Astérix, un héros emblématique de la culture européenne

, par Alexandre Marin

Astérix, un héros emblématique de la culture européenne
Astérix et Obélix, deux Gaulois qui ont su séduire les lecteurs européens. - Crédit photo Clare Snow

En 2014, les albums d’Astérix se vendent partout en Occident. Partout ? Non ! Et ce n’est pas un village qui résiste mais trois cents millions d’irréductibles Américains. Si les albums de la bande dessinée sont impossibles à vendre outre-Atlantique, force est de constater que cinquante-cinq ans après sa création, le petit Gaulois rusé demeure l’un des héros les plus populaires de notre continent. Jusqu’en Amérique latine, il jouit d’une excellente réputation. C’est cette popularité européenne qu’essaye de comprendre le journaliste Guillermo Altares dans un article qu’il publie le 19 juillet dans El País.

Astérix l’Européen !

À première vue, Astérix incarne la caricature de la Gaule présentée par le « roman national » français : les Gaulois tous moustachus, érigeant des menhirs, et constamment divisés. La saga présente une « nation » gauloise face aux autres « nations » picte, helvète, hispanique, etc. La caricature réside surtout en ce que les auteurs présentent la Gaule pour que le lecteur pense à la France actuelle, avec tous les stéréotypes des Français sur eux-mêmes et leurs régions. Cette caricature parodie la manière dont les Français se voient à travers l’Histoire. Malgré tout, Astérix perpétue l’épopée nationale, et se place dans des débats historiographiques datant de la Troisième République, mais révélateurs sur la vision que conservent beaucoup de Français de leurs « ancêtres » à l’heure où la pertinence de ces discussions est de plus en plus remise en cause par l’archéologie. Pour ces raisons, on peut affirmer qu’Astérix est bel est bien le personnage le plus français qui soit. C’est pourquoi, depuis sa création en 1959, il est régulièrement repris par divers courants nationalistes.

Pourtant, ainsi que le fait remarquer Altares, ce petit Gaulois incarne des valeurs européennes, comme la lutte pour la défense d’une culture face à un impérialisme centralisateur. L’album « le domaine des dieux », dont l’adaptation cinématographique sortira sur les écrans en novembre 2014, anticipe l’éclatement de la bulle immobilière. Les auteurs n’oublient pas non plus de présenter tous les clichés européens actuels. Altares cite également Mary Beard, spécialiste du monde romain, qui démontre que les peuples européens se reconnaissent tous dans la bande dessinée, et tous peuvent partager leur histoire, leurs mythes, leurs idées reçues, et leurs fantasmes, respectifs et communs. Quand les fédéralistes s’évertuent depuis 1945 et au-delà, à unir les Européens malgré leurs nationalismes respectifs, Astérix parvient à les rassembler grâce à ces mêmes nationalismes (et non pas à travers un unique nationalisme européen).

Il ne faut pas omettre de mentionner que Goscinny est d’origine polonaise, et qu’Uderzo est fils d’immigrés italiens. Le style du dessin est issu d’un mouvement belge, l’école de Charleroi. Enfin, les albums ont été traduits en cent sept langues officielles dans le monde, en six langues régionales en France, et en vingt-neuf langues et dialectes locaux en Allemagne, sans oublier une traduction en latin. Par conséquent, même si Astérix est le héros national par excellence, il n’en demeure pas moins terriblement européen.

Des cultures en Europe ou une culture européenne ?

Ce qu’il faut en tirer, c’est qu’il n’y a pas une culture européenne uniforme et indépendante des cultures nationales et régionales. Pareillement, toutes les cultures nationales et régionales font partie de la culture européenne parce que, tout simplement, la région et/ou le pays dans lequel elles ont prospéré, fait partie du continent européen. C’est ainsi qu’il faut considérer la culture européenne, quand les Etats-Nations ont, au cours de leur histoire, privilégié une approche uniformisant la leur, en n’acceptant qu’une seule langue et un seul modèle pour toutes leurs provinces.

L’éditeur britannique George Weidenfeld raconte qu’un Américain lui avait demandé ce qu’était la culture européenne. Il lui a alors répondu qu’il avait vu Guillaume Tell à l’opéra de Vienne. Le héros est suisse, le dramaturge, Friedrich von Schuller, est allemand, le compositeur, Giacomo Rossini est italien, le chef d’orchestre était hongrois, les chanteurs solistes étaient tchèques et bulgares. Il lui aurait tout aussi bien défini la culture européenne s’il était allé voir, en Normandie, un opéra mettant en scène un héros breton, écrit par un Alsacien, composé par un Picard, avec un chef d’orchestre provençal et des solistes angevins, limousins, et auvergnats. Ce que Lord Weidenfeld expliquait à son interlocuteur, c’est que la culture européenne n’est pas la simple somme des cultures nationales et régionales, mais la structure de ces dernières, c’est-à-dire qu’elle comprend aussi les affrontements qu’elles s’opposent et les échanges qu’elles réalisent, entre elles, comme vis-à-vis des civilisations extracontinentales.

Du reste, la potion magique qui fait le succès d’Astérix est beaucoup plus simple que toutes les recettes concoctées par Panoramix : la bande dessinée est de grande qualité, les scénarios sont excellents, les gags sont drôles, les dessins sont très bien faits, et les thèmes restent très actuels. Pour autant, le fait culturel ne doit en aucun cas servir à légitimer un quelconque fait politique qui ne le concernerait pas. Goscinny et Uderzo se sont toujours opposés à toute récupération politique de leurs personnages, qu’elle fût de droite ou de gauche. En effet, les habitants du village gaulois se divisent politiquement entre le « devant » et le « derrière », et non entre la « droite » et la « gauche ». Comme chaque bord politique réunit cinquante pour cent des villageois, ceux-ci se sont mis d’accord pour avoir comme chef un centriste : Abraracourcix.

Vos commentaires
  • Le 15 septembre 2014 à 20:21, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Astérix, un héros emblématique de la culture européenne

    Astérix, un héros de la culture européenne ? C’est vrai ! Pour le meilleur, comme en témoigne l’article. Pour le pire aussi, dont il se prémunit...L’esprit de clocher qui a conduit à la grande guerre civile dont on fête (?) aujourd’hui le centenaire !!! Le pire dont certains se revendiquent encore parce que ignorants des Guillaume Tell que nous sommes tous.

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