Carton rouge à la Hongrie pour sa mainmise sur les médias

, par Marie Thureau

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Carton rouge à la Hongrie pour sa mainmise sur les médias

La Hongrie a pris la Présidence tournante de l’UE le 1er janvier 2011, alors qu’entrait en vigueur une loi très controversée sur le contrôle institutionnel des médias. Le gouvernement de Viktor Orban marque ainsi son début de Présidence de l’UE par la légalisation d’une censure contraire au Traité sur l’Union européenne, et contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Mauvais début !

Le traité de Lisbonne prévoit, pour le Conseil européen devenu une institution, un président à temps plein dont le mandat de deux ans et demi est renouvelable une fois. La présidence tournante du Conseil (des ministres) de l’Union, d’une durée de six mois, est cependant maintenue. Depuis le 1er janvier, c’est à la Hongrie de l’assurer. Mais est-ce bien raisonnable ?

Adhérer à l’UE, oui mais...

Premier ministre pour la seconde fois depuis la victoire du parti conservateur, le Fidesz, aux élections législatives d’avril 2010, Viktor Orban occupe depuis le 1er janvier la présidence tournante du Conseil (des ministres) de l’UE.

On a retenu de son premier mandat, de 1998 à 2002, son action pour faire entrer la Hongrie dans l’OTAN et les négociations qu’il a menées pour son adhésion à l’UE, ce après avoir été un farouche opposant du communisme dans son pays.

Mais le Premier ministre s’est également distingué en demandant aux pays comme la Roumanie, la Slovaquie... où vivent d’importantes minorités d’origine hongroise, de s’engager à préserver la culture magyare et de permettre à ces populations d’accéder à l’autonomie politique. Ces revendications ont provoqué de vives réactions des partis ultra-nationalistes dans les pays concernés.

En 2001, Viktor Orban a suscité une nouvelle polémique en autorisant la libre circulation, en Hongrie, des minorités magyares installées dans les anciennes régions hongroises perdues en 1920, lors du démantèlement de l’Empire Austro-Hongrois. Cette loi constituait, en accordant de nombreux droits aux seuls Magyars, une incitation à l’immigration, en particulier destinée à la Transylvanie, région aujourd’hui roumaine.

Le Conseil de l’Europe a critiqué cette loi, mais la Commission européenne n’a pas considéré qu’il y avait une incompatibilité avec le système légal de l’UE , se contentant de demander qu’il y ait des accords passés avec les pays voisins de la Hongrie directement concernés. Un memorandum a donc été signé avec la Roumanie, étendant aux travailleurs roumains le droit d’obtenir sans condition des permis de travail temporaires.

On peut ajouter à ce bilan mitigé les problèmes d’intégration des Rroms et les atteintes à la liberté de la presse commises par le gouvernement !

Une approche hongroise de la démocratie tout à fait particulière

De la culture... mais pas n’importe laquelle !

Dans Le Monde du 28 décembre 2010, un article aurait dû attirer l’attention. On y apprend que le directeur du Théâtre National de Budapest, Robert Alföldi, devait accueillir un concert organisé par l’ambassade de Roumanie, le 30 novembre. Le programme comportait des œuvres du Roumain George Enesco et du Hongrois Bela Bartok. Mais mettre la Roumanie à l’honneur la veille du 1er décembre, fête nationale hongroise, était inconcevable pour de nombreux Hongrois. Les réactions d’hostilité ont été telles que le concert a été annulé. La Transylvanie est considérée par beaucoup comme naturellement hongroise.

Bien entendu, à la tête de la contestation, il y a le parti d’extrême-droite, le Jobbik, mais également, ce qui est regrettable, le Fidesz, parti conservateur du premier ministre Viktor Orban. Le Jobbik réclame la tête de Robert Alföldi, qui pourrait intervenir après le licenciement, cet été, du directeur artistique de l’Opéra de Budapest, Balázs Kovalik, la démission en septembre du chef d’orchestre, Adam Fischer, puis en octobre du directeur de l’Opéra, Lajos Vass et de son assistant.

La pression du pouvoir sur la sphère culturelle, la suppression des subventions à toute forme d’expression artistique libre, la nomination de serviteurs zélés du pouvoir aux postes de direction des organisations culturelles… tout cela évoque bien plus la manière de gouverner des régimes totalitaires que celle des démocraties ! Mais évidemment, «  quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage  »… Et puis, nous dira-t-on, « ce n’est que la culture » !

Supprimer les obstacles politiques

Ayant obtenu les deux tiers des sièges au Parlement, le Fidesz balaie tout ce qui lui fait obstacle ! Ainsi, lorsque la Cour constitutionnelle a invalidé une mesure budgétaire importante voulue par le premier ministre, le Parlement a voté une loi interdisant à cette Cour de se prononcer sur les textes concernant le budget, les impôts et taxes... Et comme on n’est jamais mieux servi que par ses amis : le Président de la République, celui de la Cour des Comptes, le Procureur général... sont des proches de Viktor Orban !

Haro sur les médias !

Rien ne saurait arrêter le premier ministre, surtout pas l’UE pratiquant, fin décembre, une trêve des confiseurs bien commode ! Dans la nuit du 20 au 21 décembre, le gouvernement hongrois a fait passer le troisième volet d’une loi très controversée renforçant le contrôle institutionnel des médias hongrois. La loi a d’abord regroupé différents médias nationaux ; puis a été créée une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) dirigée par un proche du premier ministre, Viktor Orban, et contrôlée majoritairement par son parti, le Fidesz.

Il ne manquait que la touche finale : désormais les médias privés aussi bien que publics sont tenus de corriger les informations jugées « erronése » par la NMHH s’ils ne veulent se voir infliger des amendes pour « manque d’objectivité politique  ». En outre, les journalistes seront tenus de dévoiler leurs sources et de soumettre leurs articles avant publication selon le bon plaisir de la NMHH.

Cette loi est entrée en vigueur le premier janvier 2011… en même temps qu’a débuté la très controversée présidence hongroise !!!

Défendons l’Europe !

L’Union européenne est enviée pour les valeurs qu’elle est la seule à défendre. Dans le New-York Times du 7 décembre, un article de Moisés Naim, ancien ministre vénézuélien de l’industrie, rappelle l’importance que revêt pour le reste du monde l’exemple européen : «  (…) un monde sans une Europe influente et intégrée signifie un monde pire pour tous. L’Europe diffuse des valeurs et des normes aussi nécessaires que rares dans le monde d’aujourd’hui. » [1]. On ne peut lui donner tort, la construction européenne nous est enviée à juste titre. Aussi devons-nous défendre ce modèle unique sans la moindre concession !

Des réactions indignées !

Cela semble assez logique, les médias ont fortement réagi en Europe et ailleurs ! Une telle atteinte à la liberté de la presse ne peut laisser indifférent ! Il faut saluer la qualité des articles et en particulier les réactions des journaux hongrois qui protestent avec beaucoup de courage !

Au Parlement européen, les Verts et l’ALDE (Alliance des Libéraux et Démocrates Européens) ont vigoureusement protesté contre cette atteinte aux libertés fondamentales défendues par toute démocratie ! Ils n’ont malheureusement pas été suivis par le PPE qui n’y voit aucun problème !

Au niveau des Etats, ce sont l’Allemagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni qui ont rapidement condamné ce texte liberticide tandis que la France a hésité avant de leur emboîter le pas ! François Baroin a jugé cette loi « incompatible avec l’application d’une certaine idée de la liberté de la presse, validée par tous les traités européens. » [2]. L’OSCE a également vivement réagi.

Quant à la Commission, elle a demandé des explications au gouvernement hongrois sur le sens exact du texte de la loi controversée. Des questions concrètes seront posées par la Commissaire Neelie Kroes qui s’intéressera à la manière dont la Hongrie pourra garantir la liberté de la presse et la bonne application de la directive des services audiovisuels comme de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE [3].

Un second sujet sera également à l’ordre du jour de cette rencontre qui aura lieu le 7 janvier . Bruxelles attend, en effet, des explications sur un impôt exceptionnel « de crise » promulgué en octobre et ciblant certains secteurs de l’économie, surtout représentés par de grandes entreprises étrangères. Une enquête a été ouverte par la Commission, cette taxe ne respectant pas le principe d’égalité fiscale.

Mais la Hongrie s’étonne de l’émoi suscité par des décisions qu’elle considère comme conformes au droit et aux valeurs européennes ! Viktor Orban refuse, pour l’instant, de revenir sur des décisions peu « euro-compatibles » !

Que dit le traité de Lisbonne ?

«  L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité entre les femmes et les hommes. » (TUE, article 2). [4]

Les valeurs déclinées dans cet article doivent s’appliquer sans aucune exception à tous les Etats membres. La Hongrie ne les respecte pas !

Peut-on sanctionner la Hongrie ?

Oui, sans aucun doute ! « Sur proposition motivée d’un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2. (…) le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains droits découlant des traités à l’Etat membre en question, y compris les droits de vote du représentant de cet Etat membre au sein du Conseil. » Il va de soi qu’il n’y a aucune présidence possible sans droit de vote !

En outre, l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme [5] précise : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.  » Si l’on ne peut légalement s’appuyer sur la Charte des Droits fondamentaux pour condamner la Hongrie, cet article de la CEDH engage bien le gouvernement hongrois.

On peut toujours prétexter qu’une procédure est difficile et prend du temps, qu’il n’y a pas de précédent, que montrer la Hongrie du doigt serait une façon de l’enfermer dans un isolement propice aux idées extrêmes du Jobbik… mais on ne peut faire d’omelette sans casser d’oeufs !

Il n’est pas question d’abandonner la Hongrie, mais de montrer que l’on ne peut impunément violer le traité de Lisbonne et, en particulier, les principes démocratiques sans lesquels l’UE n’aurait que peu de raisons d’exister.

Une première version de cet article est parue sur Vent d’ouest, le blog de Marie Thureau, sous le titre : « Présidence hongroise et valeurs européennes ».

Image : "Censorship"

Crédits : http://gloria78.wordpress.com/2008/05/13/press-freedom/

Vos commentaires
  • Le 8 janvier 2011 à 13:04, par HR En réponse à : Carton rouge à la Hongrie pour sa mainmise sur les médias

    « Le traité de Lisbonne prévoit, pour le Conseil européen devenu une institution, un président à temps plein dont le mandat de deux ans et demi est renouvelable une fois. La présidence tournante du Conseil (des ministres) de l’Union, d’une durée de six mois, est cependant maintenue. Depuis le 1er janvier, c’est à la Hongrie de l’assurer. Mais est-ce bien raisonnable ? » Marie Thureau


    Bravo à cet article nationaliste européen qui parvient à faire oublier que le Premier Amendement de la Constitution des USA existe, inchangé, et est effectivement appliqué depuis deux siècles. Accessoirement, l’article peut ainsi passer sous silence en quoi l’Europe serait « ce que le monde entier nous envie », surtout si on pense à ce qu’il en est de l’Histoire de la liberté d’expression en Europe depuis deux siècles.

    Et enfin, ça permet d’éviter de poser la question de fond de savoir ce qui a permis de rétablir les droits fondamentaux d’expression dont on peut bénéficier en Europe aujourd’hui, alors qu’en 1939 ils avaient à peu près complètement disparu. Et évidemment, ça permet d’éviter de se demander grâce à qui ils ont été peu à peu rétablis en Europe, notamment entre 1945 et 1989...

    J’ai proposé à Le Taurillon un article qui passera peut-être et qui explique qu’aujourd’hui, le véritable pouvoir politique en Union Européenne appartient au Conseil, et qu’en 2010, il y a eu un changement de majorité dans le Conseil. C’est désormais Angela Merkel qui le préside véritablement.

    On pourra le vérifier éventuellement avec cette crise politique de la « présidence de l’Union Européenne », tout en vérifiant les mécanismes du pouvoir du traité de Lisbonne :

    Prestige oblige, Viktor Orban ne peut en aucun cas céder dès maintenant aux pressions. Surtout si elles viennent d’institutions politiques subalternes comme la Commission et à fortiori, le Parlement, qui sont désormais à peu près totalement dénués de pouvoir par les mécanismes propres au traité de Lisbonne.

    L’Union Européenne fonctionne désormais comme une Congrès de Vienne permanent. Viktor Orban ne pourra céder qu’au Conseil, dont il est désormais le « troisième président ».

    Comme le souligne assez bien l’article, il y a donc deux « présidents » officiels au Conseil. Herman van Rompuy a déjà amplement prouvé que son seul rôle de Président est celui de jouer le rôle d’une potiche. C’est donc entre l’actuel « Président tournant » (!!!) du Conseil, Viktor Orban, et la véritable Présidente du Conseil, Angela Merkel que ça va se jouer. Quand on mesure les rapports de force politique dans l’Union Européenne, ce n’est que lors d’une confrontation personnelle entre Viktor Orban, la Présidente Angela Merkel et, évidemment, les autres membres du Conseil, que l’issue de cette crise politique, car s’en est une, va se jouer.

    La véritable Présidente de L’Union Europénne depuis le fin de l’année 2010, Angela Merkel, a déjà fait connaître sa position. Dès la fin décembre, elle fut la première des 27 chefs d’Etats, confirmant ainsi son rôle de Présidente, à attaquer la loi sur la presse hongroise. Dans les mécanismes politiques européens « que le monde entier nous envie », Viktor Orban ne peut évidemment pas s’incliner devant une critique envoyée de Berlin. Logiquement, il ne peut s’en sortir qu’à la suite d’une accord qui préservera l’unanimité de façade qui prévaut toujours au Conseil, puisqu’il délibère dans le secret le plus complet. On en saura donc probablement plus sur une éventuelle sortie de cette crise politique par un communiqué officiel à la suite de la prochaine réunion du Conseil. Puisque, comme on l’a vu tout au long des crises de 2010, notamment la crise de l’euro et de la dette souveraine, c’est là que tout ce joue.

    A partir de là, on peut effectivement se dire que ces mécanismes politiques constituent quelque chose que « le monde entier nous envie ». On aurait pu croire, à un autre moment, que c’était les institutions politiques des USA, en permettant l’élection de Barack Obama, que « le monde entier » enviait. « On » se serait trompé. En fait, ce que « le monde entier », nous envierait, et que nous, Européens, sommes les « seuls » à défendre, ce sont des processus politiques où les citoyens de l’Union Européenne ne jouent en réalité aucun rôle. Il n’est qu’à voir le rôle actuel des députés « élus par les citoyens européens », et qui jouent parfaitement leur rôle de potiches muettes sur cette crise politique de fond en Europe.

    Mais il est vrai qu’il y a « les seuls au monde » et « les seuls au monde », il y a « le monde entier » et « le monde entier ». « On » choisit celui qui arrange le plus.

    Et des « on » qui nous envient un processus politique où les citoyens, fondamentalement, ne jouent aucun rôle, il y a certes un « le monde entier » qui nous l’envie, aucun doute là-dessus.

    Et au pire, si Viktor Orban insiste, sur un tel déni de liberté fondamentale, institué depuis deux siècles dans un autre « le monde entier » par le Premier Amendement d’une Constitution d’un autre « les seuls », on pourra toujours espérer, puisqu’on parle de la frontière avec les Balkans, que comme lors de la dernière atteinte, beaucoup plus grave, aux droits fondamentaux en Europe dans cette région lors de la dernière Guerre des Balkans, le Président des USA finira par taper du poing sur la table si les Européen ne parviennent pas à le faire cesser.

    On peut encore douter que Viktor Orban accepte de céder à la véritable Présidente de l’Union Européenne. Mais peut-il résister au Président des USA ? La question, on le sait, ne se pose même pas, dans cette Europe « que le monde entier nous envie », surtout depuis la dernière Guerre des Balkans dans cette région.

  • Le 8 février 2011 à 11:05, par HR En réponse à : Carton rouge à la Hongrie pour sa mainmise sur les médias

    Tout ce passe normalement dans l’Union Européenne strictement intergouvernementale du traité de Lisbonne.

    Comme je le « prédisais » dans mon commentaire plus haut, les choses se sont passées exactement comme prévues :

    La première réunion du Conseil depuis cet article a eu lieu vendredi, et hier : http://fr.euronews.net/2011/02/08/la-hongrie-accepte-d-amender-sa-loi-sur-les-medias/

    La réunion a lieu vendredi, et lundi, Viktor Orban envoie l’amendement de sa loi à Bruxelles lundi.

    La seule chose que je n’avais pas prévu, c’est que Le Taurillon refuserait mon article. J’en suis stupéfait, d’ailleurs.

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