acteur incontournable de cette nouvelle géopolitique et dispose encore de leviers d’actions et de propositions substantiels. Au-delà de ses capacités de manœuvre, l’Europe représente aussi un modèle. Le processus de négociation ayant accouché du Paquet Climat Energie reste un exemple de réussite dans un contexte particulièrement délicat – et qui prouve au passage qu’il est plus aisé de construire des accords ambitieux avec des partenaires réticents une fois démontrée la volonté des pays riches de partager pour soutenir le développement des pays voisins, en l’occurrence des nouveaux entrants de l’Europe de l’Est. Au-delà même du processus politique, l’Europe peut aussi présenter des instruments institutionnels exemplaires et salutaires face à la double impossibilité d’une gouvernance mondiale et d’un consensus international ambitieux. Le mécanisme de coopération renforcée est peut-être le meilleur exemple d’un dispositif propre à contourner les blocages de l’approche consensuelle. On en retrouve un bourgeonnement dans l’article 7.2.C de la Convention qui instaure la notion de « facilitation de la coopération ». L’Accord de Copenhague engageant une trentaine de pays et dont la Convention a simplement « pris note » est a priori un camouflet au rêve de multilatéralisme. Il sonne probablement le glas d’un accord contraignant sur le climat engageant les 192 pays membres de la Convention. De part son expérience, l’Europe peut apporter des éclairages et des outils pour remettre le processus international sur les rails.

En réalité, est-il nécessairement préférable de forcer un nouvel accord consensuel au rabais, un Protocole de Kyoto bis sur lequel tout le monde s’accordera une nouvelle fois pour dire qu’il est « insuffisant mais c’est un premier pas », alors qu’un ensemble d’accords de type « coopération renforcée » mieux adaptés aux circonstances nationales, sous un chapeau international, pourrait permettre au final d’engager l’essentiel des pollueurs d’aujourd’hui et de demain sur une trajectoire globalement acceptable. Dans ce scénario, le défi pour les plus vulnérables de l’AOSIS, des PMA et de l’Afrique sera d’exister et de faire reconnaître leur droit à l’existence, à l’adaptation et aux compensations. Les ressources naturelles, la contribution à l’atténuation du changement climatique, la menace démographique et migratoire, ou encore l’affirmation d’une conscience humaniste mondialiste en occident sont des atouts et des leviers de négociation non négligeables, si tant est qu’une cohésion entre ces pays sait se faire jour autour de quelques leaders crédibles et visionnaires. Copenhague, c’est peut-être aussi une nouvelle chance historique pour l’émergence d’une véritable force non alignée dans un monde multipolaire.

Enfin, l’émergence douloureuse du monde multipolaire à laquelle nous assistons a cela de décisif qu’elle ouvre la voie à l’expression d’une véritable diversité. Outre le fait d’éviter les blocages de front tels qu’observés à Copenhague et qui constituent une véritable prise d’otage pour la moitié du monde, c’est la multiplicité même des stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique et la vitalité des coopérations qui permettront d’innover et de déterminer les réponses gagnantes de demain. Car au-delà des calculs d’apothicaire sur les réductions d’émissions ou les transferts financiers sur lesquels les pays veulent et peuvent bien s’engager, il faut bien rappeler qu’à ce jour la communauté internationale est pour le moins dubitative et divisée quant aux stratégies opérationnelles à mettre en œuvre pour solutionner le problème. Entre les nouveaux chantres du capitalisme vert, du salut technologique, et le front de défense des droits de la Terre Mère en Amérique Latine, l’écart et grand et nul n’a été jusqu’ici capable de démontrer la capacité de succès et de répliquabilité de sa formule. Dans tous les cas, si l’individualisme et le consumérisme sont à l’origine de la crise climatique, et qui plus est de la crise systémique actuelle, nul doute que l’ouverture à la diversité et à la créativité sera un facteur clé de succès et de salut.

Copenhague a marqué une étape indispensable dans l’évolution de la communauté internationale. Ainsi, Copenhague représente un pas en avant, certes insuffisant, confus, ouvrant sur un monde flou et incertain, mais qui peut encore nourrir l’espoir. Cet espoir doit s’ancrer dans le monde réel, dans la compréhension et la réponse ambitieuse à un contexte géopolitique en évolution qui demeure aujourd’hui largement fantasmé. En l’état actuel des choses, on ne peut relever le défi du changement climatique en espérant seulement l’émergence d’une conscience collective, politisée et matérialisée, propre à endosser la gouvernance du monde face à ce type de défi global. La marche du monde contre le réchauffement climatique passe par une transformation en profondeur du jeu géopolitique, en gardant à l’esprit que seule l’évolution préalable et assumée des rapports de force déterminera la réforme plus fondamentale des structures et des règles du jeu. Il est temps de tirer les deux principales leçons géopolitiques de Copenhague pour s’engager encore plus fortement dans la course contre la montre climatique. En premier lieu, le changement climatique et le péril écologique au sens large s’imposent désormais comme les dynamiques structurantes majeures des relations internationales. Enfin, la vision géopolitique du monde fondée sur la fracture Nord-Sud, héritée de l’époque coloniale, à peine voilée par la Guerre Froide et dont le Protocole de Kyoto illustre les vestiges sous la Convention, est désormais dépassée. La lutte contre le changement climatique ne passe pas par le rêve prématuré d’une gouvernance mondiale éclairée, mais par l’animation souveraine et ambitieuse de nouvelles relations internationales fondées sur les nécessités climatiques, écologiques et culturelles qui s’imposent à notre siècle.

Lutter contre le changement climatique revient à cheminer sur une corde tendue au dessus d’un précipice. C’est un exercice complexe et périlleux, les marges de manœuvre sont étroites, les échappatoires inexistants, et l’issue forcément théâtrale… La question reste de savoir si l’Humanité s’en remet à la bienveillance des vents contraires ou si elle se rend maître de son balancier pour avancer. A Copenhague, le funambule a au moins ouvert les yeux.

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