Un article de notre partenaire : les « Euros du village »

Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

La seule option qui vaille pour le vieux continent

, par Emmanuel Brutin

Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d'Europe »

Ce livre de Guy Verhofstadt vient d’obtenir le 1er Prix du livre européen, décerné le 5 décembre 2007 à Bruxelles, au Parlement européen. Parrainé par Jacques Delors, le Prix du livre européen devait être décerné à un ouvrage exprimant une vision de l’Europe. Nous avons décidé de vous représenter cet ouvrage déjà paru dans nos colonnes en 2006.

Le premier ministre belge sortait un livre en cette fin février, plutôt remarqué, dans lequel il défend sa vision de l’Europe. Nous avons eu le privilège de le découvrir avant sa sortie officielle et lu pour vous, en avant première. Critique et décryptage d’un essai pour une Europe fédérale dans un contexte pour le moins morose...

Dans la période actuelle, marquée par un pessimisme latent sur l’avenir de l’Europe, le manque d’ambition et la défense des intérêts nationaux au détriment d’un avenir européen, le livre de Guy Verhofstadt, « Les Etats-Unis d’Europe » est une véritable bouffée d’air frais pour les fédéralistes.

Les Etats-Unis d’Europe se révèle aussi être une contribution utile et courageuse.

Une contribution utile et courageuse pour une Europe qui n’a plus guère le choix.

Utile parce que la « période de réflexion » décrétée par les chefs d’Etats suite à la crise référendaire ne s’est pas - pour l’instant - traduite par un véritable débat. Dans cette optique, les positions prises par le Premier Ministre belge, résolument fédéralistes, tranchent avec l’assourdissant silence des hommes politiques européens.

Le manifeste - car c’est bien de cela dont il s’agit - de Guy Verhofstadt est aussi une contribution courageuse de la part d’un Chef d’Etat en exercice, appelant ouvertement à la création d’un noyau dur pour faire avancer l’Europe, et qui à ce titre s’expose à la critique des autres leaders européens avec qui il discute à échéances régulières.

L’analyse part d’un constat simple : l’Europe n’a plus vraiment le choix.

Si elle veut continuer à exister politiquement et économiquement dans le monde de demain, dont les puissances majeures seront les Etats-Unis, le Japon, la Chine et l’Inde, l’Union européenne n’a d’autre alternative que de devenir une véritable entité politique.

Ce que l’auteur appelle (un peu naïvement ?) les Etats-Unis d’Europe est donc « la seule option pour le vieux continent ».

Une nouvelle Europe, plus ambitieuse

Au fil des pages, Verhofstadt dessine donc les contours de sa « nouvelle Europe », qu’il imagine formée autour de cinq missions principales : la création d’un « gouvernement et une stratégie économique européen », une nouvelle politique européenne de recherche et de développement, un espace de justice et de sécurité, une réelle diplomatie commune, ainsi que la création d’une « armée européenne ».

On le voit d’emblée, l’auteur se situe droit dans cette tradition de penseurs fédéralistes nés après la guerre, et qui cherchent à se détacher des objectifs « traditionnels » de l’intégration européenne (paix et prospérité) pour dessiner une Europe plus ambitieuse.

Car c’est bien là, nous dit l’auteur, que se situe le problème : les citoyens ne peuvent plus se contenter d’une Europe molle, zone de libre échange. Ce que montrent au contraire les référendums français et néerlandais, c’est un véritable désir d’Europe, le besoin d’une union qui aille au-delà de la simple zone économique et réponde aux préoccupations actuelles.

Tout en insistant sur des idées déjà connues (après tout, les concepts d’armée et de diplomatie européenne, tout comme le besoin de plus d’investissement en recherche ne sont pas nouveaux), Guy Verhofstadt ouvre de nouvelles voies intéressantes. Citons par exemple la création de « largeurs de bandes » entre lesquelles les Etats Membres pourraient fluctuer (en matière de flexibilité du travail, protection des travailleurs, pression fiscale, etc.) et qui permettraient à l’Europe de conserver une cohérence économique tout en laissant aux pays le soin de s’adapter selon leurs traditions.

Dans la même optique, l’auteur propose une refonte totale du budget européen, qui se baserait sur des fonds propres (et non pas sur des contributions nationales) prélevés sur une taxe environnementale ou directement sur la TVA (pour cette dernière, l’auteur suggère que l’étiquetage indique quelle part de la taxe est reversée aux budgets nationaux et européens, de façon à faire disparaître le fantasme d’une Europe baignant dans l’argent).

Le noyau dur, méthode percutante

Plus que sur la description somme toute classique des objectifs politiques de ces Etats-Unis d’Europe, c’est surtout dans la manière de les atteindre que l’ouvrage se montre percutant.

Dans la lignée directe de Joshka Fischer, Guy Verhofstadt appelle en effet à la création d’un « noyau dur », composé des Etats souhaitant poursuivre l’intégration politique. Tout en restant ouvert à tous, ce noyau dur se structurerait autour des onze pays membres de la zone euro. Ce qui exclurait donc a priori la Grande-Bretagne, jamais citée en tant que telle (l’auteur y réfère à un moment comme « l’allié le plus fidèle des Américains au sein de l’UE »), au même titre que les pays de l’Est.

Autour de ce noyau dur « politique » (les Etats-Unis d’Europe) graviterait une « organisation des Etats européens », composé des Etats-membres qui souhaitent que l’Europe se cantonne aux fonctions qu’elle remplit actuellement (assurer la paix et être une zone de libre-échange).

A juste titre l’auteur souligne qu’une telle organisation permettrait de résoudre le dilemme de l’élargissement, qui est continuellement perçu comme un obstacle à un approfondissement politique.

Des objectifs réalisables pour un projet politique sans équivoque

L’ouvrage est donc sans équivoque, ce qui, par les temps qui courent, lui confère un intérêt inestimable. On regrettera cependant que l’auteur ne s’attarde pas plus sur les mesures concrètes pour développer son projet politique (sommet des chefs d’Etats de la zone Euro ? Relance à travers le moteur franco-allemand ?).

A la différence d’autres écrits fédéralistes, Les Etats-Unis d’Europe propose pourtant des objectifs réalisables (ce qui ne veut pas dire faciles à réaliser).

On appréciera d’ailleurs le pragmatisme de l’auteur, qui limite clairement les compétences de l’Union là où son action est utile (respect stricte de la subsidiarité). Dans la même idée, Guy Verhofstadt s’attarde uniquement sur le contenu des politiques européennes, sans tomber dans l’écueil d’un énième remodelage institutionnel allant dans un sens fédéral.

Au final, sans être éclatant dans l’analyse, Les Etats-Unis d’Europe est un ouvrage salutaire, dont on ne peut que souhaiter qu’il provoque un réel débat.

Guy Verhofstadt balise les contours d’un projet convaincant, qui redonne au rêve européen, que Jean Monnet (cité dans le texte) désignait déjà comme « le grand espoir et la chance de notre époque », une certaine fraîcheur porteuse d’espoir.

 A lire :

Guy Verhofstadt, « Les Etats-Unis d’Europe », éditions Luc Pire, Février 2006.

Vos commentaires
  • Le 1er mars 2006 à 23:33, par Fabien En réponse à : Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

    Cette initiative prend enfin corps dans un livre après l’annonce dans un journal belge... Mes économies vont encore avoir mal. Néanmoins, je me dis que ce livre va pouvoir être un de ces manuscrits qui se passe de maisons en maisons.

    A-t-on une idée de sa sortie française ?

  • Le 2 mars 2006 à 17:02, par Geert Vanderbeeken En réponse à : Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

    Comme je suis belge et néerlandophone, j’ai déjà eu la possibilité de lire le petit ouvrage de notre Premier ministre. Et selon moi, Guy Verhofstadt n’apporte pas une vraie remédie pour la malaise qui règne l’Europe aujourd’hui. Le plus grand mérite du petit livre consiste en aviver le débat, mais pas plus que ça.

    D’abord, toutes les propositions qu’il fait sont déjà connues. La création d’un « gouvernement européen », une nouvelle politique européenne de recherche et de développement, un espace de justice et de sécurité, une réelle diplomatie commune et la création d’une armée européenne, on l’a entendu déjà plusieurs fois.

    Deuxièmement, la méthode pour atteindre ces objectifs ne marchera pas. Il propose de créer un noyau dur autour les Etats qui font partie de la Zone Euro. Pourtant ceci veut dire qu’il inclut également les pays comme la Slovaquie, la Lituanie et d’autres qui vont faire partie de la Zone Euro dans l’avenir. Je ne peut pas m’imaginer qu’on rassemble ainsi un group de pays « fédéraliste » avec lequel on peut réaliser les cinq objectifs plus vite.

    Je peut donc conclure que le petit ouvrage n’est pas très satisfaisant. Par contre, une étude comme « MEI 12 : Built to last : a political architecture for Europe » nous propose des idées plus concrètes pour acquérir des institutions européennes plus démocratiques. Ainsi, ils proposent d’organiser des élections directes pour la Commission. Dans leur point de vue, des candidats-président devraient s’entourer avec des candidats-commissaires de différents pays. Après une campagne électorale dans toute l’union, des élections auraient lieu. Ils proposent également de confier au Parlement le droit de proposer des lois. C’est ma sincère conviction que ce genre de propositions révolutionnaires prouveront plus efficace. Les idées de Voltaire ou Rousseau n’étaient-ils pas non plus révolutionnaires ?

    Et Fabien, tes économies ne vont pas avoir mal car ici en Belgique l’ouvrage ne coûte que 10€.

  • Le 2 mars 2006 à 19:04, par Ali Baba En réponse à : Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

    Yippiiiie ! Verhofstadt président ! :-D

    C’est exactement l’Europe que je veux depuis des années ! Lire à ce sujet mon billet suite aux déclarations smilaires d’Alain Minc il y a quelques mois.

  • Le 2 mars 2006 à 20:46, par Ronan Blaise En réponse à : Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

    Plusieurs petites choses :

    (1) Ce n’est parce que les idées de Verhofstadt ne sont pas fondamentalement nouvelles qu’elles sont forcément mauvaises ou ne mériteraient pas d’être ainsi réaffirmées dans le débat public (au contraire...).

    (Nb : Quand on parle autour de moi des « Etats-Unis d’Europe », j’ai toujours une petite pensée émue pour Jean Monnet et... Victor Hugo, qui n’est pas à proprement parler un perdreau de l’année : c’est vous dire si l’idée - pourtant toujours géniale - n’est franchement pas née d’hier...).

    (2) Ensuite, il me semble que Verhofstadt parle de la zone euro d’aujourd’hui (2006), mais pas nécessairement de celle de demain (2009-2010 ?), à laquelle il me semble que vous faites allusion ici.

    (3) Enfin, Oui, je suis assez d’accord avec vous pour dire qu’il nous faut effectivement trouver quelques modalités et moyens pratiques (comme ceux que vous mettez en exergue, ici...) pour rendre possible la mise en place d’un véritable espace civique européen qui transcende les considérations politiques purement territoriales, toujours causes de conflits ; comme la mise en place de véritables et authentiques partis politiques européens, par exemple.

    (Mais ceci est complémentaire de ce que Verhofstadt préconise, et non pas complètement antagoniste, il me semble...).

    (Ronan)

  • Le 14 février 2010 à 14:38, par Baudouin En réponse à : Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »

    Eh oui, les plus civilises d’entre-nous en revent mais ce n’est pas encore gagne au vu d’attaques ad-hominem telles que celles de Krouchner sur les propos de Guy Verhofstadt empreints d’universalisme (il est ecoute jusqu’en Chine) et de bon sens. Voici le lien direct. http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/02/11/il-y-a-quelque-chose-de-pourri-en-republique-francaise-par-guy-verhofstadt_1304295_3232.html

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