La Pologne dans tous ses Etats

, par Maxime Boudoint

La Pologne dans tous ses Etats

Il faisait froid et les cloches de l’église sonnaient 6h du matin. Pourtant la foule continuait à s’amasser devant cette boulangerie, éclairée par son écriteau intérieur et parfumant les rues sombres de ce village. C’était d’une certaine manière un passage obligé, un rituel pour obtenir sa miche de pain.

C’est Piotr, âgée de 36 ans et habitant maintenant Varsovie, qui me raconta ses souvenirs d’enfance. Il vivait dans un petit village, à l’est du pays, où les restrictions alimentaires furent les plus fortes à partir du début des années 80.

1980 c’est aussi l’époque du « réveil » démocratique que prône le syndicat Solidarnosc contre le pouvoir communiste. Non-autorisé jusqu’en 1989, il fut perçu comme le principal parti d’opposition au pouvoir russe. Il donnera d’ailleurs son nom à l’esplanade du Parlement européen à Bruxelles, 21 ans après l’accession de son chef, Lech Wałęsa, à la présidence en 1990.

Loin de pouvoir imaginer que ce pays fêterait ses 10 ans au sein de l’Union européenne en mai 2014, la Pologne est désormais une des économies les plus performantes d’Europe avec une croissance annuelle de 3.8 % sur la période 1991-2012.

L’histoire comme force

Les démocraties des pays de l’Europe occidentale sont bien plus anciennes si on les compare à l’histoire polonaise. Alors qu’en France depuis plus de 200 ans les citoyens s’accaparent le pouvoir démocratique, tout comme en Belgique à partir 1830, la situation en Pologne fut bien différente. Ils ne connurent pas le multipartisme ou le jeu démocratique qu’entourent les élections.

Sans identité nationale de 1795 à 1918, la Pologne se fit de nouveau envahir en 1939 lors du pacte secret germano-soviétique. Ce n’est qu’en 1989, après 44 ans de tutelle russe, que la Pologne retrouva sa pleine souveraineté.

L’édifice d’un État de droit ne fut pas de tout repos. Marquée par son histoire et craignant pour sa sécurité lors de la « nouvelle » indépendance, la Pologne intégra l’Otan dès 1999. Entretenant déjà de très bonnes relations avec les Américains, ce lien militaire fut renforcé par la présence d’une diaspora polonaise de plus de 10 millions d’habitants aux Etats-Unis. La position géographique du pays lui fit s’ajouter une stratégie paneuropéenne.

Un « retournement »

L’émergence polonaise ne fut pourtant pas un « fleuve tranquille ». La situation économique, à la chute du bloc communiste en 1989, était inquiétante par plus d’un aspect. Son inflation, donc l’augmentation des prix, s’élevait à 58% en 1988 et atteint le pic de 555,4% en 1990. La corruption infiltrait le milieu des affaires, mêlant politique et système juridique. Le plus inquiétant fut sans doute le chômage de masse atteignant les 20% en 2002, non-aidé par la faiblesse de l’administration qui suivait, tant bien que mal, la révolution copernicienne que connaissait le pays.

A l’image d’Anna, la cinquantaine et professeur de droit européen à l’université Jagellonski de Cracovie, qui se remémore le « choc » des années de réforme. Elle se souvient de l’incompréhension de sa maman lors de l’arrêt du prix unique ou de la construction de l’économie de marché. Une impossible situation pour cette vieille dame, méfiante à l’égard de l’Union européenne.

Aujourd’hui la Pologne est l’un des pays les plus attractifs concernant les IDE en Europe (investissement direct étranger), son premier partenaire économique est l’Allemagne et il fut le seul pays européen n’ayant pas connu de période de récession en 2009.

La stabilité de sa jeune IIIe République, pourtant âgée d’à peine 25 ans, a su s’adapter au nouvel environnement politique et économique. Pour soutenir son développement économique, les citoyens firent confiance à plus de 72% à l’Union européenne lors du référendum sur son adhésion. Entretenant déjà de bon liens avec les économies européennes, l’afflux des investisseurs étrangers fut grandissant et permit un nouvel essor. Les conséquences sur le chômage sont indéniables lorsqu’il tombe à 7,1% en 2008 après une croissance de 6.8% en 2007, l’année de son intégration à l’espace Schengen.

Le moteur de l’Union européenne

L’Europe a joué un rôle important dans la reconstruction du pays. L’aide financière a permis à la Pologne de moderniser ses infrastructures et de préserver son patrimoine culturel. Étant le premier bénéficiaire des fonds structurels européens, la Pologne a reçu à ce titre plus de 85,2 milliards d’euros depuis 2004. Outre ces aides, son vaste territoire (6ème de l’UE) et ses 12% de travailleurs agricoles permettent à la Pologne de bénéficier de la Politique Agricole Commune (PAC). L’intégration à l’UE et à l’espace Schengen apporta donc un environnement économique stable et favorable.

Ses différents dirigeants ont su prendre toute la place qui leur incombait dans le concert européen. L’apprentissage des institutions européennes et l’expérience acquise par ses représentants à Bruxelles expliquent cette prise de maturité. Ce n’est cependant que le début...

Devenu leader régional d’Europe centrale, la Pologne veut franchir une nouvelle étape, celle de son affirmation. Considéré comme un « nouvel entrant » depuis 10 ans, son gouvernement souhaite se détacher de cette image d’apprenti. C’est notamment le cas en matière de politique étrangère comme lors de son soutien à la Révolution orange de 2004 en Ukraine et plus récemment, appuyant les évènements de la place Maïdan. La déclaration conjointe des ministres français, allemand et polonais des Affaires étrangères le 28 février dernier, en faveur de la reconnaissance du gouvernement de transition, fait figure d’affront historique vis-à-vis du pouvoir russe. À l’offensive sur le dossier Russe/Ukraine, de par son histoire et de la pression de ses citoyens, la Pologne connaît mieux que quiconque le pouvoir de cet ancien pays frontalier.

Nouvelle puissance décomplexée

Forte de son émergence économique et de l’augmentation de sa richesse (+124% du PIB entre 1991 et 2012), la Pologne a su porter sa voix sur les questions de défense et de sécurité internationale, notamment crédibilisée par son appartenance européenne.

D’une part, son pouvoir économique, d’autre part son intention de peser sur l’avenir européen et international, illustrent deux priorités récupérées par la souveraineté polonaise. L’un n’allant pas sans l’autre, l’Union européenne a sans conteste participé à ce renouveau. Par ce partenariat entre souveraineté nationale et européenne, la Pologne s’emploie depuis 10 ans à approfondir son aura, avec l’assurance de ses frontières, troisième pilier fondamental comme l’actualité ukrainienne nous le prouve.

Parler de frontière, sans doute moins essentiel pour l’électeur sicilien ou breton, constitue un acquis primordial pour les Polonais que l’on fait croire seulement « plombiers ». Avant d’être des « paperasses » les traités, les directives ou les règlements européens permettent, dans la volonté de nos pères, de construire des relations basées sur le droit des populations et par la création d’une communauté de confiance entre les Etats.

La souveraineté internationale

Trop pressés de retrouver une souveraineté de « papier » - sans être capables de l’appliquer - les nationalistes au « front » de cette campagne européenne, oublient de reconnaitre les effets positifs de plus de 50 ans de coopération, pour les « anciens » membres, et de 10 ans dans le cas polonais. Leurs politiques ? la déconstruction...

L’Union européenne, avant d’être des technocrates bruxellois ou des eurodéputés, est une organisation internationale comme il n’en a jamais existé. Une organisation économique qui ouvre son marché à plus de 500 millions d’Européens dans le but d’imposer ses règles, ses normes dans une économie mondialisée, où pays émergents et anciennes puissances connaissent une redistribution des rôles.

Cet Objet Votant Non Identifié (OVNI) qu’est l’Union européenne est imparfait, pas assez démocratique et lent. Pourtant, la soutenir ne révèle pas du sadomasochisme intégriste mais part du constat de la régionalisation géographique et économique qui s’effectue à travers le monde (UE, ASEAN, ALENA,...). Avec pour originalité, entre autres, de s’être doté d’un parlement élu au suffrage universel direct et qui va devoir avaliser le choix du Conseil pour le président de la Commission dans les semaines à venir.

L’Europe des liens

Sans soustraire le mérite qui revient aux Polonais, l’Union européenne, c’est à dire nous, a su soutenir les citoyens de Pologne, les accompagner et bientôt ne pourra plus s’en passer. L’émergence débutée d’une grande nation européenne peut être une fierté à l’aune de ces temps d’euroscepticisme.

Au lendemain de l’élection des 751 eurodéputés, hormis la puissante montée des europhobes au sein du Parlement, les principales discordes européennes portent sur les attributions de la Banque Centrale Européenne (euro) et l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP). Un double défi pour la Pologne. Amie historique des Etats-Unis, elle devra prouver son audace et sa prétention internationale face à la première puissance économique du monde.

Pour l’euro, la Pologne a choisi l’Europe, oui, mais sans sa monnaie commune, elle préfère son zloty national. Osera-t-elle tout de même faire entendre sa voix alors qu’elle dépend pleinement de cette économie interconnectée, où la mauvaise santé de ses voisins impactera la sienne ? L’Europe des liens, du destin commun, des frontières communes et du compromis... Oui, c’est cela l’Union européenne !

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