Ouvrage de prospective géostratégique :

Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

Et quel rôle pour l’Europe ?

, par Ronan Blaise

Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

Voilà un ouvrage qui, sorti au mois de septembre dernier, aura défrayé la chronique et connu un beau succès d’estime lors du dernier trimestre 2005...

Un ouvrage de prospective géostratégique élaboré par une officine de la CIA.

Médiatisé alors sous le nom de « Rapport de la CIA » et bénéficiant, là encore, d’une brillante préface d’Alexandre Adler d’une cinquantaine de pages, il s’agit là d’un vaste travail de compilation d’informations et de recherche prospective.

Et cet énorme travail a été opéré par un « think tank » étasunien effectivement en connection directe avec la centrale de renseignement américaine, avec le Pentagone et avec le Département d’Etat : le « National Intelligence Council » ou NIC (i. e : Conseil national du renseignement (www.cia.gov/nic).

Ce document -co-écrit par vingt-cinq universitaires et autres experts internationaux (et initialement dénommé « La carte du monde futur : rapport projet 2020 » )- a été élaboré dans le but de fournir des pistes de réflexions et d’actions pour les dirigeants étasuniens des quinze années à venir.

En effet, comme l’indique le sous-titre de cette édition française, il s’agit surtout là d’imaginer « Comment sera le monde en 2020 ? » tout en nous demandant, à l’instar des experts de la CIA, si (page 166) ’’l’Europe pourrait-elle devenir une superpuissance ?’’.

En effet, pour ce qui nous concerne il nous semble effectivement opportun de jeter un petit coup d’œil sur ce que ces fameux experts américains pensent pouvoir être le futur rôle de l’Europe dans le monde à venir et pour les quinze prochaines années.

Après en avoir lu et relu les quelques pages touchant de près ou de loin le sujet (pages 157 à 160, pages 163 à 171, pages 166 à 168 et pages 175 à 177), on en retiendra donc principalement les points suivants :

Que sera l’Europe en 2020 ?

Par delà les éventuelles turbulences événementielles à venir, l’Europe y est surtout décrite comme une « puissance vieillissante » sur le déclin (page 157).

Une Europe ’’sur le déclin’’ puisque subissant des mutations démographiques aux conséquences évidentes -bien que prévisibles- pour ses structures sociaux-économiques.

(Dans un monde des années 2020 comptant près de 7,8 milliards d’individus mais dont les populations réunies d’Europe -communautaire ou non- et de Russie ne représenteront qu’environ 10 à 15% seulement de la population mondiale...).

Ainsi les auteurs pointent du doigt (page 166) les grands déséquilibres structurels existant, aujourd’hui, entre actifs « cotisants » et non-actifs « allocataires » d’un État providence à présent au bord de la faillite du seul fait de l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération née lors du « baby boom » (mais non remplacée sur le marché du travail par des effectifs au moins comparables).

C’est pourquoi ils appellent à la redéfinition du « pacte social » et à la rédéfinition de cet « État providence » unissant aujourd’hui les sociétés européennes, au risque de les voir -sinon- glisser de l’impuissance vers la crise, puis de celle-ci vers la faillite, voire la désintégration...

Parmi les remèdes qu’ils préconisent, deux solutions qui feront grincer bien des dents dans nos sociétés conservatrices : recourir à davantage de flexibilité sur le marché du travail et accueillir davantage d’immigration légale (pour combler les emplois laissés vacants par les prochains départs en retraite...).

Relever les défis, pour devenir un « Modèle de rechange »

Au-delà de ces premiers -mais décisifs- défis structurels et politiques, les auteurs voient néanmoins l’Europe conserver un pouvoir d’influence non négligeable dans le monde multipolaire du tout début des années 2020.

Et ce, pourvu qu’elle puisse donc réformer son pacte social, pourvu qu’elle puisse toujours accompagner (voire précéder...) le rythme des grandes innovations technologiques, pourvu qu’elle conserve son aptitude à forger des liens forts avec la Russie (avec laquelle elle pourraît négocier un partenariat énergétique fructueux...) (Cf. pages 170 et 171) ainsi qu’avec le Monde « eurasiatique » (i. e : la Turquie) et avec l’ensemble des pays de la « rive sud » du monde méditerranéen.

Mais aussi (ce qui nous intéresse davantage ici...) pourvu qu’elle puisse continuer de pousser son approfondissement institutionnel « par la rationalisation de son processus de décision trop compliqué » (page 168).

Et ce : tout en sachant se dôter d’une « vision stratégique cohérente et partagée » (page 158) ainsi que -pourquoi pas- d’une Armée européenne, par la rationalisation et la coordination de ses dépenses militaires (page 159).

Ainsi, l’Europe ’’unie’’ pourrait fournir un modèle de gouvernement « ouvert » et « démocratique » au reste du monde ainsi qu’aux nouvelles puissances émergentes (page 159) : une ’’solution de rechange’’ (mais néanmoins toujours ’’occidentale’’) à leur très probable refus politique d’une dépendence davantage encore prolongée à l’égard des États-Unis d’Amérique.

Et c’est dans ce cadre que les auteurs voient enfin l’Europe surmonter ses dernières réticences vis à vis de la Turquie, s’impliquer davantage encore dans le processus de paix israélo-palestinien et dans la stabilisation politique de « l’arc de crise » des anciennes républiques ex-soviétiques et du monde arabo-musulman (pages 175-176-177).

Avant toute chose : des réformes structurelles et sociétales incontournables

Mais les auteurs ne cachent pas que la réalisation de ce scénario plus ou moins optimiste passe d’abord, à leurs yeux, par de profondes réformes sociales et comportementales incontournables.

Faute de quoi, les pays d’Europe seront « confrontés à une période de stagnation économique prolongée » qui pourrait (page 160) menacer les « immenses acquis » (sic) résultant de l’actuel processus de construction européenne.

Pour l’heure, ne retenons donc que le scénario « rose » qui nous est ici proposé en ayant la conscience claire des défis politiques et sociaux qui nous attendent pour aller vers une mondialisation, si possible, moins malheureuse...

Car -attention (et c’est d’ailleurs -là- la morale évidente et le sens profond de cet ouvrage...)- le monde qui vient, pour multipolaire qu’il soit, ne s’annonce néanmoins pas comme un monde particulièrement calme ni appaisé.

Car, entre affirmation de la puissance étasunienne, contestation révolutionnaire islamiste et montée en puissance de ’’nouveaux géants’’ politiques économiquement dynamiques (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Russie, Indonésie, Afrique du sud, etc), ce XXIème siècle qui se profile devant nous s’annonce vraiment difficile pour toute société fragile qui serait, décidément, incapable de se réformer.

Un diagnostic qui, en tout cas, ne doit pas nous laisser insensible.

Et ce -qu’on y souscrive ou pas- dans la mesure où (de toute façon et quoi qu’il advienne véritablement...) c’est précisément ce diagnostic là qui guidera l’action -à l’égard du monde en général et à l’égard de l’Europe en tout particulier- des prochaines administrations présidentielles étasuniennes qui seront amenées à, prochainement, se succéder à la « Maison blanche »...

 Sources : « Le Rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ? », un ouvrage paru en septembre 2005, aux éditions Robert Laffont (270 pages).

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Vos commentaires
  • Le 8 mars 2006 à 09:44, par Ronan Blaise En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Où on apprend -ce Mercredi 08 mars 2006 - que le « National Intelligence Council » (NIC) coordination des services de renseignements américains mentionnée supra a, ces tous derniers jours, organisé à Washington D.C. un colloque sur... l’Etat de la France.

    Cette France qui, déjà entrée en campagne présidentielles 2007, dit NON à l’Europe un certain 29 mai 2005. Cette France qui se réfugie dans le ’’patriotisme économique’’ (nouvel avatar du colbertisme protectioniste national-étatique). Et cette France qui a connu, au tournant des mois d’octobre-novembre dernier, ses plus graves émeutes urbaines depuis au moins mai 1968.

    Avec, pour principales problématiques : La France peut-elle encore être considérée comme l’un des moteurs de la construction européenne ? Peut-elle encore être considérée comme étant un partenaire fiable et peut-elle encore exercer quelque leadership constructif en Europe ? Le modèle d’intégration civique ’’à la française’’ est-il cassé ?

    Et les élections présidentielles de 2007 peuvent-elles prochainement marquer un tournant positif (?) dans l’évolution future de cette France qui suscite l’interrogation, sinon l’inquiétude de nos partenaires...

  • Le 13 avril 2006 à 14:07, par Marco En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Bonjour,

    Je viens d’achever la lecture de cet ouvrage très pertinent. Je viens d’achever la lecture d’un autre livre « Chine-USA la guerre programmée ». Je n’ai aucune connaissance en geopolitique ni en économie. Cependant, en ce qui concerne la Chine, le rapport du NIC, et l’oeuvre de Jean-François Susbielle ne prévoient pas la même chose. Se trouverait il quelqu’un qui pourrait éclairer ma lanterne à ce sujet ? Merci par avance.

  • Le 13 avril 2006 à 23:13, par Ronan Blaise En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Je ne suis pas persuadé que les thèses évoquées par ces deux ouvrages soient vraiment si contradictoires que cela.

    Dans la mesure où -comme souligné en introduction par Alexandre Adler (pages 12-13 et suivantes...) l’ouvrage du NIC prévoit en fait quatre hypothèses (quatre scénarii) de futurs envisageables :

    (1) le ’’Monde selon Davos’’ (scénario d’une mondialisation ’’heureuse’’), (2) la ’’Pax américana’’ (scénario d’une hégémonie américaine incontestée), (3) ’’Un nouveau Califat’’ (scénario d’une éventuelle ’’révolution-radicalisation’’ islamiste à venir) ou (4) ’’le Cycle de la peur’’ (scénario catastrophe d’un monde livré au chaos) où la rivalité économique et militaire sino-américaine apporte bien sa part d’incertitudes, voire de conflits commerciaux (ou armés) potentiels. Et ce, dans le cadre de nouvelles alliances politiques ’’anti-occidentales’’ conclues entre Téhéran (Riyad ?), Pékin et Moscou... (idées développées pages 24-25 et suivantes).

    (Ronan)

  • Le 24 octobre 2007 à 12:06, par Ronan En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Dans sa préface au « Rapport de la CIA », Alexandre Adler regrettait vivement que ’’cette cartographie du futur n’ait pas d’équivalent d’aujourd’hui en Europe’’. Or, c’est désormais chose faite.

    En effet, il vient justement de sortir aux éditions « Robert Laffont » un livre de ce type intitulé « Le Monde en 2025 » : un ouvrage parfaitement complémentaire du précédant.

    Cet ouvrage - préfacé par Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis septembre 2005 - a été coécrit par de nombreux chercheurs européens en sciences politiques sous la direction de Nicole Gnesotto et de Giovanni Grevi, tous deux membres (comme directrice et chargé de recherches) de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IES-UE). Bientôt une fiche de lecture sur le « Taurillon » ?!

  • Le 9 mars 2009 à 09:28, par Aaron En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Ce rapport de la CIA a vraiment été écrit par des blaireaux. Comment croire que l’Allemagne et la France se battraient pour « l’accès commercial au Rhin » ? Ne perdez pas trop de temps à commenter des oeuvres de propagandes. La seule chose que la CIA peut divulguer, c’est ce qu’elle veut bien laisser voir.

  • Le 9 mars 2009 à 15:33, par Ronan En réponse à : Le rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2020 ?

    Avant de traiter - en vrac - qui que ce soit de « mustélidés » en tout genre, attendez donc qu’une bonne GROSSE crise écologique ne vienne perturber les actuels équilibres géopolitiques et économiques d’aujourd’hui (climat, migrations, gestion des ressources en eaux, etc).

    Notez bien que si l’idée européenne a encore un tout petit peu d’avenir, c’est précisément parce que la vraie crise est encore devant nous. Faute de quoi, ce sera le retour des nations et de leurs égoïsmes sacrés (avec les tragiques conséquences auxquelles le passé nous a tristement habitué).

    Et si la France et l’Allemagne semblent - a priori - épargnées (quoi que...) par ce genre de problématiques, excusez-nous encore une fois d’avoir un peu de sympathie pour tous ceux qui seront davantage concernés par ce genre de soucis (on pense notamment aux pays de l’arc de crise proche-oriental, notamment...). Et dont on peut dire (en tant qu’égoïstes...) que leurs malheurs auront fatalement de lourdes conséquences pour nos sociétés européennes...

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