Bruxelles puis Copenhague, les Danois à l’heure du choix

, par Alexis Vannier

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Bruxelles puis Copenhague, les Danois à l'heure du choix

Dix jours après les élections européennes, les Danois vont se rendre de nouveau aux urnes pour renouveler cette fois-ci leur Parlement national. Ces deux scrutins, à l’échelle européenne puis nationale revêtent toutefois une même importance cruciale pour les partis en présence.

Un gouvernement minoritaire

Dans l’histoire politique du Danemark, l’absence de majorité au Folketing, le Parlement local, y compris avec une coalition est une règle. Il faut remonter à 1993 au gouvernement de centre-gauche de Poul Nyrup Rasmussen pour se rapprocher au plus près d’un gouvernement majoritaire. Le gouvernement sortant du libéral Lars Løkke Rasmussen se distingue néanmoins par une très faible coalition. Sur les 179 députés, sa coalition de centre-droit regroupe seulement 53 élus. Cette fragilité est issue des résultats inédits des précédentes législatives de 2015. En effet, malgré l’effondrement de la coalition de gauche au pouvoir de la Première ministre très médiatisée, les sociaux-démocrates (SD) ravissent la première place en gagnant trois sièges. Le Parti libéral (V) de Rasmussen n’atterrit qu’à la troisième place en perdant 13 sièges.

Mais la grande surprise vient de l’extrême droite. Le parti populaire danois (DF) confirme en effet sa bonne santé après sa victoire surprise lors du scrutin européen en 2014, marqué par une campagne hostile aux immigrés, avec près de 27% des voix. En outre, il refuse de s’allier au niveau européen avec le Front national, évoquant le caractère « antisémite et homophobe » du parti français. Avec plus de 20% des voix aux législatives en 2015 et 37 sièges, le DF devient la deuxième force politique du pays.

Après ces résultats très contrastés, la formation d’un gouvernement s’annonce complexe. Avec la déconfiture de ses alliés de gauche, les Sociaux-démocrates sont contraints de jeter l’éponge. Nonobstant, Kristian Thulesen Dahl, le leader des populistes danois crée la surprise en renonçant au poste de Premier ministre ; estimant qu’il aura plus d’influence hors du gouvernement.

Le poste échoue donc à Rasmussen, déjà chef du gouvernement entre 2009 et 2014, arrivé en troisième position. Échouant à former une coalition, il dirige seul pendant un an, avec seulement 34 députés. Il recevra néanmoins le soutien sans participation du bloc de droite, formé par le parti populaire danois, l’Alliance libérale et le Parti populaire conservateur. Ces deux derniers finiront néanmoins par rejoindre le gouvernement à la suite d’un débat houleux sur un projet de loi de finance, finalement remanié, et portera à 53 députés sur 179, participant à la politique du gouvernement.

Une campagne menée par la gauche pour siphonner la droite

Les derniers sondages [1] sont bons pour les Sociaux-démocrates, et plus largement pour le bloc de gauche, alors que le bloc de droite montre des difficultés à rassembler, plombé par la chute dans les sondages des populistes du DF. Les Sociaux-démocrates, à l’image des Travaillistes britanniques, du Parti démocrate italien et du Parti socialiste espagnol ont opéré un virage à gauche concernant leur politique économique. Néanmoins, concernant le sujet si sensible de l’immigration, le parti de centre-gauche a fait le choix d’aligner leur position sur celle du parti populaire danois. Court-circuitant le discours des populistes, cette stratégie torpille par la même occasion les perspectives d’alliance avec les autres partis du bloc de gauche, peu enclins à cautionner des politiques hostiles à l’immigration.

Les électeurs du DF sont ainsi largement courtisés puisque de nouvelles formations d’extrême droite sont apparues depuis 2015, avec des positions encore plus radicales que le DF, comme avec la proposition de déportation de tous les musulmans du Danemark portée par le leader du parti Stram Kurs (littéralement Ligne dure).

En outre, le parti populaire danois est englué dans un scandale financier. Au cœur de l’affaire, l’eurodéputé Morten Messerschmidt qui aurait détourné des fonds publics européens pour financer son bouquin publié lors des élections européennes. Il a depuis été exclu du parti. Des tourments judiciaires qui ont également poussé une eurodéputée à quitter cette formation en 2015. Le DF a ainsi perdu la moitié de ses représentants à Strasbourg. Le parti libéral au pouvoir, lui, pâtit ainsi des nombreux compromis concédés pour cimenter sa coalition. De plus, plus globalement les électeurs semblent punir le bloc de droite pour les multiples mesures d’austérité décidées depuis la crise financière de 2008.

Dernière tactique du Premier ministre, pour ne pas transformer le scrutin européen en référendum pour ou contre le parti au pouvoir, Rasmussen a décidé de différer d’une semaine les élections législatives nationales. Le gouvernement sortant doit également compter avec un mouvement indépendantiste féroïen et groenlandais, ses soutiens ayant remporté trois de quatre sièges attribués aux territoires danois , même si le référendum d’avril 2018 sur l’adoption d’une nouvelle constitution prévoyant la consultation de la population sur la question de l’indépendance a été annulé à la dernière minute, en raison des désaccords entre partis.

Un scrutin européen en guise d’avertissement

Comme dans la plupart des pays européens, le grand gagnant du scrutin continental est la participation. Elle bondit de 11% au Danemark en s’établissant à 67%. Cette mobilisation a, en l’espèce, profité aux partis traditionnels. Ainsi, Venstre, parti du gouvernement, remporte les élections avec près de 23% des suffrages et trois sièges, améliorant son score de 2014 de sept points. Ce bon résultat est de bon augure pour le Premier ministre et attend l’échéance législative avec un peu plus de sérénité. Les sociaux-démocrates eux se stabilisent autour de 21% et maintiennent leur deux sièges. La surprise vient de la déculottée subie par le parti populiste. Premier parti danois en 2014 avec plus de 26% des voix, il s’effondre de 16 points en se hissant difficilement au-dessus de la barre symbolique des 10% et perd trois de ses quatre sièges. La stratégie de siphonnage suivie par les Sociaux-démocrates comme les Libéraux, expliquée plus haut, semble porter ses fruits. Ainsi, si l’extrême droite semble reculer dans les sondages danois, c’est parce qu’elle a réussi à infuser le débat politique, conduisant à son morcellement partisan, et imposer non seulement ses sujets de prédilection, l’immigration en tête, mais également ses positionnements aux partis traditionnels qui comptent sur ces stratégies pour reconquérir le pouvoir. La possible victoire des Sociaux-démocrates et du bloc de gauche le 5 juin prochain pourrait être un trompe-l’œil quant à l’attachement des Danois pour les valeurs classiques de gauche.

Notes

[1Étude réalisée par CEMPolitik le 13 mai 2019 au Danemark.

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