Pourquoi Jean-Claude Juncker n’est pas venu aux Journées de Bruxelles

, par Fabien Cazenave

Pourquoi Jean-Claude Juncker n'est pas venu aux Journées de Bruxelles

Le Taurillon était présent aux Journées de Bruxelles des 6 et 7 novembre 2014, organisées par L’Obs, Le Soir et Der Standaard. Occasion d’interviewer Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du quotidien belge Le Soir. Elle nous explique de l’intérieur pouquoi Jean-Claude Juncker a annulé sa venue en pleine affaire LuxLeaks.

Le Taurillon : Pourquoi le journal Le Soir participe-t-il à cet événement ?

Béatrice Delvaux : Avant tout car on avait envie que les choses bougent au niveau de l’Europe, en créant un lieu où les gens qui font l’Europe rencontrent les citoyens. C’est d’abord au départ une idée de l’Obs qui organisaient de telles rencontres entre intellectuels, décideurs et citoyens sur différentes thématiques en France. Ils étaient venus nous trouver l’année dernière car ils voulaient faire quelque chose sur l’Europe à Bruxelles. On approchait des élections européennes et on avait de grandes craintes sur l’intégration européenne et le sentiment européen. On a trouvé que c’était une terrible idée. Bien sûr, on aimerait qu’il y ait 200.000 personnes qui viennent parler d’Europe, mais déjà l’an dernier, il y a eu beaucoup de monde avec 8000 personnes. Beaucoup de jeunes, beaucoup d’interactions, d’envie de débats.

On le refait cette année parce qu’il y avait une nouvelle Commission. Occasion de nourrir l’envie des citoyens de dire des choses sur l’Europe et de leur donner un endroit où les exprimer. Ces Journées de Bruxelles servent aussi de plateforme pour des décideurs venant s’expliquer sur leur vision de l’Europe.

Autre intérêt, plus pragmatique pour un journal : faire venir des personnalités, c’est décrocher des interviews, des rencontres, de créer un événementiel européen dans nos pages en ayant accès à des gens que nous n’aurions pas eus par ailleurs.

Le Taurillon : Normalement, on aurait dû avoir un débat Delors - Juncker. Il n’a pas eu lieu, pourquoi ?

Béatrice Delvaux : M. Juncker était très demandeur puisqu’il a dit à plusieurs reprises lors de rencontres avec la presse la semaine précédente qu’il était très heureux de rencontrer coup sur coup Helmut Kohl et Jacques Delors. En quelques jours, il avait ainsi une sorte d’adoubement par deux personnes qui ont joué un rôle très important pour la construction européenne.

M. Delors a dû prendre la décision la veille d’annuler sa venue pour des raisons de santé. M. Juncker informé de ça a décidé qu’il ne venait plus non plus. On a fait beaucoup de choses pour le convaincre de venir quand même. Il a refusé de nouveau le jeudi matin à 10h. A ce moment-là, on a décidé, les trois rédacteurs en chef des journaux concernés (NDLR : L’Obs, le Soir et Der Standaard) de faire un communiqué commun pour regretter le fait qu’il ne venait pas. Il y avait 2500 personnes d’inscrites ! Au-delà du streaming, il y avait également une grosse diffusion sur le site du Soir de prévu. On regrettait aussi qu’il ne nous ait pas envoyé de remplaçant comme on le lui avait demandé (M. Timmermans ou son directeur de cabinet qui est quelqu’un de très important). Il nous a mis soudain devant une frustration énorme, surtout que derrière sa conférence, il y en avait d’autres importantes avec le Ministre français de l’Economie M. Macron, la Commissaire européenne Mme Vestager et le Secrétaire d’Etat italien aux Affaires européennes M. Gozi. Et pour conclure cette première journée, M. Piketti a dirigé une ’Masterclass’.

Le Taurillon : L’affaire LuxLeaks a dû jouer...

Béatrice Delvaux : Il est vrai que le même matin dans notre journal et dans 40 journaux dans le monde, une enquête d’un consortium de journalistes d’investigation sortait un dossier gênant pour l’actuel président de la Commission. Il démontrait l’organisation d’un ’ruling fiscal’ à partir du Luxembourg pour de grandes entreprises dans le monde. Chaque journal sortait un morceau de l’enquête pour son pays. C’était assez assassin pour une Commission devant mener une réforme fiscale de voir soudain que celui à sa tête a été un peu celui qui a hébergé dans son pays des constructions, non pas illégales mais qui posent question au niveau de la justice fiscale.

Nous avons dit à son porte-parole que le fait qu’il ne vienne pas serait interprété comme une fuite. C’est ce qui s’est produit du reste. Après le premier débat (NDLR : avec Sylvie Goulard sur Denis de Rougemont), nous avons dû improviser avec deux chefs de groupes politiques au Parlement européen, l’un libéral M. Verhofstadt et l’autre écolo M. Lamberts qui ont accepté de venir en dernière minute. 2000 personnes étaient restés. Cela montre la faim d’Europe est plus grande que celui qui la porte, ce qui est plutôt bon signe.

Après cette conférence, j’ai reçu un coup de fil de M. Juncker qui s’excusait, qu’il y aurait eu un malentendu dans la communication de l’événement. Il pensait que l’événement était purement supprimé. Donc acte comme on dit.

Le Taurillon : L’actu européenne est souvent un peu perçue comme une info « à froid » par les journalistes...

Béatrice Delvaux : Ces derniers temps, l’Europe a été une actu très chaude avec la crise de l’euro, la crise ukrainienne. Depuis quelques années, l’actualité de l’Europe est marquée par une série de crises extrêmement graves à chaque fois met en danger son existence ou sa sécurité extérieure. Donc elle a fait beaucoup plus souvent qu’on le croit la Une. Avant il y avait surtout un aspect institutionnel à suivre, le journaliste était souvent des spécialistes. Ici à Bruxelles c’est presque devenu un thriller effrayant pour les citoyens de ne pas savoir comment l’Europe allait évoluer.

Le Taurillon : Que retenez-vous de ces Journées de Bruxelles ?

Béatrice Delvaux : Il y a eu un grand consensus de vues, sur la nécessité d’un grand plan d’investissements. Beaucoup ont dit qu’il devait être rapidement dans sa mise en place et qu’il soit de 1000 et non de 300 milliards. Il y a aussi beaucoup d’attentes à ce que cela soit porté par la Commission.

C’est donc dommage que M. Juncker ne soit pas venu car c’était un moment où des Etats et des citoyens montraient leur envie que la Commission prenne ses responsabilités.

Il est à noter aussi que ces Journées se sont tenues au Palais Bozar alors qu’il y avait 120.000 personnes défilant à Bruxelles avec de la violence dans les rues. Ces personnes refusent les réformes actuelles. Quelque soit le pays, la nécessité de réformes suggérée par de nombreux ministres ne rencontre pas un assentiment. Le plan d’investissement est donc très nécessaire pour permettre à ces réformes de se faire avec moins de souffrances.

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