En Pologne, le Président préfère son parti au choix de son pays

, par Paul Brachet

En Pologne, le Président préfère son parti au choix de son pays
Andrzej Duda, Président de la Pologne depuis 2015, a chargé Mateusz Morawiecki de former un gouvernement, une mission impossible pour le Premier ministre sortant. © Piotr Drabik, Flickr

Ce lundi 6 novembre, le Président de la République polonaise Andrzej Duda, membre du parti Droit et Justice, a nommé comme Premier ministre…un autre membre de son parti, Mateusz Morawiecki. L’annonce a de quoi surprendre alors que ce dernier ne dispose d’aucune majorité à la Diète. Une annonce qui laisse penser que Andrzej Duda a préféré la loyauté à son parti plutôt qu’ à son pays.

Lundi 16 octobre, après des élections parlementaires tendues et une campagne acharnée, les résultats sont clairs : les Polonais, avec une participation de 75%, un record, ont choisi le changement. Après avoir gouverné la Pologne pendant huit ans, les ultraconservateurs du PiS (Droit et Justice) sont sommés de laisser leur place au gouvernement à la coalition libérale composée de la plateforme pluri-partisane Plateforme civique (KO), de la gauche de Lewica et des centristes de Troisième voie. En effet, la coalition d’opposition au PiS, emmenée par l’ancien Premier ministre de 2007 à 2014 et ancien président du Conseil européen Donald Tusk, a remporté 248 sièges à la Sjem. Au parlement polonais, 231 sièges sont nécessaires pour avoir la majorité. La coalition libérale a donc remporté les élections et peut théoriquement former un gouvernement.

La nomination d’un membre du PiS

Toutefois, ce lundi 6 novembre, le Président de la République de Pologne, Andrzej Duda, en a décidé autrement.

Le lundi matin à 8h, Marcin Mastalerek, le chef de cabinet d’Andrzej Duda, annonce discrètement sur les réseaux sociaux que le Président “va annoncer sa décision finale” et désigner le prochain Premier ministre. Une information très vite reprise dans la presse polonaise et confirmée par les bureaux de la Présidence de la République. Bien que la coalition libérale ait gagné les élections en termes de voix et de sièges et que Donald Tusk ait été reconnu comme unique candidat au poste de Premier ministre par la coalition, Andrzej Duda reste libre de son choix. Il a en effet le pouvoir constitutionnel et discrétionnaire de nommer le chef du gouvernement. Revient alors à cette personne de trouver une majorité au parlement.

En réalité, Duda a deux choix possibles : nommé Donald Tusk, qui dispose d’une majorité au sein du Parlement et d’une confiance d’une majorité de Polonais, ou nommé Mateusz Morawiecki, Premier ministre sortant, en fonction depuis 2017 et membre du PiS.

En effet, si la coalition de Tusk a remporté le plus de sièges et le plus de voix combinées aux élections, c’est le parti Droit et Justice de Morawiecki qui est arrivé premier en termes de voix avec plus de 35% des voix, contre 30,7% pour la KO. Une position qui fait que deux vainqueurs sont issus des urnes.

Le lundi soir, dans un discours, Andrzej Duda choisit de nommer comme Premier ministre…Mateusz Morawiecki :

« J’ai décidé de confier la mission de former le gouvernement au Premier ministre Mateusz Morawiecki. »

Un choix cynique

Le choix de Duda n’est pas un choix rationnel - le PiS ne dispose d’aucune majorité même avec les voix de l’extrême-droite de Konfederacja - ni même politique - la figure de Morawiecki ne poussera aucun parti à sortir de la coalition libéral de Tusk. Le choix de Duda est un choix cynique. Il ne se comprend que dans une logique de loyauté au parti. Le PiS “joue pour gagner du temps”, constate Donald Tusk. En effet, c’est simplement dans une logique de mauvais perdant que le PiS a choisi, avec le concours d’un Andrzej Duda plus loyal envers son parti qu’envers le choix de son pays, de faire traîner les choses et de nommer Morawiecki comme nouveau Premier ministre. Premier ministre sans majorité et qui ne peut en avoir puisqu’une seule réelle majorité gouvernementale existe au parlement…celle de Tusk.

沁水湾 - Electoral Commission of Poland base map

Le résultat des élections parlementaires ont été un choc pour le parti au pouvoir. Malgré des attaques virulentes contre Bruxelles, contre les migrants, contre le libéralisme intellectuel et politique, contre la Russie et même contre l’Ukraine, malgré une mise au pas de l’appareil judiciaire et médiatique, malgré des cadeaux électoraux distribués aux Polonais des milieux ruraux, le parti qui avait été au pouvoir depuis 2015 a perdu.

Le parti a perdu non seulement les élections, mais aussi les campagnes référendaires. Sur les quatre référendums soutenus par le PiS et proposés aux Polonais en même temps que les élections, quatre ont dû être annulés faute de participation suffisante.

Et la suite ?

Il y avait une chance quasi infime pour que l’un des partis de la coalition libérale fasse défaut à Donald Tusk, notamment le conservateur et agrairien Parti populaire polonais (membre de Troisime voie), au profit d’une abstention relativement bienveillante envers le PiS, cela en échange de concessions relatives au monde agricole. Toutefois, les espoirs du PiS se sont dissipés le 24 octobre lorsque l’ensemble des partis de Troisième voie, de Lewica et de la KO ont annoncé soutenir Donald Tusk comme futur chef de gouvernement.

Morawiecki est sûr de son échec à former un gouvernement majoritaire. Mission suicide donc. La constitution polonaise affirme très clairement que dans le cas où le candidat nommé par le Président échoue à trouver une majorité au parlement, alors c’est ce dernier qui doit le nommer. Ainsi, dans les faits, c’est seulement suite à la défaite du vote de confiance par Morawiecki que la Sjem aura son mot à dire. Nul doute alors que la majorité libérale chargera Donald Tusk de former un nouveau gouvernement et que cette même majorité votera en faveur d’un gouvernement libéral, équilibré et anti-PiS.

La décision vouée à l’echec du Président Andrzej Duda tient donc davantage d’une loyauté cynique à son parti que d’un choix pour son pays qui tiendrait compte du vote du peuple polonais.

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