Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

, par Jo Leinen, Traduit par Barbara Ochotnicka

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Ce sont les partis, espèce d'imbécile !

Perspectives d’une démocratie européenne transnationale, vues par Jo Leinen, Président du Mouvement européen international.

En préparation des élections européennes de 2014, plusieurs partis ont fait campagne sur des thèmes liés à la démocratisation plus poussée de l’Union européenne (UE). Mais comme le système politique de l’UE se conforme d’ores et déjà aux normes démocratiques comparables à celles des États membres, la manière avec laquelle il fallait procéder pour atteindre cet objectif demeurait vague. Le progrès peut et devrait toutefois être accompagnée d’une réforme des partis politiques européens.

Sauf quelques exceptions, tout acte juridique européen doit être approuvé par le Parlement européen, organe élu au suffrage universel direct. Comme dans d’autres systèmes fédéraux, la seconde chambre, les États membres, sont eux aussi tenus de se mettre d’accord à la majorité au Conseil. Le Traité de Lisbonne a davantage lié l’organe démocratique, le Parlement européen, à l’élection du président de la Commission européenne. Mais cela ne veut en aucun cas dire que ce système ne pourrait pas être amélioré. L’abolition de ce qui reste du vote à l’unanimité au sein du Conseil ou quelques procédures législatives, où le Parlement ne joue pas de rôle ou un rôle purement consultatif en sont des exemples. Néanmoins, il existe un potentiel inexploité en ce qui concerne un véritable esprit de démocratie européenne : pour cela, les partis nationaux qui réclament plus de démocratisation de l’UE devraient mutualiser leurs efforts au niveau européen.

Dans toute démocratie représentative, mais surtout dans les systèmes de régime parlementaire, les partis politiques jouent un rôle essentiel. En tant qu’intermédiaires entre la société civile et les institutions politiques, ils sont indispensables pour assurer la défense des intérêts de leurs électeurs. Même si ce n’est pas forcément au sens traditionnel du terme, les partis existent déjà depuis un moment au niveau européen.

Des partis comme le PES (le Parti des Socialistes Européens depuis 1992), PPE (Parti Populaire Européen depuis 1976), ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe depuis 1976), PVE (Parti vert européen depuis 2004) n’ont pas les moyens, le statut juridique ni les pouvoirs pour assumer de manière efficace le rôle classique des partis politiques, qui continue à être rempli par les partis nationaux. Il est particulièrement difficile de définir de manière efficace les programmes électoraux, mener des campagnes et tenir ainsi un débat politique qui dépasse les frontières nationales.

Au sens stricte du terme, les partis européens n’ont jusqu’à présent été reconnu qu’à l’intérieur de l’architecture institutionnelle de l’UE et ceci grâce à l’octroi des aides conditionnelles de l’UE depuis 2004. Le fait qu’en l’absence d’un statue juridique européen pour les partis politiques, les partis devaient s’enregistrer comme organisations de la société civile nationale (la plupart en Belgique ou à Luxembourg), et qu’ils étaient traités comme telles par les autorités nationales, illustre à quel point le niveau de cette reconnaissance a été limité.

De plus, les programmes électoraux des partis européens étaient à peine perceptibles dans les campagnes électorales puisque les sièges au Parlement européen étaient attribués uniquement en fonction des quotas nationaux. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne ne reconnaît pas l’existence des partis politiques européens en tant que véritables partis. Elle a précisé dans ses jugements (dans lesquels l’obstacle de 5% et 3% été déclaré inconstitutionnelle), qu’en 2009, plus de 160 partis ont été représentés au Parlement européen. Une fragmentation plus accentuée des partis ne représenterait alors pas une menace réelle. Le jugement faisant clairement allusion aux partis nationaux, les 13 familles politiques représentées au Parlement européen n’ont pas du tout été prises en compte dans les arrêts de la Cour. Les partis européens exercent donc seulement un rôle de coordination et coordonnent les partis membres nationaux et les membres de la famille politique au sein des gouvernements nationaux avant les réunions du Conseil par exemple.

Les élections européennes de 2014 ont cependant apporté une nouveauté historique puisque les partis européens peuvent désormais influencer la désignation des meilleurs candidats à la présidence de la Commission européenne. Ceci a été rendu possible par les dispositions du Traité de Lisbonne, appliquées pour la première fois, selon lesquelles le Parlement européen élit le Président de la Commission.

En effet, la nomination des « Spitzenkandidaten » et la personnalisation progressive des campagnes électorales a eu un effet positif et a contribué à stabiliser le faible taux de participation électorale. Par rapport aux élection précédentes, les médias ont commencé, grâce en partie aux débats télévisés, à dépasser les frontières nationales et ont accordé plus d’attention aux thématiques européennes. Malgré tout cela, les campagnes électorales ont tout de même continué à être menées par les partis politiques nationaux qui disposaient de ressources et structures nécessaires. Le paradoxe de cette situation est que même si les partis y présentaient des candidats aux postes les plus importants de l’UE, leurs noms et visages, tout comme les noms et les emblèmes des partis politiques, n’ont pas été assez visibles, encore moins sur les bulletins de vote. Vu que l’allemand Martin Schultz était aussi le premier candidat du parti social-démocrate allemand (SPD), il constituait une exception. Mais le parti conservateur allemand CDU mettait en avant presque exclusivement la chancelière Angela Merkel, qui ne s’était même pas présentée aux élections européennes. Le lien entre un candidat et un parti politique n’était donc pas très clair pour les électeurs.

Seule la création d’une démocratie transnationale par le renforcement des partis politiques peut écarter cette ambiguïté. La dernière session plénière du Parlement européen avant les élections constituait un premier pas important dans ce sens. C’était une dernière occasion pour le Parlement de faire passer les lois prévues pour la période 2009-2014 : elle était chargée de dossiers importants tels que l’union bancaire. L’adoption de nouvelles règles relatives aux partis politiques européens a ainsi échappé à l’attention des médias. Néanmoins, cela constituait une petite révolution : pour la première fois dans l’histoire, on a créé un statut juridique pour les partis politiques européens. Ce statue juridique accordera automatiquement une reconnaissance juridique aux partis politiques européens lorsque ce nouveau règlement entrera en vigueur en 2017.

En d’autres termes, tous les États membres accepteraient ainsi l’existence des partis politiques au niveau européen, ce qui servirait de base pour le futur développement de leurs campagnes et activités. Le nouveau Parlement devrait maintenant s’appuyer sur cette décision et faire avancer une nouvelle loi électorale européenne. Le Traité de Lisbonne indique clairement que les membres du Parlement européen sont les « représentants des citoyens de l’Union », et non plus « les représentants des peuples des États », comme c’était le cas dans les précédents traités. Si les membres du Parlement représentent tous les citoyens européens, comment peut t-on accepter que les sièges au sein du Parlement soient distribués uniquement en fonction des quotas entre les partis nationaux ?

Depuis le traité de 1951, instituant la communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), le Parlement européen, encore appelé l’Assemblée parlementaire, et le Conseil ont eu pour mandat d’adopter une loi électorale européenne dans le cadre duquel le Parlement pouvait « élaborer un projet en vue d’établir les dispositions nécessaires pour permettre l’élection de ses membres au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres ».

l’Acte électoral européen de 1976 n’a pas suffisamment mis en oeuvre ce mandat constitutionnel : il ne comprenait que quelques principes communs relatives aux dispositions nationales sur les élections européennes. C’était par exemple le principe de la représentation proportionnelle au scrutin de liste ou de vote unique transférable et l’incompatibilité entre les mandats des eurodéputés dans un Etat. Cette pratique a été légitimée à posteriori, en 1992, avec le Traité de Maastricht, qui avait modifié l’acte en question en une version plus souple et prévoyait une loi électorale basée sur des règles communes « selon une procédure uniforme dans tous les États membres ou conformément à des principes communs à tous les États membres ». Dans l’histoire de l’intégration européenne, on a tenté à de nombreuses reprises de mettre en place une procédure électorale uniforme. « L’Europe a besoin d’une procédure électorale commune accompagnée des listes transnationales définies de façon démocratique par les partis européens », mais tous les efforts ont échoué à cause de la résistance des partis et des gouvernements nationaux et parfois du Parlement lui-même. A titre d’option, le Parlement a pour la première fois proposé, en 1998, et à l’initiative de Georgios Anastassopoulos, l’un des vice-présidents, une circonscription transnationale répartie sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

Malgré le fait que seulement quelques députés seraient élus à l’aide de cette liste pan-européenne, l’idée a été particulièrement controversé. D’après la proposition, les électeurs auraient eu deux voix : une pour attribuer le quota national aux partis nationaux et l’autre pour un des partis européens, qui serait chargé de sélectionner les candidats sur les listes transnationales.

Les partis politiques gagneraient en importance de manière significative puisqu’en présentant leurs candidats et programmes, ils auraient la possibilité de prendre une part active à la campagne électorale. Même si selon « la proposition de Anastassopoulos » seulement 10 % de députés étaient censés être élus sur la base des listes transnationales, les État membres s’y sont opposés. Une initiative similaire, proposée en 2011 par le libéral britannique Andrew Duff, qui prévoyait 25 eurodéputés supplémentaires, sélectionnés sur la base de listes transnationaux, n’a pas obtenu le soutien du Parlement européen.

Au cours de la nouvelle période législative, le nouveau Parlement européen, ainsi que les États membres et les partis nationaux, auront l’occasion de montrer que leur promesse d’une Europe plus démocratique est plus qu’un beau discours. Il est temps que les débats politiques soient libérés de leurs chaînes nationales et diffusés au-delà des frontières nationales, ce qui est déjà le cas depuis longtemps au Parlement européen, où les eurodéputés se regroupent en fonction de leurs affinités politiques et non en délégations nationales.

Pour atteindre ce but, l’Europe a besoin d’une procédure électorale commune, avec des listes transnationales, définies de manière démocratique par les partis européens. Ceci constituerait la dernière percée pour des campagnes électorales allant vers un espace public européen avec des personnalités et des programmes européens : un tournant décisif pour la démocratie européenne.

Vos commentaires
  • Le 29 août 2014 à 11:54, par Shaft En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Encore faudrait-il qu’un électeur français accepte d’être représenté par un Allemand ou un Letton qui ne partagent pas la même vision de la politique.Dieu merci, ce n’est pas prêt d’arriver

  • Le 29 août 2014 à 13:03, par Ferghane Azihari En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Ah. Je ne savais pas que les Français avaient tous la même conception de la politique. L’utilisation du critère de la nationalité pour définir la bienveillance de la représentation démocratique est douteuse. Sous prétexte que celui qui me représente n’a pas ma nationalité, il serait forcément un mauvais représentant ? Voilà un raisonnement nationaliste.

    Mais allons jusqu’au bout ! Pourquoi ne pas utiliser le critère de l’appartenance locale ? professionnelle ?

    Rassurez-vous cher ami. Dans l’association dans laquelle j’appartiens, j’ai bien plus de points communs (politiquement parlant) avec mes collègues polonais, belges, lituaniens qu’avec vous. Comme quoi la nationalité n’est pas l’alpha et l’oméga de l’entente politique, sauf dans les fantasmes nationalistes, bien entendu.

  • Le 29 août 2014 à 14:57, par Q En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    « il serait forcément un mauvais représentant ? » par definition Allemand ou un Letton ne peut pas representer un francais, il n’a acune idee de la situation francaise, de ses contraintes, de ses desirs /choix de societe ( comme garder un service publique fort, une nation).

    La situation actuelle, des lois imposees au parlement francais ( constitue de 100% de francais, donc tres representatif) par un parlement tres peu representatif compose de 91% d’etrangers ( 74/571) qui ne comprenent rien a notre pays, est completement debile et ne va heureusement pas durer, l’ EU n’a aucun avenir.

    Frexit vite

  • Le 29 août 2014 à 17:06, par Ferghane Azihari En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Un allemand qui vit en France a beaucoup plus de légitimité pour représenter un citoyen résidant en France qu’un français vivant à l’étranger.

  • Le 29 août 2014 à 17:07, par Ferghane Azihari En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Dans ce cas, je propose à La Bretagne de quitter la France, quand on sait que l’Assemblée nationale est composée de non-Bretons à plus de 90%

    Brexit (vis-à-vis de la France) vite !

  • Le 29 août 2014 à 23:02, par François Hublet En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    +1 @Ferghane Azihari À cette nuance près (mais nous en sommes d’accord je pense) qu’il va de soi que les différents États devraient être représentés sur d’hypothétiques listes pan-européennes avec un quota - un simple minimum - par nationalité. Si on garde un système de circonscriptions transnationales, le problème ne se pose plus, puisqu’on en revient tout simplement au statut de résident... qu’il serait d’ailleurs opportun d’imposer pour limiter les parachutages. C’est d’ailleurs tout-à-fait la logique au sein des États actuellement : heureusement un Parisien installé en Bretagne (pour reprendre l’analogie) est électeur et éligible !

  • Le 30 août 2014 à 13:46, par Ferghane Azihari En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    @François Hublet. Je ne suis pas certain qu’il soit légitime d’instaurer un quota par nationalité. La citoyenneté européenne est d’essence transnationale. Il en va de même pour les élections européennes et le Parlement dont le rôle est de représenter les citoyens indépendamment de leurs identités nationales. A terme, la citoyenneté a vocation, en Europe, à être définitivement déconnectée de la nationalité quand le paradigme post-national remplacera celui de l’État-nation. Les nationalités pourront bien évidemment continuer à exister mais elles n’ont à mon sens plus vocation à s’immiscer dans le fonctionnement des démocraties.

  • Le 30 août 2014 à 14:34, par tnemessiacne En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    @François Hublet

    Intéressante remarque mais je pense plutôt que la possibilité d’un non-résident de se présenter dans une circonscription favaurise les parachutages. Les parachutages favorisent la constitution d’une classe politique mais « élitiste » dans le mauvais sens du terme.

    Au niveau européen il y a déjà des parachutages en France. Mais peut-être peut-on penser que les meilleurs, les plus compétents vont à Paris ou Bruxelles pour acquérir du pouvoir. Celà fait penser au parisianisme ou à la bulle bruxelloise. Mais les plus ambitieux ne veux pas dire les plus compétents (ancrés dans la réalité des idées). J’en arrive à une belle digression qui m’amène à la spécialisation des territoires avec Bruxelles l’égal de Washington et Paris de New-York, et Madrid de Los-Angeles...

  • Le 30 août 2014 à 14:38, par tnemessiacne En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    @Ferghane Azihari

    Pouvez-vous expliquer en quelques mots votre idée du post-national ? Comme à l’ONU ? Mais il me semble que les décisions prises là-bas sont fortement connotés par la nationalité. Surtout quand un seul pays, les Etats-Unis impose ses choix.

  • Le 30 août 2014 à 17:50, par Ferghane Azihari En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Une société post-nationale n’est simplement qu’une société fondamentalement libérale. C’est à dire qu’elle préfère se fonder sur les valeurs rationnelles qui découlent du libéralisme plutôt que sur une quelconque identité particulière (comme la nationalité).

    Concrètement, cela consisterait à octroyer la citoyenneté (et les droits/devoirs qui vont avec) en fonction d’un critère rationnel : la résidence, et cela en lieu et place de la nationalité.

  • Le 16 septembre 2014 à 17:55, par Lame En réponse à : Ce sont les partis, espèce d’imbécile !

    Mais comme le système politique de l’UE se conforme d’ores et déjà aux normes démocratiques comparables à celles des États membres, la manière avec laquelle il fallait procéder pour atteindre cet objectif demeurait vague.

    Ah bon !? La totalité du budget est voté par le Parlement européen !? Les députés européens ont un droit d’initiative législative !? Où est le Président européen élu au suffrage direct ? Et les référendums d’initiative populaire, il y en a dans l’UE ? Il me semblait qu’on avait pas dépassé le stade de la pétition soumise au Parlement sur proposition d’un million de signataire ... avec l’approbation préalable de la Commission.

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