Juncker : « L’Europe est ouverte au commerce »

, par Thomas Buttin

Juncker : « L'Europe est ouverte au commerce »
Jean-Claude Juncker a prononcé son discours sur l’Etat de l’Union le 13 septembre CC - European Parliament

Deuxième volet de notre série d’articles sur le discours de l’Etat de l’Union : Jean-Claude Juncker a dressé le bilan de la situation politique et économique actuelle de l’Europe, notamment en matière de relations commerciales pour lesquelles il a donné des pistes de réformes axées principalement sur la création d’un tribunal multilatéral d’arbitrage.

Alors que les Etats-Unis semblent choisir un protectionnisme national, et que les accords de libre-échange sont critiqués en Europe, la Commission Juncker envoie un signal fort en confirmant ses orientations de politique commerciale dans son discours sur l’état de l’Union. Les controverses autour des deux emblématiques traités avec les Etats-Unis et le Canada (respectivement TAFTA, Transatlantic Free Trade Agreement) et CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) ont cependant engagé une réflexion sur une alternative aux mécanismes de résolution des différends entre entreprises et Etats [Investor State Dispute Settlement]. Ces clauses seront désormais traitées séparément pour faciliter les négociations relatives à ces accords de libre-échange. A ce jour, l’accord commercial avec le Canada a été signé et est en attente de ratification des parlements nationaux pour obtenir force exécutoire de manière totale. A l’inverse, le TAFTA est aujourd’hui à l’arrêt de ses négociations suite aux diverses contestations et à l’élection de D. Trump à la présidence des Etats-Unis.

Le président Jean-Claude Juncker a déclaré : « Je voudrais que nous renforcions encore notre programme commercial. L’Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons. Le commerce n’est pas un concept abstrait. Le commerce, ce sont des emplois, ce sont de nouvelles opportunités pour les entreprises européennes, grandes ou petites […] Le commerce, c’est l’exportation de nos normes sociales et environnementales, et de nos normes en matière de protection des données ou de sécurité alimentaire. » La Commission a depuis dévoilé plusieurs mesures relatives au commerce et aux investissements, notamment un cadre européen pour le filtrage des investissements garantissant que les investissements directs étrangers ne portent pas atteinte aux intérêts stratégiques de l’Union.

La Commission européenne réaffirme son positionnement en proposant un certain nombre de réformes en matière de négociations des traités commerciaux. Elle demande également au Conseil l’ouverture de négociations en vue d’accords de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie. [1] Cela démontre la volonté inchangée de l’Union européenne et de ses Etats membres de demeurer un acteur majeur du commerce mondial.

Les questions soulevées par les traités de libre-échange transatlantiques

Au-delà des contestations par certains courants politiques de la philosophie libérale des accords commerciaux passés par l’UE, les traités TAFTA et CETA agitent l’opinion publique depuis de longs mois. Dénoncés comme contraires au principe de précaution, comme ayant des impacts négatifs sur l’environnement, comme source de moins-value des normes qualités des produits, et comme vecteur d’un ensemble de problématiques en matière de services publics, ces accords de libre-échange ont été vivement critiqués ces dernières années par les opinions publiques des Etats membres.

Les traités transatlantiques de libre-échange ont été particulièrement rejetés, notamment par le parlement de Wallonie en octobre 2016, en raison du mode de règlement des conflits proposé dans le cadre de ces accords. L’idée de la Commission est d’aujourd’hui de sortir de ces mécanismes de résolution des différends dans l’objectif de ne pas entrer dans une situation d’accord mixte. Les accords mixtes doivent en effet avoir l’aval de l’ensemble des parlements nationaux ou régionaux (dans le cas belge) pour devenir effectif.

L’Investor State Dispute Settlement est un procédé habituel des accords internationaux d’investissement qui prévoit la création de tribunaux d’arbitrage pour régler les contentieux entre un investisseur et un Etat sur le territoire duquel l’investissement est réalisé. Ils ont pour objectif de protéger les entreprises de l’abus de droit éventuel d’un Etat. Ce mécanisme pourrait permettre à une multinationale d’engager un contentieux à l’encontre d’un Etat qui aurait adopté une législation allant à l’encontre de ces intérêts. Au regard de la puissance financière de certains grands groupes, et de par la composition du tribunal arbitral composé d’arbitres nommés par les différentes parties, la question de l’impartialité de ce tribunal devient centrale et engendre des failles dans les droits de la défense des parties au litige.

Depuis 2015, la Commission réfléchit à un autre procédé de règlement des litiges relatifs aux investissements. La solution alors envisagée serait la transformation de ce tribunal arbitral par un système juridictionnel composé d’un tribunal de première instance et d’une cour d’appel, appelés Investment Court System. Il pourrait être saisi par l’une des deux parties à l’instance et serait composée de véritables magistrats nommés par les Etats. Les nouvelles propositions vont en ce sens dans la mesure où la Commission a présenté un projet de mandat pour entamer des négociations en vue de la création d’un tribunal multilatéral des investissements. [2]

La création future d’un Tribunal multilatéral d’arbitrage

Les négociations portant sur des accords commerciaux entre l’Union européenne et des Etats tiers à l’avenir seront appréhendées de manière à traiter séparément les controversées clauses d’arbitrage concernant les différends entre entreprises investisseuses et Etats. Parallèlement à cette annonce, la Commission propose une uniformisation du système pour faciliter les négociations relatives à ces arbitrages, et annonce vouloir la création d’une Cour multilatérale d’arbitrage.

La création d’un tribunal multilatéral pour le règlement des différends en matière d’investissements apporterait une innovation certaine dans la gouvernance mondiale et constituerait une nouvelle étape vers une approche plus transparente, plus cohérente et plus juste pour traiter les plaintes des entreprises dans le cadre de ces accords. Cette institutionnalisation du système de résolution des litiges entre entreprises et Etats apporte une réforme globale à laquelle l’ensemble des Etats membres de l’Union semblent s’accorder.

Le tribunal multilatéral d’arbitrage permettrait une centralisation des contentieux en une unique institution juridictionnelle respectant les mêmes règles contentieuses. Cette assurance d’accès à un tribunal indépendant, légitime et effectif pour les entreprises, en dépit de considérations de poids financier, est une avancée considérable dans l’appréhension des relations libre-échangistes dans le monde. La singularité principale de cette cour résiderait par sa composition de juges magistrats nommés par les Etats, contrairement aux usages présents.

Cependant ces mesures n’apparaissent pas suffisantes en matière de transparence au regard de certaines contestations de l’opinion publique. Une lisibilité accrue des processus de négociation est attendue et la Commission semble avoir entendu ces requêtes en annonçant une publication des recommandations concernant les directives de négociations en vue de la conclusion d’accords commerciaux. Ces mandats seront soumis au Parlement européen et au Conseil, ainsi qu’envoyés aux parlements nationaux et mis à disposition du grand public. La Commission espère que ces changements permettront de favoriser ab initio un débat ouvert sur ces accords et invite les Etats membres à veiller à ce que les parties prenantes nationales et régionales participent aux négociations commerciales à un stade précoce.

Relire notre article introduisant la série sur le discours de Jean-Claude Juncker

Notes

[1Voir les recommandations de décision du Conseil n°COM/2017/0469 et n°COM/2017/0472

[2Voir la recommandation de la Commission européenne au Conseil n°COM/2017/0473

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