La nation française renoue-t-elle avec son universalisme ?

, par Hervé Moritz

La nation française renoue-t-elle avec son universalisme ?
Trafalgar square aux couleurs de la France, ironie de l’histoire. Ce phénomène témoigne-t-il d’un nationalisme primaire ou d’un universalisme retrouvé de la nation française ? - Jack Gordon (CC/Flickr)

Les attentats de cette année, ceux de janvier comme ceux de novembre, ont engendré des milliers de soutiens à travers le monde. Derniers en date, ceux à la suite des attentats de Paris, le 13 novembre dernier, où le monde a pendant près d’une semaine arboré le drapeau tricolore en entonnant la Marseillaise. Un acte qui relance le débat autour de la nation française et de ses symboles.

Vendredi soir, nuit d’effroi, les dépêches tombent les unes après les autres, et le nombre de victimes grimpe. C’est une nuit d’horreur pour les Parisiens, une nuit difficile pour ceux qui sont loin de leurs proches, dans la frénésie et le besoin de savoir s’ils sont sains et saufs.

A cette nuit à succéder des journées de deuil, non sans annonces promettant des lendemains amers. Ce fut aussi des jours de solidarité, les soutiens affluant de toutes parts. Et c’est à ce moment-là que l’on a observé un phénomène assez particulier pour qui connaît la relation des Français à leurs symboles nationaux et républicains. Cette société qui aime la controverse et la polémique, toujours dans un bouillonnement hérité de son passé révolutionnaire, s’est-elle réappropriée ses couleurs ?

Facebook orchestre le phénomène tricolore

Quelques heures après les attaques qui ont fait de nombreuses victimes dans des lieux de vie prisées de la capitale, Facebook a mis en place un filtre bleu-blanc-rouge temporaire. Sa signification aux premiers abords, un soutien aux Français qui vivent l’une des pages les plus choquantes de leur histoire contemporaine. Le phénomène prend alors une dimension considérable et bientôt, des vagues de profils d’utilisateurs de Facebook arborent les couleurs de la France. La viralité qui caractérise les réseaux sociaux a encore une fois fait ses preuves, viralité comparable à celle du hashtag #JeSuisCharlie en janvier qui avait capitalisé plus de cinq millions de tweets en quelques jours.

Un phénomène inédit, un sens retrouvé

Et puis rapidement, des questions se posent. Quel est le symbole de ces couleurs ? D’abord gênés par l’affichage de ce drapeau aux multiples usages, que l’on associe aujourd’hui plus au nationalisme ou à la fierté nationale chauvine qu’à la République, et ce malgré son sens officiel, les esprits ont été gagnés par le doute et le malaise. Bientôt, ce ne sont pas seulement les Français qui ont brandi pareil drapeau sur les réseaux sociaux, ce sont les citoyens du monde, puis les anonymes des pays du monde entier à la suite de leurs dirigeants et de leurs célébrités.

Pourquoi est-ce là la réponse de la société civile mondiale ? Que signifie ce drapeau, non pas pour moi, pour les Français, mais que signifie-t-il pour le reste du monde ? N’était-ce vraiment que par soutien pour les Français, parce que certaines victimes étaient françaises et parce que Paris est la capitale de la France, ou bien le symbole allait-il au-delà ?

Le monde se pare de bleu-blanc-rouge

Sans étonnement, les Américains ont repris en masse les couleurs françaises. Leur histoire étant liée à celle de la France, ce drapeau étant associé, par la suite, à ceux qui ont marché sur les adversaires de l’indépendance à l’heure de la création des Etats-Unis, notamment à Lafayette, commandant de la garde nationale qui a porté ces couleurs fièrement, un drapeau teinté de l’idéal de liberté puisé dans les Lumières françaises, c’est sans surprise que j’ai découvert les hommages américains. D’abord dans les mots de Barack Obama, qui s’est même exprimé avant François Hollande. Puis ce fut l’hommage de l’orchestre du Metropolitan Opera de New York sous la baguette de Placido Domingo, entonnant la Marseillaise, hymne national depuis 1879, et raisonnant ensuite dans les théâtres, les opéras, les stades et les parlements du monde entier, et ce, sans pouvoir le justifier par leur lien particulier avec la France. Et que dire de ces monuments qui se sont parés de bleu-blanc-rouge à travers le monde avant que, non sans quelques hésitations, la Tour Eiffel fasse de même.

La schizophrénie à la française

Pourquoi cette hésitation française ? Journalistes, intellectuels, artistes et polémistes y ont songé toute la semaine. Si le drapeau français déchire souvent l’opinion publique, c’est parce que son sens et son usage ne sont pas les mêmes pour tous les Français. Le drapeau trop souvent porté en étendard par l’extrême droite, rappelant les heures sombres de la collaboration sous le régime de Vichy, n’est pas prisé par certains citoyens, lui préférant bien d’autres couleurs, à la symbolique parfois plus universelle (le drapeau arc-en-ciel par exemple, qui a réuni les pacifistes et ceux qui luttent contre les discriminations, particulièrement utilisé par les mouvements LGBTI). Un rejet à nuancer tout de même, puisque les Français se retrouvent aisément derrière ces couleurs dans des temps moins polémiques, lors de commémorations ou de compétitions sportives.

D’autres évoquent l’impérialisme que représente ce drapeau. Celui d’une nation fière et qui n’a pas hésité à imposer sa vision civilisationnelle au monde, le drapeau de la colonisation ou des conquêtes napoléoniennes, celui de la Nation universelle conquérante, qui a suscité l’espoir de nombreux groupes révolutionnaires et libres penseurs dans l’Europe du XIXe siècle, rapidement déçus, frappés par la désillusion face aux idéaux de la Révolution bafoués et trahis.

Les idéaux de la Révolution française. Là réside peut-être la réponse à notre question initiale. Si le monde a repris le drapeau tricolore, celui que même la Restauration n’a pas su enterrer, c’est sans doute parce qu’il porte une autre signification, épuré de ses usages controversées dans l’histoire française. Il reprend les idées des Lumières, les idées de la Révolution, ces idées universelles qui ont inspiré un nombre incalculable de mouvements et de démocraties dans le monde, élevant au plus haut rang les droits de l’Homme, l’Etat de droit, la démocratie et les principes associés à la devise républicaine : « Liberté, égalité, fraternité ».

La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix
Cette toile d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple, a inspiré plus d’un peuple révolutionnaire en Europe et dans le monde.

C’est pour cela que tant de personnes à travers le monde se sont reconnus consciemment ou inconsciemment derrière ces couleurs. Il semble réducteur de penser que c’est uniquement un soutien conscient aux Français, tout comme il serait réducteur de ne pas prendre en compte ceux qui l’ont fait pour cette raison. Et c’est sans doute pour cela, que nous n’avons pas découvert au lendemain des attentats de Beyrouth des vagues de cèdres du Liban sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas le fruit d’une solidarité différenciée ou à géométrie variable, c’est l’association d’un symbole national à des idées universelles qui a engendré un phénomène mondial exceptionnel. Les soutiens aux victimes de ces autres attentats ont simplement pris une autre forme, leurs symboliques n’ont pas eu la même portée. C’est aussi pour cela que la France reste une cible privilégiée pour l’Etat islamique, parce qu’elle représente quelque chose pour la communauté internationale, au-delà de sa propre nation.

L’universalisme de la nation française revivifié ?

Certains observateurs ont voulu y voir la réappropriation par tous les Français de leurs couleurs nationales. Il est vrai que le sens premier de ces couleurs a refait surface. Cependant, d’autres éléments sont à observer. La nation française a renoué avec son universalisme.

Dans les débats parlementaires qui ont suivi les attentats, les débats sur la définition de la nation ont été vifs, rappelant dans une moindre mesure ceux des figures de la Révolution. Nation d’adhésion, nation de cœur, celui qui souhaite être français est français, qu’importe la reconnaissance ou non de sa nationalité par l’Etat français lui-même, est revenu au centre de cette définition, contrecarrant la définition de la nation dévoyée et prônée par les penseurs d’extrême droite surfant sur une définition ethnique et identitaire de cette notion. C’est aussi les valeurs universelles qui fondent cet esprit national qui ont émergé à nouveau, ceux mêmes qui ont inspiré la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.

C’est un défi pour les post-nationaux de comprendre et de penser sereinement ce phénomène. Certains y ont vu la renaissance malsaine d’un nationalisme latent, et sans nul doute ce nationalisme gangrène les sociétés européennes et occidentales depuis plusieurs décennies déjà faisant peser l’ombre des démons du XXe siècle sur les sociétés d’aujourd’hui. Cependant, je ne pense pas que ce soit la cause première de la majorité des réactions à la suite des attentats. S’il faut défendre aujourd’hui quelque chose, que ce soit en arborant le drapeau tricolore ou en militant avec d’autres symboles, ce sont les valeurs humanistes et les idéaux universels qui ont présidé en partie à la fondation, en tout cas à la conception intellectuelle, des démocraties modernes et libérales, que l’on retrouve au cœur de la construction européenne.

Et ce travail de tous les jours, qui doit raviver toujours la démocratie, il réside également dans le dépassement de la haine discriminante de l’autre et le défi humaniste qui se pose à l’Europe, celui de l’accueil des réfugiés, victimes eux aussi de la barbarie meurtrière.

Vos commentaires
  • Le 20 novembre 2015 à 15:49, par Lame En réponse à : La nation française renoue-t-elle avec son universalisme ?

    Le monde s’est pavoisé du drapeau tricolore pour marquer son opposition à Daech.

    C’est la haine de cette organisation et l’horreur provoqué par ses actions qui motive une telle réaction.

  • Le 22 novembre 2015 à 18:36, par Bernard Giroud En réponse à : La nation française renoue-t-elle avec son universalisme ?

    Chacun de nous peut se sentir honoré par ces marques d’amitié et d’appui qui se sont élevées de par le monde et les pays.

    Chaque homme civilisé élève ainsi l’idée de »Liberté, Égalité, Fraternité, comme un invincible bouclier, un phare sans égal pour toute communauté, et un espoir inexpugnable de vie meilleure ; Il manifeste à travers le monde entier l’ancrage de son cœur, et celui de son esprit. Il affirme, ainsi, qu’il ne peut y avoir de vie commune dans ce monde, s’il n’est pas établit sur des valeurs reconnues, acceptées, aimées.

    C’est un progrès substantiel, vers une civilisation supérieure, c’est-à-dire, vers un niveau, vers degré de plus dans la marche avant de l’humanité, que de tirer les conséquences de ces constatations, et de passer à une pratique, de plus en plus bénéfique pour la communauté humaine, dans son ensemble.

    Il faut que les ressources, que ces trésors contenus dans ces valeurs reconnues, acceptées et aimées, viennent à la surface de notre compréhension, extirpée par la logique, une logique réaliste de bâtisseurs. Nous aurons moins de risque de nous tromper.

  • Le 22 novembre 2015 à 18:45, par Bernard Giroud En réponse à : La nation française renoue-t-elle avec son universalisme ?

    Notre passion, notre impétuosité en ces siècles industrieux, très matériels, ont éloigné un certain nombre d’entre nous, souvent talentueux, de règles essentielles, pourtant indispensables.

    Seuls, et isolés, nous le savons, nous ne sommes que grains de poussière, mais nombreux, c’est tout une autre histoire.

    La règle d’or de la vie commune, cependant, que l’on pratique de temps en temps au cours de ces millénaires ou de ces derniers siècles, est simple, , ; Elle se résume ainsi : : « Tu n’es fort ou talentueux, que pour le service de ton frère « 

    Il en est de même pour les talents et les « découvertes » des ressources naturelles ;

    La loi industrielle d’égoïsme ou de cupidité, ou la facilité à courte vue, s’attribue une autre philosophie par la notion propriété personnelle.

    Mais au regard des hypertrophies démentielles, ou plus simplement, paresseuses, que cette notion de propriété peut engendrer, il devient prudent d’y veiller avec un peu de sagesse et de sagacité Il devient prudent de mieux en examiner, parfois les conséquences et d’en établir le contour et les limites. Sans nier que cette notion de propriété, sagement utilisée, peut être un outil pratique d’organisation ; ’cf : les richesses pétrolières, en particulier)

    Toutes ces notions, sans avoir jamais été trop extirpées de notre devise révolutionnaire, sont contenues en elle ;

    Alors oui, si tous ceux qui se lèvent aujourd’hui pour appuyer dans ce drapeau et cette devise, même confusément, les idées révolutionnaires qu’ils contiennent, alors oui, le lien est fait, de manière inattendue, à travers les siècles, avec notre monde d’aujourd’hui.

    Il dit que le temps qui passe aiguise, affine les esprits et les consciences et que nous sommes tous, toujours plus nombreux, en route sur les chemins du développement et de la conscience, sur les chemins de la vérité.

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