Portraits de chorégraphes européens (1/6) : La fusion danse et théâtre avec Pina Bausch

, par Suzie Holt

 Portraits de chorégraphes européens (1/6) : La fusion danse et théâtre avec Pina Bausch
Pina Bausch à Taipe. ©Flickr (terafoto)

Connaissez-vous les grandes figures de la danse en Europe ? Danse classique, contemporaine, hip hop, flamenco, tous ces styles ont été développés et mis en avant par des chorégraphes européens qui ont marqué à la fois le continent et le monde. Afin de mieux connaître ces différentes personnalités, voici une série de portraits de six chorégraphes européens.

Née à Solingen en Allemagne en 1940, Philippina Bausch a révolutionné le métier de chorégraphe. Celle que l’on connaît sous le nom de Pina est l’une des plus grandes figures de la danse contemporaine et l’initiatrice de la danse-théâtre. Sa maxime ? “Tanzt, tanzt, sonst sind wir verloren” ou en français “Dansons, dansons, sinon nous sommes perdus”. Elle a appliqué cette devise toute sa vie, la dédiant à la danse. Retour sur le portrait d’une personnalité qui a marqué à tout jamais le monde de l’art.

Des débuts déjà prometteurs

La première étape dans la création d’une chorégraphie, c’est l’observation. La jeune Pina Bausch l’a bien compris car dès son enfance elle a pour habitude d’observer les clients de l’auberge-restaurant que tiennent ses parents en se concentrant sur leurs émotions. Ces observations précoces ont inspiré certaines de ses créations avec des gens qui vont et viennent, à la recherche de quelque chose d’intangible : le bonheur. Elle commence la danse à l’école supérieure Folkwang à Essen, dans l’Ouest de l’Allemagne avec Kurt Joos, grand nom de la danse expressionniste. Cette expérience vient nourrir ses inspirations futures, tout comme son passage à la Julliard School de New York.

Le tournant de sa carrière survient quelques années plus tard lorsqu’en 1973, elle prend la direction de la troupe de danse de Wuppertal qu’elle rebaptise la Tanztheater Wuppertal. Cette compagnie devient alors son théâtre d’expérimentation pour développer de nouvelles façons de présenter la danse contemporaine. La danse devient théâtrale et l’opéra devient dansé avec Iphigénie en Tauride et Orphée et Eurydice, deux opéras qu’elle a adaptés du répertoire de Christoph Willibald Gluck. Mais sa carrière décolle véritablement au début des années 80 lorsqu’elle présente ses œuvres à l’étranger, notamment à Paris où elles rencontrent un franc succès. C’est durant cette période que naissent les pièces les plus connues de la chorégraphe telles que Le Sacre du Printemps (1975), Café Müller (1978), Kontakthof(1978) ou Nelken (1982).

La pièce Cravos (Nelken) par la chorégraphe Pina Bausch, le 28 septembre 2005. © Wikimedia Commons (clau damaso)

Une chorégraphe tournée vers l’Europe et le monde

Le travail de Pina Bausch ne s’inscrit pas seulement dans une dynamique d’expression des émotions mais aussi dans un voyage culturel à travers l’Europe et le monde. On explore la Sicile avec Palermo Palermo (1989), la Turquie avec Nefés (2003) et même le Japon avec Ten Shi (2004). La chorégraphe veille toujours à ce que les différentes cultures et religions soient respectées, notamment par le choix des costumes. Elle ajoute également des éléments physiques à ces œuvres en y incluant de l’eau, de la terre ou encore des feuilles. L’objectif de la troupe de Wuppertal n’est pas seulement de montrer son travail à l’étranger mais aussi de collaborer avec d’autres pays européens lors de co-productions comme « Viktor » mettant en scène une silhouette mystérieuse à la table d’un café, et « O Dido » sur des vacances à Rome, avec l’Italie, ou encore « Tanzabend II » sur le lien de la danse avec la nature et les saisons, avec l’Espagne. Toutes ces œuvres culturelles ont été réalisées dans le cadre de résidences artistiques, moments durant lesquels Pina et ses danseurs sont invités à séjourner dans des grandes villes européennes et mondiales pour travailler sur des projets chorégraphiques.

La directrice du Tanztheater Wuppertal a d’ailleurs reçu de nombreuses distinctions à l’international pour récompenser sa créativité et son travail (le Bessie Award à New York (1984), le Deutscher Tanzpreis (1995), le Theaterpreis Berlin (1997), le Prix impérial au Japon (1999), le prix Nijinsky à Monte-Carlo, le Masque d’or à Moscou (2005), le prix Goethe de la ville de Francfort-sur-le-Main (2008) ainsi qu’un lion d’or à la Biennale de Venise en 2007). Le gouvernement français lui a même remis la légion d’honneur en 2003.

Une vision de la danse singulière

Les pièces de Pina Bausch reflètent des questions existentielles ainsi que des émotions puissantes comme la souffrance ou l’amour. Reprenant les habitudes qu’elle avait dans l’auberge de ses parents, elle observe ses danseurs improviser après leur avoir posé des questions en rapport avec ces thèmes. Elle retient certaines propositions et leur demande parfois de refaire les mêmes gestes dans la même tenue des mois plus tard, ce qui nécessite des capacités de mémoire assez impressionnantes. Dans le discours qu’elle donne à l’Université de Bologne en 1999, elle explique le rôle que la timidité peut jouer dans la création chorégraphique : “ Les choses les plus belles sont dans la plupart des cas entièrement cachées. C’est pourquoi j’aime travailler avec des danseurs qui ont une certaine timidité, de la pudeur, et qui ne s’exposent pas facilement. [...] La pudeur garantit que si quelqu’un montre quelque chose de très petit, cela est vraiment quelque chose de spécial et qu’on le perçoit comme tel.”. Elle-même se considère comme étant timide et utilise la danse comme moyen d’expression.

Bien que son travail soit parfois décrié et ne soit pas toujours bien compris, Pina Bausch s’accroche à son but : faire de la danse une représentation de la vie, avec les émotions à la fois positives et négatives qui peuvent la traverser. C’est ce qu’elle rappelle en 1999, à l’Université de Bologne : "Il ne s’agit pas d’un art, ni même d’un simple savoir-faire. Il s’agit de la vie, et donc de trouver un langage pour la vie.".

La danse au-delà des frontières de la vie : la mémoire du travail de Pina

Sa mort survenant en 2009, 5 jours après qu’on lui ait diagnostiqué un cancer, est inattendue et une véritable tragédie pour le monde de la danse. Une question se pose alors : que va devenir la troupe de Wuppertal sans celle qui lui a donné une solide renommée ? Si certains chorégraphes n’acceptent pas que leurs œuvres soient dansés suite à leur décès, ce n’est pas le cas de Pina Bausch. Afin de continuer à faire vivre le répertoire de Pina, Dominique Mercy, l’autre danseur principal de la troupe, aiguillent les compagnies qui voudraient reprendre une des pièces de la chorégraphe. Cette question de la postérité avait même déjà été réfléchie par Pina Bausch de son vivant, qui à l’instar du chorégraphe américain Merce Cunningham, rejouait régulièrement ses créations les plus célèbres.

La mémoire de Pina Bausch continue aussi de vivre au travers des écrans avec des documentaires relatant certains pans de sa vie. Par exemple, le film Les rêves dansants réalisé en 2010 par Rainer Hoffmann et Anne Linsel montre les derniers instants dansés de la chorégraphe lorsqu’elle a repris son œuvre Kontakthof avec des adolescents novices. Plus récemment, sorti en avril 2023, le documentaire de Florian Heinzen-Ziob Dancing Pina montre comment les anciennes danseuses de la compagnie de Pina Bausch continuent de faire vivre ses œuvres. Le film est basé sur deux projets centrés sur ses pièces : la production d’Iphigénie en Tauride avec les danseurs de l’Opéra Semper de Dresde ainsi qu’un voyage de danseurs au Sénégal pour apprendre le Sacre du Printemps aux élèves de l’École des Sables, venus de toute l’Afrique pour l’occasion.

La diversité et la singularité des œuvres de Pina Bausch a marqué le paysage chorégraphique européen et mondial. Ses pièces sont étudiées et rejouées dans le monde entier, véritable héritage d’une innovatrice de la danse contemporaine.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom