Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

Interview d’Arnaud Danjean, président de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen

, par Yannic Hoppe

Arnaud Danjean réservé sur l'idée d'une armée européenne

Arnaud Danjean, eurodéputé UMP spécialiste des questions de défense, a été élu il y a un an au Parlement européen sur la liste emmenée par Joseph Daul. Armée européenne, débuts de Catherine Ashton : il revient sur les récentes évolutions en la matière, dans la foulée de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Le Taurillon : Vous allez fêter dans quelques jours votre première année de mandat de parlementaire européen. Quel bilan tirez-vous de ces douze premiers mois d’élu européen ?

Arnaud Danjean : Avant tout, ces douze premiers mois ont constitué pour moi un véritable apprentissage puisqu’il s’agit de mon premier mandat électif. L’année parlementaire fut assez particulière puisqu’elle a été principalement consacrée à la mise en place de nouvelles institutions : nouveau parlement bien sûr, mais aussi reconduction, en septembre, de José Manuel Barroso à la tête de la Commission, entrée en vigueur, en décembre, du traité de Lisbonne et investiture, en février, d’une nouvelle Commission européenne.

Nous évoluons donc dans un nouveau cadre institutionnel, dans lequel le Parlement joue un rôle beaucoup plus important. Les sujets soumis à la co-décision sont considérablement élargis. L’affirmation du rôle du Parlement touche également mon domaine de prédilections, celui des affaires étrangères, avec la désignation de la Haute représentante Catherine Ashton et la mise en place d’un service européen d’action extérieure, grande innovation du traité de Lisbonne. Nous entamons désormais une deuxième phase, plus conforme au travail législatif qui est au cœur de notre mandat.

Le Parlement va particulièrement se concentrer sur les questions financières et budgétaires. Nous voulons être à la pointe des propositions en matière de régulation financière et de la transposition en dispositions concrètes des recommandations du G20. Il y aura également les débats sur la future politique agricole commune, fondamentaux pour l’avenir de notre agriculture.

Le Taurillon : Vous êtes président de la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen. La défense européenne est un projet ancien qui a connu quelques avancées mais qui reste encore peu concret pour le citoyen européen aujourd’hui. Quelle est selon vous la prochaine étape pour faire avancer l’Europe de la défense ?

Arnaud Danjean : Laissez moi d’abord dire que si l’idée d’une Europe de la Défense est en effet ancienne, les premières étapes concrètes ne datent que d’il y a 10 ans. Ce qui, à l’échelle historique et pour un domaine aussi sensible, dans lequel des organisations comme l’OTAN existent depuis plus de 60 ans, reste une grande nouveauté.

La Défense reste par définition le cœur de la souveraineté des Etats. Définir des intérêts de Défense commun, à 27, et ambitionner de se donner les moyens institutionnels, opérationnels, capacitaires de répondre à 27 aux menaces du XXIème siècle n’est pas forcément une démarche qui va de soi, et c’est un défi considérable.

L’Europe de la défense doit d’abord s’appuyer sur ce constat simple, partagé par la plupart de nos concitoyens : aucun pays européen ne peut seul faire face à l’ensemble des enjeux de sécurité d’un monde globalisé. Cette prise de conscience doit se traduire par l’identification des menaces qui pèsent sur notre sécurité (il existe, depuis 2003, une stratégie européenne de sécurité), puis la mise en place des instruments permettant d’y répondre ensemble le plus efficacement possible. C’est ce à quoi s’attache l’Union depuis 1999 et qui vient de connaître un nouveau développement avec le traité de Lisbonne. La démarche qui vise à unifier, sous la tutelle d’un Haut-Représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC), un service diplomatique européen, est un grand pas qualitatif.

Il y a aussi les 13 opérations extérieures, civiles et militaires, menées par l’Union, en Afrique, dans les Balkans, dans le Caucase ou en Afghanistan. Chacune de ces opérations fait avancer l’Europe de la Défense, en montrant aux différents pays qu’ils doivent et peuvent travailler mieux ensemble pour faire face à des menaces (terrorisme, piraterie, instabilité régionale…) qu’aucun d’entre eux ne pourrait aborder seul aussi efficacement.

Le Taurillon : Le Parlement européen a adopté le 10 mars dernier votre résolution portant sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et préconisant une autonomie stratégique renforcée de l’Union européenne. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes et ce que son adoption va changer ?

Arnaud Danjean : Il s’agit d’un rapport annuel exprimant les vues du Parlement européen sur la politique de sécurité et de défense de l’Union. Le Parlement européen souhaite s’impliquer davantage pour renforcer la légitimité démocratique de cette politique. Ce rapport permet de valider certains choix des Etats membres dans le domaine de la Défense, de mettre en avant certaines lacunes qui persistent et de proposer des orientations pour le futur.

Il s’agit en quelque sorte d’une feuille de route évolutive, de propositions. Aux Etats-membres et à la Haute-Représentante de s’en saisir et de concrétiser certaines pistes, comme celle de la création d’un véritable « Conseil des ministres européens de la Défense » (qui n’existe actuellement qu’informellement), celle d’une force européenne de protection civile pour faire face aux catastrophes naturelles (comme à Haïti mais aussi à l’intérieur de l’Union – feux de forêt, inondations…), celle d’un quartier général européen pour concevoir et piloter les opérations européennes extérieures…

Le Taurillon : Quels sont aujourd’hui les grands axes de la coordination des armées et des armements européens. Souhaitez-vous qu’une armée européenne puisse voir le jour ?

Arnaud Danjean : Il faut d’abord souligner que les armées des Etats membres de l’Union européenne sont de plus en plus engagées dans des opérations multinationales dans le cadre de l’Union européenne, de l’OTAN ou de l’ONU. Il est donc essentiel que les armées parviennent à travailler ensemble, à communiquer et à coopérer facilement.

C’est la fameuse « interopérabilité » qui se développe. Pour autant faut-il envisager une armée européenne, cela aurait-il une réelle plus-value ? Cela aurait évidemment une forte valeur symbolique Mais les armées nationales ont des cultures différentes, et chaque pays a aussi des règles d’engagement diverses, qui répondent à des traditions qu’il faut aussi respecter. N’oubliez pas non plus que certains Etats membres sont neutres et tiennent à le rester. Cette diversité est aussi la richesse de l’Union.

Les critiques essuyées par Catherine Ashton dès sa nomination étaient excessives

Le Taurillon : Quel regard portez-vous sur les premiers mois de Catherine Ashton, la ministre des affaires étrangères de l’union et de son service européen d’action extérieure ? Peut-elle relever les grands défis de la diplomatie européenne ?

Arnaud Danjean : Catherine Ashton a été nommée Haute Représentante pour les affaires étrangères il y a 6 mois à peine. Le poste qu’elle occupe, institué par le traité de Lisbonne, regroupe en réalité 3 fonctions exercées auparavant par 3 personnes différentes : le Haut représentant pour la PESC, le Président du Conseil des Affaires étrangères et le Commissaire aux relations extérieures.

Je pense donc que les critiques essuyées par Mme Ashton dès sa nomination étaient excessives. Toutes ses responsabilités nécessitent un temps d’adaptation et je suis partisan d’une coopération active avec Mme Ashton. Sa tâche est immense et inédite. Nous avons tous intérêt à sa réussite. Cela marquera la maturité de l’Union Européenne dans ce qui constitue une « nouvelle frontière » de son action : la politique étrangère et la défense. Je pense que nos concitoyens ne nous pardonneraient pas que la première puissance économique et commerciale mondiale ne parviennent pas à exister plus activement et plus efficacement sur la scène diplomatique internationale dans un contexte aussi troublé, menaçant et incertain.

Illustration : Portrait d’Arnaud Danjean

Source : La Quadrature du Net

Vos commentaires
  • Le 14 juin 2010 à 15:26, par Cédric En réponse à : Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

    Non, les critiques essuyées par Catherine Ashton dès sa nomination n’étaient pas excessives.

    Ce n’est pas son incompétence supposée qui est en jeu. C’est avant tout son défaut total de motivation. Je dis bien total. Ashton, faut-il le rappeler, n’était pas candidate. Comment accepter que soit désigné au second poste de l’UE un non-candidat ? Accepterait-on en France un premier ministre non-candidat au poste, informé de sa nomination à la sortie du TER Colmar-Mulhouse ? Non. Ce serait proprement inacceptable.

    Le premier responsable, ce n’est pas Ashton. Les responsables, ce sont les « électeurs » : le Conseil, le Parlement, le président de la commission, et les partis politiques européens. Il faut à tout prix éviter que cela se reproduise, c’est-à-dire qu’en 2014, tous ces mêmes acteurs désignent encore une fois un non-candidat en gardant le nez dans le guidon. Comment ? En exigeant des partis européens qu’ils désignent un candidat au poste avant l’élection, tout comme il devront désigner leur candidat à la présidence de la commission. Avant les élections de 2014, il faudra des tickets présidentiels Président-Haut représentant.

  • Le 15 juin 2010 à 13:58, par Aymeric En réponse à : Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

    Le service diplomatique européen ne sera d’aucune utilité si il n’est pas suivi de la création d’une armée européenne et de la mise en retrait des services diplomatiques nationaux.

    Sans ces conditions, il ne fera que doublon avec les services existants.

    La mise en commun des moyens militaires et l’abandon des armées nationales est la finalisation du rêve des pères fondateurs de l’UE, et permettrait définitivement d’écarter tous risque de guerre intra européenne.

    Enfin, l’armée européenne permettra aux citoyens européens de se rencontrer, d’avoir un élément commun qu’eux même juge déterminant. L’armée européenne, c’est la conscience pour chaque citoyen de son européanité...

  • Le 23 juin 2010 à 21:32, par Sarwick En réponse à : Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

    Tout à fait d’accord ! Et cette armée existera un jour avec un noyau dur d’Etats qui décideront de se fédérer.

    http://europeanfederalflag.over-blog.com/pages/Un_drapeau_une_ambition_une_Nation-3283395.html

  • Le 27 juin 2010 à 16:03, par Cédric En réponse à : Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

    Je ne suis pas contre l’idée de réfléchir à un autre drapeau. D’ailleurs, des propositions de nouveau drapeau, on en a à la pelle. Notamment celle de Rem Koolhaas, d’une Europe code-barre qui se résume en une juxtaposition d’États : http://www.guardian.co.uk/culture/2004/sep/15/2 Ou celles des nombreux dessinateurs impliquées dans les réflexions du Conseil de l’Europe dans les années cinquante, qui accouchèrent du drapeau actuel : http://www.ena.lu/projets_drapeaux_soumis_assemblee_consultative_conseil_europe_decembre_1951-1-19577

    Mais avant de dessiner le drapeau, j’aurais envie de vous dire : définissez plutôt ce qu’il doit représenter.

     Quel projet politique concret représente-t-il ?
     Qui l’élabore ?
     Qui/quel mouvement le promeut et le porte ?
     Quand pourra-t-on considérer qu’il représente l’Europe ? ...

  • Le 30 juin 2010 à 16:27, par Ronan En réponse à : Arnaud Danjean réservé sur l’idée d’une armée européenne

    Outre l’intérêt pragmatique et concret d’une meilleure « inter-opérabilité » des armées nationales (notamment dans le domaine humanitaire : ces fameux « casques bleus étoilés » qu’on attend depuis si longtemps...) (et qui se rendraient sans doute bien utiles sur le terrain, pourvu qu’on leur en donne les moyens...), la création d’une armée européenne « intégrée » (et placée sous commandement commun ?!) aurait pourtant bien au moins un (autre) mérite. Sans doute situé - lui - en dehors de la sphère militaire. Mais, néanmoins, d’une portée politique non négligeable :

    Le mérite de promouvoir - pour le nécessaire contrôle politique de cette nouvelle politique communautaire (et pour le contrôle politique de cette armée « européenne » naissante) - la mise en place nécessaire d’un mécanisme de contrôle politique : nécessairement démocratique et ici, dans ce cas précis, forcément supranational.

    Ce qui pourrait alors se traduire par de nouveaux transferts de souveraineté : depuis les Etats membres, en faveur de l’Union ; en l’occurrence, en faveur de la Commission européenne et en faveur du Parlement européen : organes et niveaux politiques pertinents pour le contrôle politique de telles compétences (et pour le contrôle effectif de leurs instruments d’actions).

    Utiliser les questions militaires pour promouvoir l’union politique de l’Europe dans un cadre démocratique (puisque c’est de cela qu’il s’agit ici...), c’est exactement la même démarche que celle autrefois entreprise - dans les années 1950 - avec le projet de « Communauté européenne de Défense » (et son corollaire politique : la « Communauté politique européenne » alors envisagée).

    Projet alors « fracassé » ; puisque alors devenu, pour certains, le symbole du « renoncement national ». Entre deux renoncements (i.e : renoncer à la « gloriole » nationale ou renoncer à construire l’Europe unie), il nous reste donc à choisir lequel de ces deux renoncements est le plus cruel ; et lequel des deux « hypothèque » le plus notre avenir commun (et celui des générations à venir...).

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