Camouflet démocratique pour le programme SWIFT : le Parlement européen affirme son indépendance

Comment le Parlement européen résiste au lobbying de Washington

, par Camille Bourguignon

Camouflet démocratique pour le programme SWIFT : le Parlement européen affirme son indépendance

Le traité de Lisbonne devait ériger le Parlement en véritable pouvoir démocratique. Les parlementaires viennent de prouver qu’ils ont pris toute la mesure des responsabilités qui incombent à leur fonction en opposant symboliquement leur veto à une large majorité (378 contre 196) au programme « SWIFT » et ce, malgré les inquiétudes exprimées à de nombreuses reprises par Washington et les signaux lourds envoyés par le Conseil et la Commission européenne.

Ce programme a été baptisé du nom de la société belge de gestion de transactions financières, la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIF) qui avait accepté de transférer les données bancaires de certains de ses clients au Trésor américain dans le cadre de son programme de recherche de la finance terroriste (TFTP) mis en place à la suite des attentats du 11 septembre 2001. C’est le New York Times qui révèle cette entrave aux règles européennes en 2006.1 Une enquête est alors ouverte pour faire toute la lumière sur cette affaire.

Le rapport de la commission belge de la vie privée (organe de contrôle indépendant) conclue le 10 décembre 2008 que « SWIFT respecte la "loi vie privée" et décide de clore les procédures ouvertes à l’encontre de la société … » [1] Des pourparlers s’engagent ensuite entre la Commission européenne et l’administration Obama pour donner un cadre à ce transfert de données bancaires vers les États-Unis. Elles aboutissent à un accord provisoire entériné par les ministres des affaires européennes des vingt-sept en novembre dernier et qui devait prendre effet en février.

Les eurodéputés contrecarrent le lobbying de Washington

Les parlementaires en opposant leur veto frappent donc fort, à la mesure de l’affront adressé par le Conseil de l’Union européenne, signant l’accord à la veille de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, traité qui élargit les compétences du Parlement en matière d’accords externes. Les députés européens, dont l’accord est désormais devenu indispensable pour la renégociation du texte, ont donc suivi le vote de la commission parlementaire des libertés civiles.

Pourtant, les résultats étaient serrés (23 contre 29) lors du vote de cette commission à Bruxelles, et les pressions nombreuses si l’on en croit la députée néerlandaise Jeanine Hennis-Plasschaert (ALDE), illustrant la controverse qui fait rage. Jusqu’où peut-on aller dans le contrôle des données privées au nom de la lutte contre le terrorisme ? Les pros SWIFT se basent sur le rapport d’un ancien juge français spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, Jean-Louis Bruguière (attentat de Karachi en 2002, Madrid en 2004...) affirmant que les garanties apportées par les Etats-Unis sont suffisantes. Les opposants , à l’instar de Jeanine Hennis-Plasschaert et du groupe libéral, insistent pour que le texte soit revu afin qu’il aille d’avantage dans le sens de la loi sur la protection des données en respectant le principe de nécessité et de proportionnalité

En retoquant le texte, les parlementaires réunis en séance plénière à Strasbourg posent un geste symbolique et s’affirment malgré les tentatives d’influences de Washington. Car le lobbying pour SWIFT avait démarré dès 2006, mené par un cabinet américain de relations publiques Glover Park Group dont quelques membres sont issus de l’ancienne administration Clinton, notamment John Lockhart, ancien porte-parole de la Maison Blanche. Mais malgré les déclarations du secrétaire au Trésor, Stuart Levey et la mobilisation de la secrétaire d’État Hillary Clinton qui a contacté le président du Parlement Jerzy Buzek (PPE) pour lui faire part de ses inquiétudes, les parlementaires ont tenu leur position. Preuve que toute action de lobbying, si bien organisée qu’elle soit, se heurte in fine aux convictions des décideurs.

Nos députés européens ont finalement jugé que le texte était peu clair, et les garanties du Trésor américain insuffisantes. En prenant cette décision, ils ouvrent une brèche dans les relations diplomatiques entre l’Union et les États-Unis mais peut-être était-ce le prix à payer pour signifier qu’avec le traité de Lisbonne les parlementaires disposent de nouveaux moyens pour tenir leur rang de défenseurs des intérêts des peuples européens et qu’il faudra désormais composer avec eux.

Illustration :Barack Obama et José Manuel Barroso à Prague lors du sommet USA - UE, 05/04/09

Source : Commission européenne, service audiovisuel

Mots-clés
Notes

[1Rapport de la Commission vie privée disponibles à cette adresse.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom