2020, année sombre pour l’or noir

Un article de la série « énergies en Europe : un état des lieux »

, par Servane de Pastre

2020, année sombre pour l'or noir
Raffinerie de pétrole aux Etats-Unis. Image : Laura Upshaw de Pixabay

’-37, 63 $’. C’est ce que valait le baril de pétrole le 24 avril dernier aux Etats-Unis. C’est aussi l’expression de la difficulté de ce secteur, impacté par le coronavirus et la restriction des voyages, et touché par des difficultés d’ordre géopolitique, notamment des tensions au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). 2020 a été une annus horribilis pour l’énergie fossile, l’incertitude touche autant les producteurs que leurs clients. Or l’Union européenne (UE), complètement dépendante de ses importations en pétrole doit pouvoir compter sur ses approvisionneurs. Comment l’UE anticipe-t-elle les risques liés à cette dépendance ? Petite virée au pays de l’or noir.

Dans le domaine du pétrole, l’Union européenne n’est pas gâtée. Le continent européen compte bien deux producteurs de pétrole, à savoir la Norvège et la Grande-Bretagne, cependant aucun des deux n’appartient à l’Union. Le Danemark, également producteur, a annoncé le 3 décembre dernier arrêter sa production. Le pays souhaite en effet honorer ses engagements environnementaux. L’UE n’a donc d’autre choix que de se reposer sur ses importations, et cela la rend particulièrement vulnérable aux changements de conjoncture.

Des enjeux géopolitiques et économiques

L’agence européenne de statistique Eurostat identifie la Russie comme premier fournisseur de l’UE. Ses exportations représentent 29% de la consommation de l’UE en pétrole en 2020. En deuxième position, toujours d’après Eurostat, vient l’Irak (8% des importations européennes), puis l’Arabie Saoudite (7%), la Norvège (7%), le Kazakhstan (7%) et le Nigéria (7%). La Grande-Bretagne arrive loin derrière, son pétrole ne représentant que 3% des importations européennes.

Bien que très répartis géographiquement, ces fournisseurs ont un point commun : ils appartiennent tous à soit à l’OPEP, soit à l’OPEP+. Ces deux organisations ont pour objectif d’harmoniser les politiques pétrolières des pays producteurs et garantir ainsi des prix stables et justes sur le marché. À partir de mars 2020 cependant, l’union de ces pays est mise à rude épreuve. Au gré des fermetures de frontières et des confinements, la demande mondiale en pétrole s’effondre. La production, elle, n’évolue pas. Peu à peu, les réserves de pétrole extrait et raffiné s’accumulent, faisant chuter le prix du baril en bourse.

Voyant la catastrophe arriver et souhaitant préserver leur industrie, des pays de l’OPEP, l’Arabie Saoudite en tête, réclament un arrangement au sein des différents pays producteurs : il s’agit de s’accorder sur une baisse de la production de barils, et ainsi faire remonter les cours du pétrole. La Russie cependant s’y oppose : les coûts de cette réduction sont élevés. Fin avril un accord, jugé « historique » par certains observateurs, est trouvé. 10 millions de barils par jour, soit 10% de la consommation mondiale quotidienne, sont retirés du marché. L’accord, initialement conclu pour une période de deux mois, de mai à juin 2020, est reconduit : les quotas de production resteront en vigueur jusqu’en avril 2022, leur valeur sera cependant dégressive au fil des mois.

Le risque d’effondrement de ce secteur longtemps perçu comme inébranlable a poussé certains experts à évoquer la possibilité d’un « pic pétrolier », à partir duquel la production de pétrole commencerait à décliner. C’est le cas notamment du rapport du think tank français Shift Project, publié en juin 2020 et intitulé « L’UE risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici à 2030 ». Le think tank anticipe un point de blocage : la demande de pétrole ne fait que s’accroitre, alors que les puits de pétrole conventionnel atteignent progressivement leur pic de production. En bref, la taille du gâteau a tendance à se rétrécir alors même que de nouveaux consommateurs rentrent sur le marché. L’exemple de la Russie est parlant. D’après le Shift Project, le premier fournisseur de l’UE aurait atteint son pic production en 2019. Depuis, l’extraction de pétrole diminue, le rapport prévoit un déclin de 9% entre 2019 et 2030 (Chiffres : Rystad Energy Company, utilisés dans le rapport du Shift Project). L’UE, premier client de la Russie, en verra très certainement les conséquences.

En Europe, « on n’a pas de pétrole mais on a des idées » ?

Dans le système institutionnel européen, l’énergie est une compétence étatique : chaque Etat membre décide de son propre « mix énergétique ». Cependant, au vu de l’enjeu stratégique que représente l’approvisionnement et la diversification des partenaires commerciaux, la Commission possède un certain pouvoir de contrôle. Aucune commande ne peut ainsi être passée sans obtenir auparavant l’avis de Bruxelles. La Commission a également mis en place un principe de solidarité, selon lequel les Etats membres s’engagent à s’aider mutuellement en cas de pénurie. Outre ces mesures « internes », une communauté de l’énergie, rassemblant les 27 pays européens et leurs voisins de l’Est et de la Mer Noire, a été mise en place en 2005. Son objectif est de créer un « marché pan-européen de l’énergie ». Structuré autour d’un marché intérieur, cette communauté a plusieurs missions, dont la facilitation des échanges d’énergie et la sécurisation des approvisionnements. Cette organisation est pilotée par un « conseil ministériel » composé des ministres des énergies des pays membre de la communauté, ainsi que du commissaire européen responsable des énergies et du représentant du pays qui a la présidence du Conseil de l’UE.

Cependant, des solutions beaucoup plus radicales ont émergé, notamment à la faveur de la pandémie. En effet, lors du confinement de mars dernier, de nombreuses voix se sont fait entendre, demandant un changement radical de modèle, notamment énergétique. Le « monde d’après » la crise sanitaire ne doit pas ressembler au « monde d’avant », revendiquent-elles. Accéder à cette demande d’une économie plus verte, centrée sur des énergies renouvelables pourrait être un moyen de sortir de la dépendance aux pays de l’OPEP/OPEP+.

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