Une révolution dans les relations sino-européennes ?

Vers une République fédérée de Chine

, par Maël Donoso

Une révolution dans les relations sino-européennes ?

Dans un contexte de crise économique et de méfiance accrue des citoyens chinois envers le parti au pouvoir, la publication de la Charte 08 pourrait lancer un processus de démocratisation de la Chine. Quelles conséquences pour l’Europe et l’équilibre des relations internationales ?

Près de vingt ans après les évènements de la place Tian’anmen, un groupe de démocrates chinois publie la Charte 08, manifeste en dix-neuf points pour la démocratisation du système politique chinois, le respect des droits humains et la formation d’une République fédérée de Chine. Les propositions concrètes vont de l’instauration du pluripartisme à la séparation des pouvoirs, en passant par la liberté d’association, de réunion et d’expression. Ce texte, considéré comme particulièrement abouti et réaliste, rassemble des signataires très divers, certains au sein même du parti. D’où l’appréhension croissante qu’il suscite au sein du gouvernement chinois, qui n’a cependant pas réussi à éviter sa diffusion, malgré des arrestations et des intimidations.

La montée en puissance de la Chine : un bilan ambigu

Le vingt et unième siècle ne se fera pas sans la Chine. À long terme, aucune stabilité ne pourra être trouvée tant que ce pays ne jouera pas un rôle à sa mesure, à la fois en Asie et dans le reste du monde. Contre tous les tenants du « péril chinois », commençons par affirmer qu’une Chine forte n’est pas un danger, mais une condition nécessaire à la fondation d’un nouvel ordre international. On ne peut pas se déclarer défenseur de la démocratie à l’échelle planétaire, et en même temps vouloir restreindre l’influence du pays le plus peuplé du monde.

Ce serait un pari risqué que d’estimer le travail, la persévérance et les sacrifices qui ont dû être faits par la Chine pour se doter d’une économie moderne, et concurrencer aujourd’hui les États-Unis et l’Europe dans le commerce mondial. Le niveau de vie chinois a indéniablement augmenté depuis trois décennies, même si les progrès ont touché les populations de manière très différente, et ont surtout profité aux riches villes de la côte. Avec l’augmentation des richesses, une nouvelle classe moyenne a pu se développer et favoriser le renouveau scientifique, technologique et culturel de la Chine.

Cependant, les dérives autoritaires du gouvernement chinois sont connues et ne peuvent être cautionnées, et on sait que la prospérité du pays s’est construite en grande partie sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, privée de syndicats et de protection sociale. On peut se demander si la transition industrielle et économique aurait pu se produire dans un État démocratique, et si un gouvernement plus libéral aurait eu la moindre chance de la mener à bien en aussi peu de temps. Toujours est-il qu’aujourd’hui, la démocratisation de la Chine paraît non seulement possible mais fortement souhaitable, tant l’autoritarisme et l’inertie du parti semblent désormais bloquer, et non encourager, les futures avancées chinoises.

Vers une Chine nouvelle ?

Pour Jean-Philippe Béja, chercheur au CEFC (Centre d’études français sur la Chine contemporaine), la Charte 08 est un texte unique en son genre. Interrogé par le Figaro, il affirme qu’elle est « certainement le texte le plus abouti depuis vingt ans, aussi large tant par les sujets couverts, qui vont des droits civiques à l’environnement, que par l’éventail des signataires », et ajoute que c’est la première fois que « l’on va au-delà de la dissidence classique et que l’on trouve des signataires qui sont à l’intérieur du système ».

Il semble peu probable que la Charte 08 suffise, à elle seule, pour amener un changement radical dans un pays totalement contrôlé par le parti au pouvoir. Mais le mouvement de contestation est réel et grandit chaque jour, porté à la fois par les paysans, les ouvriers et les intellectuels. Et si l’opposition ne s’est pas encore rassemblée en un véritable parti, cette formidable vague semble se renforcer, comme le prouve l’explosion des statistiques sur les troubles à l’ordre public. Face à la volonté du peuple chinois de démocratiser le pays, la classe politique actuelle ne pourra pas continuer longtemps à imposer son inertie, et la Charte 08 pourrait devenir l’un des plaidoyers qui mettront le feu aux poudres.

Le point dix-huit de ce texte dessine ainsi les contours de cette Chine nouvelle : « Nous devons explorer, en faisant preuve de grande sagesse, les pistes potentielles et les réaménagements institutionnels pouvant mener à la prospérité commune des diverses ethnies de Chine et, dans le cadre du constitutionnalisme démocratique, fonder une République fédérée de Chine. » La vision proposée est donc celle d’un État fédéral et démocratique, qui par ailleurs, ainsi que cela est précisé dans ce même point, devrait poursuivre la collaboration avec Taiwan dans un esprit d’équité et de réconciliation.

Quelles conséquences sur l’ordre du monde ?

La forme de gouvernance, fédérale et démocratique, que ce mouvement d’opposition souhaite donner à la Chine, est donc très semblable à celle que nous recherchons nous-mêmes pour l’Europe. Si de tels principes aboutissent, les Européens et les Chinois pourraient avoir bien plus d’expériences, de chantiers et de défis à partager qu’ils n’en ont jamais eu tout au long de leur histoire. De l’extrémité occidentale à l’extrémité orientale de l’Eurasie, le fédéralisme et la démocratie pourraient construire un nouveau trait d’union, politiquement et historiquement inédit.

Il n’est pas interdit de réfléchir un instant aux enjeux géostratégiques et politiques d’une telle révolution. Si la Chine parvient à renverser les corruptions et les injustices qui minent actuellement son gouvernement, et à se doter d’une structure fédérale où le peuple prendrait toute sa part, un nouvel équilibre planétaire pourrait être établi. Le monde multipolaire serait alors stabilisé par quatre grandes puissances fédérales et démocratiques, représentant ensemble plus de la moitié de la population mondiale : les États-Unis, l’Europe, l’Inde et la Chine.

Bien sûr, la République fédérée de Chine n’est pas encore à l’ordre du jour, mais cette solution devient chaque jour un peu moins irréaliste. En tant qu’Européens, nous devrions encourager le renouveau démocratique de la Chine, et nous engager pour accueillir les Chinois comme des amis et alliés. La coopération avec les forces progressistes chinoises, et non la crainte ou la méfiance devant une puissance émergente, seront nos meilleures armes pour préparer le nouvel équilibre planétaire.

Au lieu de craindre la Chine, l’Europe doit être prête à soutenir le renouveau démocratique chinois, qui porte non seulement des espoirs pour de meilleures relations sino-européennes, mais aussi pour la paix et la stabilité à l’échelle mondiale.

Illustration : photographie du drapeau de la République populaire de Chine. Source : Wikimedia.

Vos commentaires
  • Le 7 février 2009 à 07:18, par Martina Latina En réponse à : Une révolution dans les relations sino-européennes ? ET La Grèce, cheval de Troie de la chute de l’euro ?

    Ces deux articles et leurs titres interrogatifs se télescopent d’une manière violente, mais dynamique. En effet, alors que je songeais ces jours-ci à deux mots familiers dont les sources demeurent aussi profondes que fécondes, VALEUR et SOCIETE, je me suis aperçue qu’ils nous amènent à traiter l’URGENT tout en nous offrant les moyens d’action ESSENTIELS. Car une VALEUR s’estime soit par la solidité d’un objet, soit par la santé (notamment morale !) d’une personne ou d’une SOCIETE. Or l’étymologie définit celle-ci comme un GROUPE EN MARCHE. N’est-il pas temps de susciter et d’entretenir la solidarité entre EUROPEENS pour soutenir dans ses difficultés économiques, entre autres pays, la nation mère de L’EUROPE, la Grèce, puisque l’EURO n’est pas une VALEUR « refuge », mais la monnaie d’une union appelée à s’harmoniser toujours mieux ? Dans le même temps, ne faut-il pas continuer de pratiquer une ouverture concrète et courageuse dans les relations sino-européennes, à la manière récente du Parlement Européen face à la dissidence chinoise ? Une chose est sûre : EUROPE signifie LE REGARD A LONGUE PORTEE, donc l’action responsable et concertée pour ajuster, à travers nos VALEURS et à l’échelle de la SOCIETE humaine, nos moyens de LIBERTE à la fin, certes lointaine, mais aussi quotidienne, du VIVRE ENSEMBLE !

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