L’exécution
L’inferno vécu par Milada Horáková commence dès les premiers débuts de son engagement politique et s’achève par son “assassinat judiciaire” à l’issue d’un procès truqué, monté de toutes pièces par la Sécurité d’État (“Státní bezpečnost,” StB). Après avoir obtenu sa licence de droit en 1926, Milada Horáková voit son destin basculer en 1939, lorsque la Tchécoslovaquie est envahie par les nazis. Avec son mari Bohuslav Horák, elle rejoint la résistance via le quartier général politique (“Politické ústředí”) et le comité de pétition “Nous restons fidèles” (Petiční výbor “Věrni zůstaneme”). Pour avoir aidé des Tchèques en danger à fuir, le couple Horák est arrêté en 1940 puis interné dans une prison et un camp de concentration. “A Terezín (camp de concentration) et à la prison de Pankrác, les nazis l’ont [Milada] torturée physiquement. Mais elle a survécu.” Passible de la peine de mort, elle échappe finalement à cette sentence en étant condamnée à huit ans de prison.
Après avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale, le couple Horák voit sa liberté brutalement interrompue par le coup de Prague de 1948, lorsque le Parti communiste tchécoslovaque prend le pouvoir du pays et porte Klement Gottwald à la présidence. À cette époque, Milada Horáková est députée socialiste, vice-présidente de l’Union des prisonniers politiques libérés et présidente du Conseil des femmes tchécoslovaques. Toutefois, dès 1948, “en signe de protestation contre la violation des principes démocratiques, elle démissionne du Parlement le 10 mars” de la même année. Elle demeure alors en contact avec des hommes politiques tchécoslovaques en exil, notamment Petr Zenkl, président du Conseil de la Tchécoslovaquie libre. Malheureusement, elle est arrêtée dès le 27 septembre 1948, lors d’une importante opération de répression dirigée contre les proches de l’ancien président tchécoslovaque Edvard Beneš.
Commence alors son procès politique pour “complot et haute trahison”, aux côtés de douze autres accusés. Des conseillers soviétiques participent activement à sa mise en scène, conçu dès le départ comme un “procès monstre” ou “procès exemple”, calqué sur le modèle soviétique des grandes purges. En effet, le principe de ce procès était de constituer arbitrairement un groupe désigné comme “traître”, puis de fabriquer de toutes pièces un complot de trahison à grande échelle. “Les conseillers soviétiques ont joué un rôle important en utilisant, entre autres, la méthode des protocoles préfabriqués (appelés ’protocoles de questions’).” Cette mise en scène aboutit à la désignation de Milada Horáková comme cheffe présumée du groupe successivement nommé “Centre”, “Direction de la résistance tchécoslovaque” et “Quartier général de la conspiration de sabotage contre la République”. Elle et les autres accusés sont alors inculpés de trahison envers l’ordre démocratique populaire, de sabotage économique, de préparation d’un coup d’État armé et de collaboration supposée avec l’Occident. Le 8 juin 1950, dans la salle du tribunal d’État de Pankrác à Prague, “des peines draconiennes ont été prononcées par le tribunal : quatre peines de mort, quatre peines d’emprisonnement à perpétuité et cinq peines d’emprisonnement de longue durée.” À quarante-huit ans, Milada Horáková est pendue à 05h35 du matin le 27 juin 1950 dans la cour de la prison de Pankrác.
Le combat
Milada Horáková a combattu le mal sous toutes ses formes et durant toute sa vie. Figure de la résistance face au régime nazi, elle s’oppose ensuite avec la même détermination au régime communiste tchécoslovaque. Mais au-delà de son engagement politique, elle incarne aussi le mouvement féministe tchécoslovaque à une époque où les droits des femmes étaient loin d’être au cœur des débats et programmes politiques. C’est au cours de ses études que Milada Horáková croise le chemin de Františka Plamínková, figure majeure du mouvement pour l’émancipation des femmes en Tchécoslovaquie. Cette rencontre décisive l’oriente vers le combat pour les droits des femmes, qu’elle mènera en insistant notamment sur l’importance d’évaluer les femmes selon leurs compétences et la qualité de leur travail. Les deux femmes collaborent au sein du Conseil national des femmes (“Ženská národní rada”), fondé par Plamínková, et leurs chemins se croisent à maintes reprises jusqu’au camp de Terezín. Leur relation est si fusionnelle que Milada devient, vers les années 1920-1930, collaboratrice de Františka Plamínková élue sénatrice. Ainsi, en raison de la présence de Plamínková au Sénat et de la profession de juriste d’Horáková, les deux femmes s’unissent pour élaborer un projet de loi visant à lever les restrictions pesant sur les femmes dans le monde du travail, notamment l’abolition du “celibát”, une pratique discriminatoire interdisant aux femmes mariées d’exercer dans la fonction publique.
“Plamínková et Horáková ont plaidé en faveur de l’égalité des femmes dans le monde du travail sur la base de l’article 106 de la toute nouvelle Constitution tchécoslovaque de 1920. L’article 106 garantissait que l’État « ne reconnaîtrait pas les privilèges liés au sexe ». La loi a finalement été adoptée et a bénéficié du soutien d’un autre ami proche de Plamínková, le président de la République T. G. Masaryk” En outre, Milada rédige plusieurs propositions de réforme du code civil, visant à accorder aux femmes des droits fondamentaux, qu’il s’agisse d’instaurer une véritable égalité avec les hommes sur le marché du travail ou d’améliorer la situation juridique et sociale des mères célibataires, des femmes divorcées et des enfants nés hors mariage.
Une autre source d’inspiration dans l’engagement féministe de Milada réside dans son travail bénévole auprès de la Croix-Rouge tchécoslovaque, ainsi que dans son expérience au sein des services sociaux de Prague, notamment au département de protection de la mère et de l’enfant de l’Autorité municipale. “Elle a commencé à s’intéresser de plus en plus aux questions relatives aux femmes grâce à son travail avec la Croix-Rouge tchécoslovaque qui, en plus de ses activités dans le domaine de la santé publique, a créé des centres de conseil pour les mères, ainsi que des foyers pour les enfants orphelins, et a aidé les réfugiés et les sans-abri après la Première Guerre mondiale.” Moi-même bénévole à la Croix-Rouge, je ne peux cacher l’émotion et la tendresse que j’ai ressenties en découvrant que Milada y avait, elle aussi, consacré une part de sa vie.
Conclusion
Les dernières paroles de Milada Horáková, adressées à sa famille ainsi qu’au monde entier, sont consignées dans la lettre qu’elle rédige trois heures avant son décès. En voici un extrait qui illustre la force et la dignité dont Milada a fait preuve jusqu’à son dernier souffle :
“Il vaut mieux que je meure ainsi, plutôt que de me décomposer lentement. Mon cœur ne tiendrait pas longtemps dans un monde sans liberté. (...) Je pars la tête haute - il faut être honnête pour admettre une défaite. Perdre n’est pas une honte. Même un ennemi doit être traité avec respect s’il est sincère et honnête. Les gens meurent en se battant, et qu’est-ce que la vie si ce n’est un combat ? Soyez forts !”
Je tiens également à souligner que le destin cruel et injuste de Milada Horáková a suscité une résonance d’ampleur internationale. En effet, des figures majeures du monde scientifique, littéraire et politique – parmi lesquelles Albert Einstein, Jean-Paul Sartre, Winston Churchill ou encore Eleanor Roosevelt–, “avaient demandé au président communiste de l’époque Klement Gottwald de la gracier avec les trois autres condamnés à mort du même procès.” Le verdict de ce procès fut finalement annulé en 1958, mais il fallut attendre 1990 pour que le nom de Milada Horáková soit pleinement réhabilité. Notons par ailleurs qu’aucune déclaration n’a été faite par Robert Fico ou son gouvernement à l’occasion du 75ᵉ anniversaire de l’exécution de Milada Horáková, pourtant figure emblématique du socialisme démocratique (auquel le parti SMER de Robert Fico affirme appartenir) et défenseuse résolue des droits des femmes, aussi bien tchèques que slovaques…
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