La Catalogne indépendante doit devenir le vingt-neuvième pays de l’Union européenne

, par Thomas Buttin

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La Catalogne indépendante doit devenir le vingt-neuvième pays de l'Union européenne
La Catalogne pourrait-elle intégrer immédiatement l’Union européenne en cas d’indépendance ? CC - Sasha Popovic

Si l’Union européenne se fait surtout remarquer par son silence depuis le début de la crise catalane, une chose est néanmoins claire pour les dirigeants européens : une Catalogne indépendante ne sera pas membre de droit de l’UE et devra passer par un processus d’adhésion normal. Pour notre rédacteur Thomas Buttin, cela constitue une faute politique qui ne peut être justifiée par les seuls Traités.

Depuis le referendum du week-end dernier, les tensions ne cessent de s’aggraver entre le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy et les indépendantistes catalans. Pour ne rien ajouter à cette crise politique, de nombreux spécialistes du droit européen avancent que la Catalogne indépendante, devenue pays tiers, serait automatiquement exclue de l’Union européenne. Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a lui aussi averti que « la Catalogne ne pourra pas devenir membre de l’UE le lendemain matin du vote, […] elle sera soumise à un processus d’adhésion comme l’ont été les Etats membres qui nous ont rejoints après 2004 ». [1]

L’adhésion d’un pays à l’Union européenne nécessitant une décision à l’unanimité au Conseil, il serait probable que l’Espagne s’oppose à l’ouverture des négociations d’adhésion de la région. Dans l’optique d’éviter les potentielles répercussions politiques, économiques et sociales que l’indépendance d’une région engendrerait en ce sens, à la fois pour les catalans et pour l’ensemble des citoyens européens, il est urgent de sortir du discours d’exclusion automatique de ce territoire, de la construction européenne. Il convient d’aborder cette situation de manière pragmatique et d’y apporter une réponse à la fois utile à l’avenir de l’Europe et légale du point de vue des traités.

Un dogme politique dépourvu de fondements

Les traités constitutionnels de l’Union européenne ne prévoient pas de procédure à suivre dans l’hypothèse d’une sécession d’une partie du territoire d’un Etat membre. Rien, pas un mot n’est évoqué à ce sujet. Aujourd’hui, la Commission européenne ne se base qu’uniquement sur un dogme politique, la « doctrine Prodi », du nom de l’ancien président de cette même institution. Ce positionnement établit un principe selon lequel un Etat né d’une scission au sein de l’UE ne serait pas automatiquement considéré comme faisant partie de l’Union. Romano Prodi avait affirmé qu’une « région nouvellement indépendante deviendrait, du fait de son indépendance un pays tiers par rapport à l’Union et tous les traités ne s’appliqueraient plus à son territoire dès le premier jour de son indépendance ». [2]

Bien que les négociations d’adhésion seraient facilitées pour la simple raison que ce territoire remplirait déjà les conditions nécessaires à l’intégration européenne, il serait peu probable que cette adhésion aboutisse. Le processus de sécession est une problématique d’ordre interne à un Etat uniquement, en l’occurrence l’Espagne aujourd’hui. Cependant, l’exclusion de la Catalogne indépendante de l’UE reviendrait à une remise en cause profonde de l’ordre juridique européen et de sa hiérarchie des normes en faveur de l’ordre constitutionnel espagnol. En effet, l’exclusion de ce territoire de l’Union suite à un processus d’indépendance en violation de la constitution espagnole impliquerait que le maintien dans la construction européenne est totalement dépendant du respect de la constitution d’un de ses Etats membres.

Le principe des « Etats successeurs »

Le principe d’intégration des « Etats successeurs » a été posé par la Convention de Vienne de 1978. Ce texte implique que les Etats successeurs d’un Etat, avec continuité territoriale, continuent d’être tenus par les traités ratifiés par l’Etat d’où ils sont issus. Bien que le royaume d’Espagne n’ait pas ratifié cette convention, il est possible de reprendre ce principe de droit international pour le compte de l’ordre européen. Rien ne permettrait d’avancer que la Catalogne serait exclue de l’UE en vertu de cette règle et en vertu de la reconnaissance par l’Union européenne du droit international.

Il s’agit en effet de penser d’abord à l’intérêt général européen et aux intérêts communs des citoyens : l’attractivité de l’Union européenne serait, par ce procédé, confortée. Aujourd’hui est l’occasion de renforcer le sentiment européen par le vecteur des régions et entités territoriales, déjà reconnue par le Comité des régions ; mais aussi d’engager un discours politique fort en faveur d’un fédéralisme à la fois des Etats mais aussi des régions.

Tous citoyens européens !

Nous l’oublions trop souvent mais nous sommes tous citoyens européens, Français, Allemands, Grecs, Finlandais, Espagnols... Tous les citoyens européens bénéficient des libertés fondamentales apportées par les traités et de droits fondamentaux attachés à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il est essentiel de rappeler l’importance de ces droits et libertés au sein de notre société : ils sont inaliénables. Il est impossible d’envisager la suspension de la liberté de circulation au sein de l’Union à des catalans qui ont été citoyens européens : l’exclusion du territoire de l’UE apparaît ainsi difficile. Même si en l’état actuel du droit européen, la citoyenneté est associée uniquement à la nationalité d’un Etat membre, l’exclusion d’un territoire faisant partie de la construction européenne revient à retirer à ses citoyens leur citoyenneté européenne. Dans l’optique de construire un ordre politique et juridique européen, le développement d’une citoyenneté européenne plus indépendante de la nationalité de ses Etats membres est probablement souhaitable. L’exclusion de la Catalogne apparaît en ce sens contre-productive et dénuée de toute considération de l’intérêt général européen.

Par ailleurs, aucune procédure n’étant prévue dans l’hypothèse selon laquelle la création d’un nouvel Etat impliquerait une exclusion, il faut considérer les nombreuses difficultés pratiques en découlant : contrôle aux frontières, monnaie, relations commerciales... Il n’est dans l’intérêt de personne que de dresser de nouvelles frontières en Europe.

L’Union européenne doit s’engager en faveur d’une intégration automatique d’un nouvel Etat né de la scission d’un Etat membre. Le respect des principes et des valeurs de la construction européenne, ainsi que la considération de l’intérêt général commun tendent à cette réponse. Un processus de réadhésion est à la fois inutile et une perte de temps immense.

« L’Europe est riche parce que les traditions régionales sont fortes, mais je ne voudrais pas que les traditions régionales s’érigent en un élément de séparation et de fragmentation de l’Europe. » (Jean-Claude Juncker [3])

Vos commentaires
  • Le 12 octobre 2017 à 19:54, par Valéry-Xavier En réponse à : La Catalogne indépendante doit devenir le vingt-neuvième pays de l’Union européenne

    Excellent article qui dénonce avec justesse la vision idéologuique des statonationalistes de l’establishment dont l’européisme n’est qu’une posture hypocrite pour défendre avant tout les États existants et ceux qui les gouvernent et méprisent les citoyens européens, a fortiori quand ils n’appartiennent pas à la classe dominante des États membres comme c’est le cas pour le peuple catalan, discriminé en raison de sa langue.

    J’avais publié voici quelques années un article sur le même sujet Catalogne, Écosse : pour que l’Union européenne intègre les nouveaux États

  • Le 31 octobre 2017 à 19:52, par Bernard Giroud En réponse à : La Catalogne indépendante doit devenir le vingt-neuvième pays de l’Union européenne

    Ces Catalans qui se disent indépendantistes ne nous disent jamais clairement cad de façon bien compréhensible ce qu’ils gagnent vraiment à établir leur propre nouvelle chapelle.

    Que signifie cette attitude méprisante vis à vis de ceux qui ne partagent pas leurs opinions, ou qui rejettent un long environnement communautaire démocratique et solidaire, cet environnement solidaire de leur propre pays ?

    Comment peuvent-ils espérer que ceux qu’ils voudraient pour leurs futurs voisins européens ne regardent pas cette manœuvre comme un jeu bien frivole de douteux caractères.

    Avec qui avoir le cerveau et la cuisse catalane permettra-t-il de vivre ?. Au fait, c’est quoi de mieux que l’autre, un Catalan ?

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