30 ans après Dayton : l’Europe face aux divisions bosniennes

, par Charline Gauthier

30 ans après Dayton : l'Europe face aux divisions bosniennes
Signature de la première version des accords Dayton en novembre 1995 ©Wikimedia Commons

Alors que les feux d’artifice du Nouvel An ont illuminé le ciel de Sarajevo, une ombre d’incertitude plane sur la Bosnie-Herzégovine. En ce début 2025, le pays célèbre les 30 ans des accords de Dayton, qui ont mis fin à une guerre sanglante. Mais derrière ces commémorations, la réalité est bien plus complexe : des tensions politiques exacerbées menacent la stabilité nationale et compromettent son avenir européen.

30 ans après Dayton : une paix à double tranchant

Les accords de Dayton, signés en 1995, ont instauré une paix durable mais fragile. Ils ont divisé la Bosnie-Herzégovine en deux entités autonomes : la République serbe (RS) et une Fédération croato-bosniaque, le tout sous le contrôle d’un gouvernement central aux pouvoirs limités. Cette architecture complexe a permis de mettre un terme aux hostilités, mais a également laissé un État dysfonctionnel, où chaque entité défend ses propres intérêts, au détriment de l’unité nationale. Si ce cadre a permis de garantir une stabilité temporaire, il s’est également révélé être un terreau fertile pour les tensions politiques et ethniques.

Ces dernières années, les responsables de la RS ont multiplié les initiatives visant à affaiblir les institutions centrales et à revendiquer davantage d’autonomie, fragilisant ainsi l’équilibre délicat instauré par Dayton. Par exemple, en avril 2024, la RS a adopté une loi créant une autorité électorale propre à cette région, fragilisant la constitution et l’unité de la Bosnie-Herzégovine.

2024 vs 2025 : un pas vers l’Europe… puis deux en arrière

L’année 2024 avait pourtant offert une lueur d’espoir. Après des réformes substantielles, le Conseil européen avait donné son feu vert pour ouvrir les négociations d’adhésion à l’Union européenne. Mais à peine les célébrations de cette avancée terminées, le pays replonge dans une crise politique majeure.

En ce début d’année, le parlement régional de la RS a ordonné à ses représentants serbes de bloquer les décisions des institutions nationales, paralysant ainsi des réformes cruciales pour l’intégration européenne. Cette obstruction institutionnelle, qualifiée de « menace à l’ordre constitutionnel » par les puissances occidentales, souligne à quel point la Bosnie reste un État fragile.

Un feu d’artifice de tensions politiques

Ainsi, les festivités de fin d’année ont rapidement laissé place à un climat tendu. L’arrestation de Nenad Nešić, ministre de la Sécurité, pour des accusations de corruption, a déclenché une avalanche de réactions. Son parti a dénoncé une « campagne ciblée contre les Serbes », alimentant une rhétorique nationaliste et exacerbant les divisions ethniques.

Milorad Dodik, président de la RS et partisan affiché de Moscou, attend quant à lui le verdict de son procès pour avoir défié les décisions du Haut représentant international, Christian Schmidt. Ce procès symbolise la défiance croissante des institutions de la RS envers l’accord de Dayton et ses mécanismes de contrôle.

Des influences extérieures qui attisent les braises

Les tensions politiques en Bosnie-Herzégovine ne se limitent pas à des rivalités internes : elles sont amplifiées par des ingérences extérieures qui enveniment davantage la situation. En décembre 2024, les États-Unis ont imposé des sanctions ciblées à quatre personnalités et entités liées à Milorad Dodik, accusées d’avoir contourné les restrictions précédentes.

Dans le même temps, la Russie reste un allié stratégique et influent de la RS, jouant un rôle clé dans l’aggravation des divisions politiques et ethniques en Bosnie-Herzégovine. Proche de Moscou, Milorad Dodik s’appuie sur le soutien du Kremlin pour promouvoir une rhétorique séparatiste et remettre en cause l’autorité des institutions centrales bosniennes. Le Kremlin, à travers ses relais politiques, économiques et médiatiques, alimente un discours europhobe et pro-russe dans la région, exploitant les fractures héritées de la guerre. Cette ingérence se manifeste également sur le plan économique, avec une forte dépendance énergétique de la RS à la Russie, notamment via Gazprom, et sur le plan diplomatique, où Moscou utilise son veto au Conseil de sécurité de l’ONU pour entraver les initiatives de stabilisation.

Ces pressions reflètent une réalité géopolitique complexe, dans laquelle la Bosnie-Herzégovine reste un champ de bataille indirect entre l’Occident et Moscou, symbolisant les tensions entre l’intégration européenne et les influences russes dans les Balkans.

Le mirage de l’intégration européenne

Si l’adhésion à l’Union européenne est souvent présentée comme une solution aux crises chroniques de la Bosnie-Herzégovine, certains experts mettent en garde contre cet optimisme. La fondation Carnegie souligne que « Les progrès réalisés sur la voie de l’UE ne constituent pas un remède à la crise chronique qui affecte la politique bosnienne. ».

Cette instabilité politique est aggravée par une crise économique croissante. Dès janvier 2025, une hausse significative des prix de l’électricité en RS risque d’alourdir le coût de la vie et de renforcer le mécontentement populaire.

Trente ans après les accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine reste à la croisée des chemins. Les tensions internes, exacerbées par des influences extérieures, menacent non seulement la stabilité du pays, mais aussi son avenir européen. Alors que les célébrations du 30e anniversaire s’annoncent timides, une question demeure : la Bosnie-Herzégovine parviendra-t-elle à surmonter ses divisions pour avancer sur le chemin de l’intégration européenne ?

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