Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

, par Ferghane Azihari

Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

Catalogne, Écosse, Corse... Ces régions ont un point commun : elles sont toutes travaillées, à des degrés divers, par des mouvances indépendantistes. Loin d’être nécessairement répréhensibles, ces indépendantismes peuvent se révéler être un excellent moyen de conforter l’idéal de démocratie. Mais tout dépend du genre d’indépendantisme que l’on promeut. D’un point de vue idéologique, trois principales motivations indépendantistes sont envisageables. Or seule une parmi les trois peut se considérer comme louable.

L’indépendantisme nationaliste doit être moralement condamné

L’indépendantisme nationaliste est celui qui s’inspire de l’idée selon laquelle une société n’est viable que si les individus qui la composent partagent un patrimoine culturel et historique commun (l’État-nation). En effet lorsque l’on fonde le lien politique sur une identité culturelle commune, cela revient à exclure de la cité l’individu qui ne partage pas la culture majoritaire. Autrement dit cela revient à s’inscrire dans une démarche xénophobe tout en dénaturant l’universalité de la liberté qui fonde la contrat social. Or il semble que l’on peut tous constater le caractère répréhensible de la xénophobie tant qu’elle s’attaque de front à des valeurs universelles comme l’égalité des êtres humains. Tempérons tout de même un petit peu. L’indépendantisme nationaliste, fut-il répréhensible, n’a absolument rien d’étonnant lorsqu’il se développe au sein d’une autre société fondée sur le nationalisme. En d’autres termes, on ne peut pas reprocher à la Catalogne ou à la Corse de récupérer le discours national de l’État espagnol ou français pour leur propre compte. Car il n’y aurait probablement pas de nationalisme local si les entités étatiques dans lesquelles ces régions se trouvent étaient fondées sur des principes rationnels et universels en lieu et place d’une identité culturelle commune aux contours arbitrairement définis.

L’indépendantisme économisciste est tout aussi répréhensible

L’indépendantisme économisciste (ou utilitariste) s’inspire de l’idée selon laquelle les choix ne doivent être gouvernés que par l’intérêt économique. Or appliquer ce raisonnement à la cause indépendantiste est totalement répréhensible car déshumanisant. Au-delà du mépris qu’il affiche envers la notion de solidarité, il est déshumanisant car il considère la communauté politique comme une vulgaire entreprise, rabaissant les concitoyens et donc les êtres humains au rang de vulgaires salariés, de simples outils, de moyens triviaux devant servir la cause marchande qui deviendraient indésirables aussitôt qu’ils ne seraient plus rentables. Or il semble qu’une communauté politique ait une finalité bien plus profonde que la simple accumulation du capital, de même que l’être humain, contrairement à l’argent, n’est pas un moyen mais une fin en soi.

Seul un indépendantisme post-national serait louable et souhaitable

Qu’entend-on par « indépendantisme post-national » ? Il s’agirait d’un indépendantisme qui ne se fonderait pas sur une identité culturelle commune ou sur l’égoïsme économique et financier mais sur la nécessité de rapprocher les collectivités territoriales des centres de décisions européens et mondiaux pour les représenter sans intermédiaire étatique. La solidarité ne serait pas abîmée car l’on peut toujours envisager des dispositifs de redistributions à l’échelle européenne ou mondiale. De même qu’il n’y a point de xénophobie affichée par cette idéologie qui admet la pertinence d’une coexistence civique post-nationale. La seule différence tient à ce qu’il n’y aurait plus d’institutions étatiques intermédiaires faisant écran entre le post-national et la région. Or rapprocher les individus des centres de décision de demain conformément à une esthétique libérale ne peut être que bénéfique au regard de l’idéal démocratique qui n’est que son corollaire.

Appliquer le raisonnement à l’échelle européenne

Résumons. Les régions peuvent donc se passer des intermédiaires étatiques pour participer plus directement à l’élaboration des règles européennes dans la chambre haute d’une Europe fédérale. Parce que cette démarche rapprocherait les individus des institutions européennes, elle serait plus démocratique tout en garantissant la solidarité et l’universalisme chère à la construction européenne. Cela n’empêche pas ces dernières, si elles le désirent, de s’organiser librement avec d’autres régions indépendantes selon une dynamique fédérale analogue à une échelle infra-européenne qui se substituerait aux Nations actuelles. Mais ce raisonnement est également applicable à l’échelle européenne. Comme le rappelle Jürgen Habermas, l’Europe peut devenir une communauté politique fédérale post-nationale sans que l’on s’encombre du formalisme étatique qui ferait écran entre les plus petites échelles et les instances intergouvernementales mondiales. Autrement dit si le fédéralisme européen peut faire l’économie d’une Nation, il peut également faire l’économie d’un État formel.

Vos commentaires
  • Le 5 mars 2014 à 15:32, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    La Belgique est absente de cette réflexion, et je le regrette, car elle est aussi travaillée depuis très longtemps ( dès la fin du XIXe siècle, moins de cinquante ans après l’indépendance du pays) par le nationalisme. Se sentant minorisée au sein d’un état exclusivement francophone, la Flandre a été la pionnière dans ses revendications culturelles et linguistiques. Ce n’est qu’au terme des Trente Glorieuses que la partie francophone durement touchée par la crise dans son industrie sidérurgique et ses charbonnages a obtenu en contre - partie de la régionalisation culturelle voulue par la Flandre la régionalisation économique.

    En Belgique, si l’état national s’est construit comme partout ailleurs dans la négation des cultures locales, et des dialectes locaux, il faut admettre que Flandre et Wallonie sont ici sur un pied de stricte égalité. La seule différence, qui explique les rancoeurs de la Flandre, outre l’abandon du néerlandais orangiste, réside dans le fait que les dialectes wallons ont toujours été plus proches d’une langue française devenue langue commune de tous.

    En Belgique, seule la Flandre a développé un nationalisme de type culturel, d’essence linguistique. Dans ce but, et après avoir imposé le droit du sol, et donc aussi une frontière linguistique, elle prétend aujourd’hui, comme l’état belge d’hier, imposer une langue uniforme pour tous dans le cadre de son espace national appelé à l’indépendance dans les statuts de la N-VA.

    Le discours dominant est celui de l’état confédéral dans lequel les régions s’arrogent toutes les compétences...sauf celles, très réduites, qu’elles conviennent encore d’attribuer à la capitale confédérale...

    J’ai la faiblesse de croire que telle n’est pas la conception de l’Europe de M. AZIHARI !

  • Le 5 mars 2014 à 16:39, par Ferghane Azihari En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    Cher Jean-Luc Lefèvre,

    Veuillez m’excuser si j’ai donné l’impression de me désintéresser au cas belge, mais en vérité, le choix des régions était en l’espèce totalement arbitraire. J’ai choisi la Catalogne, la Corse et l’Écosse, j’aurais pu tout autant évoquer la Belgique, l’Alsace ou l’Occitanie.

    Cependant les régions que j’aurais pu mentionner ne sont pas occultées du raisonnement que j’essaie d’exposer puisque l’article en question a davantage l’ambition de traiter l’indépendantisme d’un point de vue idéologique que d’un point de vue empirique. En ce sens il semble que le raisonnement développé soit applicable à plusieurs cas d’espèce, dont le cas belge (que j’avoue ne pas très bien connaître).

    D’ailleurs le choix de l’échelle régionale est aussi arbitraire...Car d’un point de vue idéologique, le raisonnement est également applicable au département ou à la municipalité...même si d’un point de vue pratique, j’ai du mal à envisager un Conseil de l’Union européenne composée de 450 000 micro-États...mais allez savoir, peut-être que je sous-estime le potentiel humain ;)

    Mais je dois avouer que je n’ai très bien compris le reproche fait à la vision développée dans l’article. Sans doute ai-je besoin d’une autre explication. Mais laissez-moi préciser ma pensée pour être sûr d’éviter tout malentendu :

    Aujourd’hui la vision dominante du fédéralisme européen s’attache d’une part à concilier une légitimité post-nationale (Le Parlement européen) avec une légitimité intergouvernementale multinationale (Un Conseil composés des gouvernements nationaux), le tout formalisé dans une structure étatique.

    En ce qui ne me concerne, j’estime que rien ne nous oblige à décréter que la légitimité intergouvernementale doit être multinationale et qu’elle doit nécessairement représenter des gouvernements nationaux.

    En ce sens l’Europe des Régions est un schéma tout à fait valable car elle permettrait un rapprochement entre les collectivités territoriales et l’Union européenne. Celles-ci pourraient donc mieux défendre leurs intérêts tout en admettant la pertinence de la démarche universaliste chère à la construction européenne. Enfin rien ne nous oblige à décréter que l’État soit la seule organisation politique viable. C’est valable pour l’Europe, ça l’est aussi pour la France et les autres pays européens. Aux citoyens d’avoir le dernier mot.

  • Le 5 mars 2014 à 16:41, par Ferghane Azihari En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    Pour ce qui est de la répartition des compétences, je me réfère au principe de subsidiarité. Selon moi, ce principe doit-être mis au service de l’esthétique libérale, c’est-à-dire, faire en sorte que le centre de décision soit le plus proche possible de l’individu. En ce sens, l’échelle supérieure n’intervient que si l’échelle inférieure n’est pas capable ou n’est pas légitime pour intervenir.

    Si juger la capacité d’intervention d’une échelle n’est pas très difficile (une Finance globalisée ne peut pas être régulée par un État seul, de même que l’on aurait plus de poids pour résoudre les crises militaires étrangères si l’on avait une diplomatie intégrée...), ce n’est pas le cas pour la légitimité de l’utilisation d’une échelle, qui est plus délicate à définir.

    Cette légitimité doit être jugée grâce à l’utilisation du couple causalité/responsabilité.

    Par exemple, la politique nucléaire de l’État français peut impacter tous ses voisins et au-delà. Il n’est donc pas légitime que la gestion du parc nucléaire français revienne à la France. Elle doit revenir à l’instance qui représente tous ses concitoyens : l’Union européenne.

    C’est pareil pour la politique budgétaire. À partir du moment où la politique budgétaire d’un État membre impacte la santé économique d’un autre, il est normal que les instances supérieures fassent de l’ingérence quant à la politique budgétaire de l’État en question

    En revanche, la manière avec laquelle la France ou la Région légifère sur les règles de sécurité routière sur son territoire, cela ne concerne que ceux qui résident sur le territoire français ou régional. Et les instances européennes n’ont pas à mettre leur nez dans ces affaires là.

  • Le 5 mars 2014 à 16:45, par Ferghane Azihari En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    Évidemment je parle en l’espèce du principe de subsidiarité en fonction des relations entre l’UE et ses États, mais c’est également valable en fonction des relations entre les États et les régions ; Entre les régions et les départements ; Entre les départements et les intercommunalités ; entre les intercommunalités et les municipalités ; entre les municipalités et les quartiers etc.

  • Le 6 mars 2014 à 14:14, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    Cher Ferghane Azihari,

    Point de frustration en ce qui me concerne, rassurez-vous ! Point d’aversion non plus à l’idée que vous défendez dans cette contribution : d’autres, en terres romanes de Belgique, y pensent depuis très longtemps, comme l’ancien député européen José HAPPART, dont l’expertise nationaliste n’est plus à démontrer !

    Si j’ai réagi, ce n’est pas parce que le « cas » belge était ignoré, c’est en raison du regard somme toute ...bienveillant vis-à-vis des nationalismes culturels et linguistiques, très souvent, comme en Flandre, marqués du sceau du repli sur soi et de l’ostracisme ( au point d’interdire à des enfants de gazouiller dans une certaine langue au jardin d’enfants) : comment, dans ces conditions, plaider en faveur des solidarités européennes quand on a été incapable d’encore les supporter ( les transferts nord - sud ) dans un cadre national ?

    Encore faut-il que cette Europe fonctionne au quotidien avec une telle inflation de partenaires, ce dont vous n’êtes pas plus convaincu que moi. Votre approche, qui est celle de poupées gigognes toutes imbriquées selon le principe de subsidiarité, ne serait - elle pas plus opérationnelle si elle s’appuyait sur des régions trans - frontalières plutôt que sur des régions héritées du cadre national ? Ainsi : la banane ( sud - est anglais, Westhoek flamand, métropole lilloise), Sarre- Lorraine - Luxembourg , Montpellier - Barcelone..., Lyon et la Lombardie...???

    Finalement, cette Europe, qui s’appuierait sur la réalité des échanges, s’inscrirait aussi dans la continuité de l’Histoire, une fois refermée la parenthèse nationale !!!

  • Le 6 mars 2014 à 15:52, par Ferghane Azihari En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    Il ne me semble pas avoir été tolérant avec le nationalisme étant donné que je le condamne dès mon premier paragraphe.

    Ce que je m’attache à dire c’est que le nationalisme « local » est engendré par le nationalisme « national ». C’est vrai pour l’Espagne et la Catalogne, c’est vrai pour la France et la Corse et j’ai la conviction que c’est également le cas pour la Belgique.

    Car les communautés n’auraient aucun moyen de récupérer le discours national des États susmentionnés si ces derniers n’étaient pas fondés sur le nationalisme.

    Ensuite, quant à votre proposition d’une Europe des régions transfrontalières : elle se vaut parfaitement. Les territoires choisis dans mon article l’ont été de manière totalement arbitraire. En ce sens toute proposition alternative se vaut parfaitement !

    D’ailleurs, si votre proposition permet davantage de briser la tyrannie du paradigme national dans l’imaginaire collectif des Européens, alors elle est bien meilleure que la mienne ;)

  • Le 7 mars 2014 à 12:47, par Alexandre Marin En réponse à : Les indépendantismes en Europe, une opportunité démocratique

    « L’indépendantisme économisciste est tout aussi répréhensible »

    Je trouve que c’est à nuancer. Je suis d’accord, si le choix est motivé par une absence de solidarité et une vision court-termiste ; cela relèverait de l’idéologie assez malsaine et dénuée de tout pragmatisme qu’est la rentabilité à court terme.

    En revanche, la solution est discutable, lorsqu’il s’agit de la prospérité économique qui ne réduit pas l’humain à une machine, mais qui existe (ou devrait exister) au service du bien-être matériel du plus grand nombre.

    Comme indépendantisme, on pourrait prendre les Britanniques. On pouvait comprendre l’adhésion des citoyens britanniques éclairés à l’euro-scepticisme de Thatcher : le Royaume-Uni avait des relations politiques et économiques privilégiées avec les Etats-Unis, et n’avait guère besoin plus que d’une zone de libre échange en Europe pour assurer la prospérité politique et économique de leurs peuples. Aujourd’hui, les Britanniques ont vu leur influence politique, diplomatique et commerciale s’effondrer. L’euro-scepticisme thatchérien n’a plus de sens, car le partenaire économique privilégié du Royaume-Uni, c’est l’U.E. Pour le bien-être matériel de leurs citoyens, les Britanniques ont intérêt à une Europe politique. Pour « rentabiliser » encore plus le projet européen, les Britanniques participent, par leur adhésion à légitimer des valeurs européennes universelles tels que la démocratie, et la protection des libertés, auxquelles ils ont eux-même contribué jadis. Lire l’aricle de Ferghane : http://www.taurillon.org/david-cameron-nationalisme-xenophobe-europe

    On peut prendre comme autre exemple l’immigration. Les questions de rentabilité à court terme sont vaines. Il faut se demander si pour la prospérité politique, économique, et culturelle à long terme, le rapport entre les enrichissements que l’immigration apporte, et les destructions qu’elle cause, sont viables.

    Cette réflexion doit être dénuée de toute idéologie. Elle doit être pragmatique.

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