Anniversaire

1998-2008 : Dix ans des Accords de paix irlandais dits « du Vendredi saint » :

L’Irlande nouvelle, entre décollage économique et pacification politique.

, par Ronan Blaise

1998-2008 : Dix ans des Accords de paix irlandais dits « du Vendredi saint » :

Il y a dix ans, le 10 avril 1998, étaient signés - à Belfast - les accords de paix nord-irlandais dits « Accords du Vendredi Saint » mettant fin à trente années de guerre civile. Des accords de paix plusieurs fois suspendu depuis lors… mais à nouveau remis à l’ordre du jour en novembre 2006. Depuis lors, le décollage économique de l’Irlande n’en finit pas d’étonner...

Quoi qu’il en soit, donc - en ce 10 avril - voilà bien un anniversaire à célébrer pour la verte Erin. Et, pour nous, l’occasion de revenir - à plus d’un titre - sur la place particulière qu’occupe aujourd’hui cette Irlande, pacifiée et économiquement dynamique, dans notre Europe nouvelle actuellement en voie de construction.

Mettant fin à, depuis les « Northern Troubles » de 1969, trois décennies de conflit et de guérilla urbaine [1] entre militants nationalistes irlandais [2] et loyalistes britanniques [3], les accords de Belfast du 10 avril 1998 (dits « Accords du vendredi saint ») dressaient les contours d’un nouveau cadre politique fixant les modalités d’un pouvoir enfin pacifiquement partagé, en Irlande du Nord, entre irlandais "ethniques" (ou se prétendant tels...) et lointains descendants des colons britanniques.

Principales modalités de cet accord de paix : le désarmement des factions et milices paramilitaires, la création d’un Parlement autonome véritablement représentatif (élu à la proportionnelle) et la mise en place d’un gouvernement provincial autonome, responsable de l’administration de la province dans tous les domaines sauf ceux restant confiés aux autorités britanniques de Londres (justice, police, défense et affaires étrangères) ; un gouvernement bi-partite et d’union regroupant aussi bien "unionistes" britanniques (dits "protestants") [4] que "républicains" irlandais (dits "catholiques") [5].

Vers une fédéralisation de l’espace britannique ?

Mais, en dehors de la mise en place de ces institutions démocratiques en Irlande du nord instaurant un partage des pouvoirs entre nationalistes et unionistes, il ne faut pas oublier que l’ « Accord du Vendredi Saint » propose également la mise en place d’un « Conseil ministériel transfrontalier » : "axe institutionnel" inter-irlandais ayant pour mission - sous la responsabilité des PM de Dublin et de Belfast - de développer la coopération entre les deux gouvernements irlandais (et de coordonner leurs actions économiques et sociales sur des "questions jugées d’intérêt mutuel" ; comme l’agriculture, les transports, l’éducation et la santé).

De même, il faut également rappeler qu’un volet de cet accord présente également des aspects internationaux (voire supranationaux) novateurs : notamment avec la mise en place d’un « Conseil des Iles (irlando-britanniques) » et la création d’une « Conférence Intergouvernementale irlando-britannique » constituée de représentants des gouvernements britannique et irlandais (ainsi que des représentants des institutions autonomes d’Irlande du Nord, d’Ecosse et du pays de Galles…).

Et on notera que ces nouveaux dispositifs institutionnels intègrent les récentes mesures d’autonomie concédées, ces dernières années, par la Couronne britannique non seulement à l’Irlande du Nord mais également à toutes les nations périphériques de l’archipel britannique (comme l’Ecosse et le pays de Galles). Et ce, dans une perspective de décentralisation multi-directionnelle de tous les territoires d’un Royaume-Uni désormais réorganisé autour des principes d’ "unité dans la diversité" et de "respect des autonomies locales".

En l’occurrence, que de chemin parcouru par ce Royaume-Uni (et qu’on dit si souvent culturellement imperméable aux principes mêmes du fédéralisme…) depuis le projet de « Home Rule » irlandais de la fin du XIXe siècle ! Et étonnant pied de nez de l’histoire que de voir l’espace britannique, administrativement centralisé par tradition politique, ainsi converti aux principes et méthodes du fédéralisme grâce aux anciens « rebelles » irlandais. Mais ce n’est pas là la seule leçon positive que nous pouvons retirer de l’expérience irlandaise récente...

En effet, depuis son accession à l’indépendance pleine et entière - il y a environ un demi-siècle (le 18 avril 1949) - la République d’Irlande n’a cessé de se transformer : passant de la situation inconfortable de pays pauvre et très agraire à la position beaucoup plus enviée de pays désormais cité comme exemple pour son économie dynamique et pour sa très forte croissance.

La prospérité économique, notamment grâce à l’Europe

La république d’Irlande n’a certes guère aujourd’hui que 3.7 millions d’habitants et elle représente actuellement sans doute moins de 1% de la population de l’UE 27 ; mais aucun autre pays n’a connu, lors du dernier quart de siècle, une croissance économique aussi rapide et un développement social aussi exemplaire. Au point d’être même surnommée « petit Dragon de l’Occident » ou encore « Tigre celtique ».

Le PM Seann Lemass, artisan du « miracle irlandais ».

Déjà rapide dans les années 1960 (avec un taux de croissance annuel du PIB d’environ 5% déjà), le rythme de développement de l’Irlande a connu une très forte accélération avec l’entrée de la république dans le marché commun (en 1972) et il s’est à nouveau accéléré au tout début des années 1990, et plus encore au cours des dix dernières années (avec un taux annuel de croissance du PIB d’environ 10%).

Ainsi, l’économie irlandaise s’est modifiée de façon très rapide et étonnante, au point de se situer (en 2001) au 2e rang européen pour le PIB par habitants (Nb : elle était déjà 6e en 1998…). Premier pays « intégralement pauvre » [6] à être entré dans la CEE, l’Eire est aujourd’hui un pays où l’économie, tout particulièrement dynamique, est désormais dominée par les services (représentant aujourd’hui 65% de la population active, l’industrie regroupant moins de 30% et l’agriculture environ 10%).

On ne sait jusqu’à quel point cette réussite économique « irlandaise » sera durable, mais elle est aujourd’hui évidente et incontestable. Et créée une Irlande nouvelle. Mais on peut souligner l’influence très positive et véritablement incontestable de l’intégration européenne dans le développement économique de l’Irlande.

Certes, depuis le milieu des années 1950 (et sous l’impulsion du très "modernisateur" premier ministre Seán Lemass [7] et sous l’influence de l’économiste Ken Whitaker) l’Irlande encore agraire s’était déjà - grâce à un vaste « programme d’expansion économique » - donnée les bases d’une économie plus solide et plus diversifiée : avec notamment plus de poids pour l’industrie, le commerce et les transports.

Mais les bénéfices tirés de l’entrée dans la CEE (CEE à laquelle le PM Seann Lemass avait posé la "candidature pour adhésion" de l’Irlande dès 1961…) auront tout de même été tout particulièrement décisifs : se traduisant par l’octroi d’aides économiques substantielles. Notamment dans le cadre de la PAC. Bénéfices bientôt décuplés par une excellente gestion - par les autorités de Dublin - de ces nouvelles ressources (intelligemment investies dans le développement de l’informatique et des services).

Ce que l’Histoire a séparé, l’économie le réunit...

Quoi qu’il en soit, dix ans après les « Accords de paix du Vendredi saint », l’Irlande d’aujourd’hui connaît une embellie économique encore inimaginable à l’époque [8]. Des progrès politiques et économiques indéniables et significatifs qui réunissent et soudent - à nouveau - ces deux parties de l’Irlande séparées par l’histoire ; comme une illustration "insulaire" de cette fameuse méthode d’intégration par l’économie qui - sur le continent européen, depuis au moins les années 1950 - semble avoir enfin banni la guerre des relations internationales.

Ainsi, en signant les accords de paix du 10 avril 1998, la république d’Irlande (l’Eire) renonçait alors formellement à sa revendication territoriale historique (et irrédentiste) sur les six comtés "britanniques" d’Irlande du nord. Or, depuis dix ans (et depuis la fin des troubles), les échanges économiques n’ont cessé de s’intensifier entre les deux "Etats" irlandais. Si bien qu’un véritable "corridor" économique « Nord / Sud » semble s’être constitué entre Dublin et Belfast, formant ainsi une connurbation d’environ deux millions d’habitants réunissant les centres économiques de Drogheda et Dundalk (au Sud), Newry, Banbridge et Lisburn (au Nord).

Ces progrès économiques s’appuyant essentiellement sur les capitaux venus du Sud, l’injection massive d’argent public (souvent d’origine communautaire) dans l’économie locale et la mise en place d’une fiscalité "préférentielle" favorable à l’enracinement sur place d’entreprises travaillant sur des productions à forte valeur ajoutée. Des progrès économiques qui restent néanmoins à la merci de tensions communautaires encore vives : à la merci de la violence latente de quelques groupes extrémistes et sectaires.

Pourtant, les ennemis d’hier (i. e : le PM nord-irlandais Ian Paisley - leader loyaliste britannique - et son vice-premier ministre, Martin McGuinness : catholique irlandais et ancien de l’IRA...) gouvernent aujourd’hui - ensemble - à Belfast. Et la rhétorique guerrière semble y avoir enfin cédé la place à l’esprit de coopération entre nords-irlandais de deux communautés, entre irlandais des deux côtés de la "frontière", ainsi qu’entre irlandais et britanniques.

Alors, s’agit-il là - après trente ans d’atrocités, d’actes terroristes et de crimes politiques divers et variés - des tous premiers pas - incertains mais au combien significatifs - vers une Irlande enfin réunie et vers une nouvelle Eire de paix ?! A voir...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une carte des quatre grandes provinces traditionnelles d’Irlande (i. e : Munster en bleu, Leinster en vert, Connaght-Connemara en gris et 9 comtés d’Ulster en orange...) : document tiré du site http://irlande.web-sy.fr/.

- Sources :

Sur ces sujets, on (re)lira attentivement l’article « Irlande : une île, un peuple, deux pays » de Jean-Pierre Poussou (professeur des universités) : document publié dans le mensuel « Historia » du mois d’avril 2006 (« Historia » n°712 ; ici pp. 12 à 16).

Ainsi que le dossier spécial intitulé « Irlande du Nord : 10 ans de paix » récemment publié par l’hebdomadaire « Courrier International » (« C.I. » n°909 du 3 avril 2008 ; ici pp. 16-17-18).

Mots-clés
Notes

[1Conflit nord-irlandais qui aura donc fait près de 4000 morts en trente ans ; avec des vagues d’attentats anti-britanniques atteignant jusqu’au coeur de Londres (en 1982, 1991, 1992, 1994 et 1995) et même des tentatives d’assassinats contre des responsables politiques britanniques (comme l’ancien PM Margareth Thatcher) ou l’assassinat d’un membre de la famille royale (Lord Mountbatten, en août 1979).

[2Militants politiques du « Sinn Féin » et activistes nationalistes de l’IRA - Armée républicaine irlandaise - désireux d’affranchir l’ensemble de l’Irlande du nord encore britannique de la tutelle politique de Londres et désirant réunifier l’Irlande et l’Ulster sous l’autorité d’un gouvernement irlandais rigoureusement indépendant de Londres, républicain et nationaliste, installé à Dublin.

[3Soucieux du maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni de Grande Bretagne.

[4Du « DUP » (« Democrat unionist Party ») : parti politique mené par le fameux révérend Ian Paisley, nouveau PM nord-irlandais (pourtant non signataire des accords de paix d’avril 1998...).

[5Du « Sinn Féin » : vitrine politique de l’IRA menée par son président Gerry Adams et par Martin McGuinness (ancien chef de l’IRA, désormais devenu vice-premier ministre du gouvernement autonome de la province...).

[6Expression due à Mme Marie-Claire Considère-Charon dans son ouvrage « Irlande, une singulière intégration européenne » : document publié par « Economica », en 2002.

[7Seán Lemass : ancien combattant de la « guerre d’indépendance » irlandaise et du soulèvement armé de « Pâques 1916 » (membre des « Irish Volunteers » dès 1915 - malgré son jeune âge - rescapé de l’attaque de la Poste centrale de Dublin, libéré par les anglais à cause de sa jeunesse...), proche compagnon du « Président » Eamon de Valera et membre fondateur du « Fiana Fail », en 1926 ; Ministre (du commerce et des travaux publics) dès 1932 puis PM de la république de 1959 à 1966 : une personnalité remarquable à laquelle est largement dû le réveil économique irlandais.

[8Avec un taux de croissance autour de 4% (i. e : 3% pour l’Irlande du Nord britannique, 5.3% pour la République...) et un chômage résolument en dessous de la barre des 5% (i. e : 4.4% pour l’Irlande du Nord, 4.9% pour l’Eire).

Vos commentaires
  • Le 15 mai 2008 à 20:38, par Ronan En réponse à : Et si l’Irlande votait non ?!

    Nous sommes désormais à moins d’un mois du référendum « irlandais » du 12 juin prochain sur le traité de Lisbonne. Et on n’a, en France, finalement pas beaucoup d’échos de cette fameuse campagne référendaire...

  • Le 16 mai 2008 à 13:53, par max En réponse à : Et si l’Irlande votait non ?!

    Le décalage entre la construction européenne et les citoyens serait renforcé : Un Non au traité de Lisbonnes aprés les non français et néerlandais sur le traité constitutionel. Comment faire pour convaincre les citoyens de ne pas enterrer le traité de Lisbonnes aprés tout ça : au risque d’avoir cette éternel remarque d’un déni de démocratie. Ce ne serait pas non plus un bon présage pour les élections européennes : où les démagos vont pouvoir réutiliser la question . Croisons les doigts et espérons (les sondages ne sont pas bons mais tout n’est pas joué)

  • Le 12 juin 2008 à 21:48, par Ronan En réponse à : Et si l’Irlande votait non ?!

    Un mois plus tard, quelques réflexions en ce 12 juin, Jour J entre tous :

    Si jamais l’Irlande disait non, il faudra surtout se remettre au travail (si jamais elle dit oui, de toute façon aussi...). Non pas que ce soit insurmontable (se remettre au travail...), non pas qu’il n’y ait pas des solutions aux problèmes posés, pas d’autres procédures à mettre en place, ni d’autres chemins à explorer...

    Sauf que voilà le problème : se remettre au travail, élaborer d’autres solutions aux problèmes posés, mettre en place d’autres procédures, explorer d’autres voies, j’ai surtout bien peur que nos dirigeants n’en veulent tout simplement pas (contrariant ainsi des rafales et des rafales d’ "eurobaromètres" pourtant explicites...).

    Triste constat de l’absence de véritable conscience (culture ?!) européenne chez nos gouvernants. Cruel manque d’ambitions pour l’Europe. Affadissement de l’idéal et triste constat de ce qui peut aujourd’hui être présenté comme le choix - somme toute peu motivant - entre une "Europe a minima" ou rien.

    Aussi inquiêtant que ces peuples qui se braquent : ce cruel manque d’ambition et ce silence assourdissant d’élites « européistes » finalement si peu ambitieuses pour ce projet "européen" qu’elles prétendent défendre (mais pas trop...).

    ça ira sans doute beaucoup mieux quand la génération qui a fait « Erasmus » sera aux affaires. Rendez-vous en 2057, donc ?! Mais, faudra donc attendre... (et veiller à ce que l’UE ne disparaisse donc pas dans l’intervalle...).

    En attendant, si jamais le « Non » vient à l’emporter, ce serait sans doute une catastrophe dont l’Europe aura bien du mal à se relever (rapidement) mais ce sera également le juste chatiement d’une collection invraisemblable d’erreurs politiques absolument indénombrables. Tant et si bien que si le « Oui » l’emporte, il pourra presque passer pour une de ces nouvelles victoires à la Pyrrhus (de celles qui esquintent durablement et méchamment le vainqueur...).

    Le seul moyen de sortir de ce psychodrame serait donc que le « Oui » irlandais soit « franc, net et massif » (Sic) (vieux souvenir de la campagne référendaire française de 1992...). Seulement voilà : les irlandais peuvent-ils bien vouloir nous faire ce cadeau, j’en suis pas sûr...

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