Terrorisme et immigration : Pour la création d’agences fédérales européennes

, par Jean-Guy Giraud

Terrorisme et immigration : Pour la création d'agences fédérales européennes
L’agence Frontex a été dotée l’année dernière de moyens exceptionnels pour mettre en œuvre l’opération Triton, une opération visant au contrôle des frontières de l’Union en Méditerranée, luttant également contre les réseaux de passeurs. Cependant, les moyens demeurent insuffisant et ce sont les citoyens qui se lancent au secours des réfugiés qui font la traverser sur des embarcations de fortune. - Kripos_NCIS (CC/Flickr).

L’opinion publique européenne est dramatiquement et simultanément confrontée à une spectaculaire escalade des problèmes de terrorisme et d’immigration sur le territoire de l’Union européenne. Certains gouvernements - relayés par la presse nationale - ont imputé à « l’Europe » une part (variable) de responsabilité dans la cause et le traitement de ces problèmes. Les institutions européennes, et notamment la Commission, n’ont pas toujours su fournir les explications - voire les mises au point - nécessaires. Si bien que l’opinion peut être amenée à mettre en doute l’efficacité de l’action communautaire ou même sa pertinence dans ces deux domaines.

Cette conclusion serait erronée et dangereuse pour les raisons suivantes.

1. Le caractère exceptionnel des évènements dépasse le cadre européen

L’Union européenne est simultanément confrontée à une véritable « guerre » terroriste et à un véritable « exode » migratoire - liés directement au phénomène mondial du djihadisme. L’ampleur et la violence de ces évènements sont sans précédent depuis la création de l’Union.

Ils dépassent très largement le cadre dans lequel ont été conçues les politiques européennes en matière d’immigration et de lutte anti-terroriste. Ces politiques sont avant tout des outils de coopération administrative et juridique entre les États et entre les services nationaux compétents. Elles ont un caractère principalement préventif et ne sont pas, en règle générale, destinées à faire face à des situations de crise généralisée d’ampleur internationale.

2. L’action européenne repose sur la coopération interétatique

La sécurité intérieure [1] et le contrôle de l’immigration sont des compétences régaliennes des États - même si des règles, européennes et internationales, encadrent leur action.

L’Union en tant que telle - c’est à dire les institutions européennes - ne dispose pas des compétences juridiques ni des moyens matériels nécessaires pour agir sur le terrain à la place ou au nom des États. Elle ne possède pas, en propre, de services de police, de renseignement, de douaniers ou de garde-frontières. Ceux-ci demeurent sous le contrôle séparé de chacun des États - même si certaines fonctions de coordination sont confiées à des organismes communs (Interpol, SIS, Frontex, etc.).

Si bien que, dans ces deux domaines, l’acteur « Europe » n’est pas l’Union européenne - mais la matérialisation, plus ou moins aboutie, de la coopération volontaire des États membres ou, le plus souvent, de certains d’entre eux seulement. Au surplus, en situation de crise grave, il est expressément prévu que les autorités nationales reprennent très largement la main et soient même autorisées à s’affranchir autant que nécessaire des règles communes (par exemple pour la fermeture des frontières nationales).

3. La coopération interétatique demeure très insuffisante

C’est évidemment en temps de crise que l’on mesure, dans les faits, l’efficacité de dispositifs qui, sur le papier, peuvent paraître satisfaisants. En l’occurrence, trois constats ont été effectués :

  • aucun État membre ne peut faire face, seul, à de tels évènements ;
  • les mécanismes de coopération mis en place ont mal fonctionné ;
  • cet échec relatif est largement dû à une absence de culture coopérative - voire à de franches réticences - dans le chef des instances politiques ou administratives nationales.

On pourrait ici multiplier les exemples relatifs à la disparité, la dispersion et le caractère unilatéral et non coopératif des réactions des États tant vis-à-vis des flux migratoires que de la lutte anti-terroriste. Dans ce dernier domaine, la réticence ou l’incapacité des agences de renseignement à collaborer constitue un véritable cas d’école. Au total , si « le terrorisme comme la crise des réfugiés constituent des défis dramatiques, peut-être ultimes, et exigent une coopération étroitement solidaire », il apparait clairement que « les nations européennes ne s’y sont pas jusqu’à présent résolues ». [2]

4. De véritables agences fédérales doivent prendre le relais

Il conviendrait donc de reformuler le constat évoqué en introduction : c’est plus à l’absence d’Europe qu’à l’Europe elle-même qu’il faut imputer l’échec relatif de la réaction européenne aux deux grandes crises actuelles. Quelles leçons pourraient être tirées de ce constat ?

La plus claire et la simple serait de confier directement et totalement certaines fonctions - de niveau transnational - à des organes européens autonomes, sous la supervision des autorités politiques, démocratiques et judiciaires de l’Union elle-même. Ainsi Frontex et Europol pourraient être transformés en agences de type fédéral de plein exercice [3] disposant de moyens propres et pouvant mobiliser ceux des États. De même pourrait être créée, sur le même modèle, une Agence Européenne de Renseignement. De même pourrait être institué un Procureur Européen de larges compétences, etc.

On sait les extrêmes réticences que rencontre ce type de propositions - la Commission elle-même ne s’y risque guère - réticences qui paralysent même toute réflexion approfondie sur la pertinence de telles agences d’importance majeure. [4]

Toutefois, le constat de quasi-faillite - en grandeur réelle - de la procédure de coopération interétatique sur les fronts du terrorisme comme de l’immigration ne laisse véritablement d’autre alternative que celle de la voie fédérale évoquée ci-dessus. Souhaitons que ce soit une des leçons que tireront les institutions et les États de la crise actuelle - plutôt que persévérer dans la voie manifestement sans issue de la coopération intergouvernementale libre, facultative et, finalement, inopérante.

Cet article a été publié dans le numéro 170 du magazine Fedechoses.

Notes

[1Article 4 § 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE) : « En particulier, la sécurité reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».

[2Jürgen Habermas dans Le Monde, 22/23 novembre 2015.

[3Le corps des « US Coast Guards » fut créé dès 1790 par le Congrès. Le « US Secret Service » (ancêtre du FBI et de la CIA) en 1865 et le « US Bureau of Immigration » (ancêtre du USICE) en 1895.

[4Il existe actuellement près de 50 agences au sein de l’Union européenne, dont certaines ne passeraient certainement pas le test de subsidiarité voire d’utilité.

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