Contre la politique d’austérité en Europe

, par Théo Boucart

Contre la politique d'austérité en Europe
Le quartier de Plaka nord à Athènes. Les stigmates de la crise économique sont bien visibles. CC - Jean Pierre Dalbéra

Pour ou contre la politique d’austérité en Europe ? Le sujet fait débat, et notamment au sein de nos rédacteurs. Voici l’opinion de Théo.

Au-delà de l’aspect très manichéen de cette question, qui pourrait éluder des termes importants du débat, les politiques d’austérité mises en place sur le continent depuis presque dix ans divisent énormément les citoyens et les responsables politiques européens. Voici mon opinion sur le sujet, moi qui me suis toujours opposé à l’acharnement des différents acteurs européens (en particulier la « troïka ») sur les pays en crise.

Avant de développer mon modeste propos sur l’austérité en Europe (et plus particulièrement dans la zone euro), je pense qu’il est nécessaire de savoir ce que sont réellement les politiques d’austérité. La cacophonie généralisée dans les médias européens empêche la tenue d’une discussion sereine. Selon le dictionnaire Larousse, l’austérité est « une politique économique visant à réduire l’ensemble des revenus disponibles pour la consommation, par le recours à l’impôt, au blocage des salaires, à l’emprunt forcé, aux restrictions de crédit et au contrôle des investissements. Le but recherché est le retour aux grands équilibres » (tels présentés dans le carré magique de Nicholas Kaldor). C’est une définition très keynésienne (l’économiste Nicholas Kaldor est une figure de cette école de pensée) qui part du principe que l’austérité doit s’appliquer en période d’accélération de la croissance et par extension de l’inflation (c’est ce qu’on appelle des politiques contra-cycliques).

Or les politiques d’austérité appliquées en Europe ne suivent pas du tout ce timing, bien au contraire. En pratiquant des politiques dites pro-cycliques (qui accompagnant le cycle économique, qu’il soit récessif ou pas), les institutions européennes ne font qu’aggraver la situation économique des pays en crise. Ce n’est pas en étouffant la consommation, moteur de la croissance, que celle-ci va repartir. En bref, l’austérité visant le retour à l’équilibre budgétaire en Europe n’est pas du tout une mauvaise chose, elle intervient juste au pire moment possible.

L’austérité appliquée en Europe est à la fois inutile et excessive

Dès lors, il apparaît évident que les programmes « structurels » exigés par les institutions de la « troïka » (BCE, FMI et commission européenne) en échange d’une aide du Mécanisme Européen de Stabilité sont inutiles. Ce n’est pas en remuant inlassablement le couteau dans la plaie que le patient va guérir. En période de récession, il faut impérativement jouer sur les « stabilisateurs automatiques » d’une économie et ainsi actionner ses forces régulatrices. Il faudrait pour cela conserver un service public, des prestations sociales dignes de ce nom et un système d’imposition juste et progressif. Tout le contraire de l’exemple désespérément caricatural que représente la Grèce : l’administration fiscale souffre de gros défauts, les armateurs et l’Église orthodoxe conservent leurs privilèges et le programme de privatisation pourrait très bien s’appeler « Greece on sale ».

Mais par-dessus-tout, c’est l’ampleur des sacrifices demandés qui est aberrant. Entre 2007 et 2015, le PIB grec a baissé de près de 35%, le chômage se situe toujours aux alentours de 20% (le chômage des jeunes avoisine quant à lui les 50%) et la dette est stable… à 180%, loin, très loin du seuil sacré des 60% demandés par les critères de convergence. Si la situation financière de la Grèce ne s’est pas aggravée, c’est grâce à la communication de la BCE, et en particulier grâce au célèbre « whatever it takes » de Mario Draghi qui a promis en 2012 de sauver l’euro à tout prix. La Grèce n’est pas le seul pays concerné, l’Espagne et Chypre connaissent toujours des taux de chômage (respectivement à 17% et à 11%) et d’endettement élevés (autour de 100% dans les deux pays). [1] L’émigration des jeunes diplômés de ces pays est en outre fortement pénalisant pour la croissance future.

Les fondements idéologiques de l’austérité sont discrédités depuis la crise financière

Mais d’où vient l’austérité budgétaire « à la sauce troïka » ? Quelle est la vision de l’économie défendue dans ces programmes d’ajustement ? Une vision très libérale – et en particulier ordolibérale – de la politique économique est ici à l’origine de tout cela. L’ordolibéralisme est né en Allemagne pendant la grande dépression à la suite de la crise de 1929 et considère que la mission de l’État est de créer un cadre réglementaire à l’intérieur duquel la concurrence serait libre et non faussée. L’ordolibéralisme est devenu la doctrine économique « officielle » de la RFA à partir de 1949 et est à l’origine du « miracle économique allemand ». À la faveur de la création de l’Union économique et monétaire, le modèle ordolibéral allemand s’est imposé, notamment au travers de l’indépendance de la BCE et de son obsession pour la maîtrise de l’inflation.

Le consensus libéral a pourtant volé en éclats en 2008 à la suite de la crise financière. On s’est alors aperçu que des marchés financiers dérégulés à l’extrême sont aussi inefficaces que dangereux pour l’économie réelle. Dans le même temps, la vision budgétaire allemande fondée sur l’absence totale de solidarité entre les membres de la zone euro et l’existence d’un cadre de règles budgétaires uniques pour tous les pays, peu importe leur place dans le cycle économique, a aussi montré de sérieuses limites. Si Nicolas Sarkozy avait cédé dès 2008 à la doxa libérale européenne, la zone euro et l’UE se seraient écroulées.

Pourtant les tout derniers développements ne présagent rien de bon. L’annonce de Jean-Claude Juncker concernant la réforme de la zone euro confirme que ce dernier s’est entretenu exclusivement avec les tenants d’une ligne dure au sein de la CDU-CSU allemande. La création d’un Fonds Monétaire Européen et d’une mission de surveillance économique qui ne dit pas son nom vont faire entrer la rigueur budgétaire dans les traités européens, autrement dit au sommet de la hiérarchie des normes de l’UE tout en refusant catégoriquement un budget de la zone euro et donc la possibilité de créer une politique économique cohérente au sein de la zone monétaire (la politique monétaire est unique mais les politiques budgétaires sont encore largement nationales). Ce qui fait dire à Jean Quatremer que la zone euro va se transformer en « vaste maison de redressement ». [2]

Quelles solutions pour une reprise économique durable ?

Cette obstination à aller dans le mur serait risible si elle n’avait pas des conséquences politiques potentiellement désastreuses partout en Europe. Le signal politique donné par les institutions européennes a pour conséquence la montée des partis eurosceptiques à travers le continent. Les leaders européens, craignant que leur électorat potentiel devienne lui aussi eurosceptique, n’hésitent pas à user d’une rhétorique pas très europhile (pensons à Mark Rutte aux Pays-Bas). Il en résulte une ambiance déprimante, terreau favorable pour les formations politiques hostiles à l’UE.

C’est bien beau de critiquer, mais existe-t-il des solutions alternatives à l’austérité ? À mon sens oui. La solidarité budgétaire européenne en est une, un budget de la zone euro alimenté par un système fiscal harmonisé au niveau européen permettrait de lutter contre les chocs asymétriques touchant les pays européens à l’avenir. Ce budget peut coûter cher (plusieurs points de PIB selon Emmanuel Macron), mais ne rien faire et subir une nouvelle crise des dettes souveraines coûterait encore plus cher. L’idée d’un « Green New Deal », un vaste programme d’investissements dans la transition énergétique, est également très intéressante. Il permettrait à la Grèce et plus généralement aux pays méditerranéens d’investir dans un secteur à forte valeur ajoutée et de connaître une forte croissance économique remboursant au final la dette publique.

La politique s’austérité appliquée en Europe ces dernières années accumulent les défauts : outre son effet pro-cyclique freinant la reprise de la croissance sur l’ensemble du continent européen, son corpus idéologique semble être dépassé par les différentes crises depuis 2008 et contesté par un nombre toujours plus élevé de citoyens. De plus, les résultats de ces politiques dans les pays concernés sont catastrophiques, elles n’ont pas permis la baisse de la dette et ont énormément entravé la reprise. Malgré toutes ces charges, l’UE persiste à poursuivre dans la direction d’une rigueur budgétaire irrespirable. Dès lors, il ne faudra pas s’étonner qu’au bout d’un moment, le point de rupture soit réellement atteint et que les citoyens européens rejettent violemment le projet européen dans sa totalité.

Notes

[1Tous les chiffres utilisées viennent d’Eurostat.

[2Libération : Réforme de la zone euro : les coulisses d’un scoop http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2017/12/10/reforme-de-la-zone-euro-les-coulisses-dun-scoop/

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