Carton rouge au journal de 20 heures de France 2

Pour son traitement du discours du 10 juillet 2008 de Nicolas Sarkozy devant le Parlement européen

, par Fabien Cazenave

Carton rouge au journal de 20 heures de France 2

Nicolas Sarkozy est venu devant le Parlement européen pour présenter le programme de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). France 2 a choisi de traiter cet évènement sous le seul prisme des rapports de la France avec la Chine. Pourtant c’était l’occasion de parler d’Europe aux citoyens français. Occasion (encore) manquée.

20 heures, David Pujadas lance le journal et la présentation des sujets du journal nous donne l’espoir que l’évènement de la journée occupe une partie du journal : « la Chine enflamme le Parlement européen ». La présence de Nicolas Sarkozy au Parlement européen et son discours tient la Une. Mais la rédaction de France 2 a décidé de ne traiter dans cet évènement qui a duré trois heures dans la journée uniquement dans le cadre des relation de la France avec la Chine.

Le discours de Sarkozy uniquement traité sous le prisme des relations de la France avec la Chine

« Nicolas Sarkozy en tant que Président de l’Union est venu présenter ses priorités mais c’est la question de la Chine et des Jeux Olympiques qui a enflammé les débats. » [1] Bon, admettons que ce qui a duré moins de 10 minutes sur 3 heures de débats soit ce qui a enflammé le Parlement européen...

Coup de chance pour les médias, l’affrontement Cohn-Bendit contre Sarkozy était en français. Même si la traduction était effectuée immédiatement au Parlement européen, la charge émotionnelle est certes plus facile à diffuser avec un échange directement dans notre langue pour les téléspectateurs. La voix blanche de Daniel Cohn-Bendit qui portait sous sa veste le fameux T-Shirt de Reporter-sans-Frontières avec les anneaux olympiques transformés en menottes... L’ancien porte-parole de 1968 qui interpelle celui qui veut casser cet héritage de 40 ans... Cela porte.

Normal donc que France 2 diffuse cet échange qui porte un intérêt médiatique. Surtout qu’ensuite, la conférence de presse de Nicolas Sarkozy continue à porter sur la polémique. Les images sont là, les paroles aussi.

Problème : il y a confusion des genres. On reprend dans le reportage les propos du Président qui va en tant que Président des Européens, mais le reportage suivant parle des relations de la Chine... avec la France. On mélange donc enjeux européens et enjeux nationaux.

Au final, on pourrait aller plus loin : un citoyen regardant France 2 pourrait très bien être choqué que les eurodéputés viennent embêter notre Président français sur une question de diplomatie nationale...

La pédagogie journalistique est totalement mise de côté. Mais il y a encore plus grave.

Le discours de Nicolas Sarkozy complètement mis de côté

M. Sarkozy a fait un discours devant le Parlement européen intéressant, clivant. Sur la forme, il s’est exprimé sans note. Sur le fond, il a abordé la plupart des sujets importants et a tenu un discours engagé sur des points épineux.

Par exemple, il s’est engagé à trouver une solution avec l’Irlande pour octobre sur le traité de Lisbonne. Quant à la ratification de ce dernier, il a mis en cause le Président polonais en lui rappelant que sa signature sur le traité qu’il a lui-même négocié était une « question de morale ».

Sur la défense européenne, il a clairement présenté l’Otan comme une alliance avec les États-Unis qui n’est que parallèle avec une Politique Européenne de Sécurité Commune autonome.

Il s’est prononcé contre l’idée d’une « avant-garde » car l’Europe des 27, « c’est une famille ». Il a aussi avancé des idées sur le traitement au niveau européen de la maladie Alzheimer ou encore sur « l’exception sportive européenne » pour qu’il n’y ait plus de « pillage » des clubs de football qui mène la formation des jeunes joueurs. Enfin, la proposition de créer des barrières douanières dans les relations économiques avec les pays tiers à l’Union qui tiennent compte du respect « de nos valeurs » mériterait au moins une citation dans le reportage.

Comment le citoyen peut-il être d’accord ou non avec les propositions de Nicolas Sarkozy si on ne lui en parle pas ? Comment peut-il suivre l’actualité européenne s’il n’a pas eu la chance de pouvoir suivre le discours en direct sur la Chaine Parlementaire ?

Nous avions pourtant un vrai positionnement sur les grands sujets européens du moment. Le débat public aurait pu donc être alimenté.

Et pourtant, il y avait matière à durer plus de 2 minutes et 40 secondes

Quand on compte la durée des deux reportages, on s’aperçoit de la chose suivante : la dispute du Parlement européen a duré 2 minutes et 40 secondes (le reportage sur la Chine et la France 1 minute et 18 secondes). Le journal télévisé dure plus de 30 minutes. L’évènement politique de la journée a donc duré moins de 10 % du journal...

Car même si les journalistes de France 2 voulaient jouer sur l’aspect désaccords politiques, il y avait matière :
 Barroso qui contredit Sarkozy sur la hausse des taux d’intérêts par la BCE car cela protège les citoyens de l’inflation.
 Schultz (PSE) qui demande à Sarkozy de ne pas aller en Irlande avec Kouchner en raison de ses déclarations qui ont contribué au non irlandais. Le tout sous les rires narquois des travées du Parlement européen alors que Bernard Kouchner était assis à côté du Président de la République...
 la main tendue par Sarkozy à De Villiers alors qu’il assassinait quelques minutes après Le Pen par un « en vous écoutant je suis heureux » car il n’a plus peur de l’extrême-droite en France avec le président du FN à sa tête.
 la charge contre le Président polonais lui disant qu’il était une question de morale le fait qu’il signe un traité qu’il a lui-même négocié.

Non, on parlera juste des relations avec la Chine, c’est sûrement plus parlant.

Quand on ne parle pas d’Europe, dur de faire œuvre de pédagogie d’un coup

Nicolas Sarkozy l’avait dit lors de son intervention télévisée le 30 juin sur France 3 : le service public devra désormais parler « plus d’Europe ». Il est clair qu’il y a encore du boulot. Par exemple hier soir, David Pujadas a abordé l’Union pour la Méditerranée... seulement pour parler de la Syrie et du pourquoi la présence de son Président provoquait l’émoi.

Lors de la ratification du traité de Lisbonne, peu de reportages ont présenté le texte en lui-même. Que cela soit pour le comparer au TCE et au traité de Nice par exemple... mais non, il était tellement plus intéressant de parler de la question de savoir s’il était bien ou pas de ne pas repasser par référendum. La question était certes importante mais méritait un meilleur traitement que le registre émotionnel.

Le tout en se gardant bien de présenter ce que la Constitution française offrait réellement comme choix à Nicolas Sarkozy. Bien sûr, tous les Français connaissent la Constitution par cœur, n’est-ce pas ?

On ne peut qu’être énervé de voir que l’Europe n’est pas au cœur des foyers français à cause en partie des médias télévisés. Le Service Public Audiovisuel a une responsabilité importante, voir même supérieure car il prétend offrir un traitement différent au téléspectateur. Le journal de David Pujadas à l’occasion du 20 heures d’hier soir était à côté de l’objectif. Et au final, c’est encore la construction communautaire qui paye les pots cassés.

Illustration :
 logo du 20h de France 2.
 logo de France 2.

Notes

[1Lancement du sujet par David Pujadas.

Vos commentaires
  • Le 11 juillet 2008 à 19:17, par Laurent Simon En réponse à : Oui, tt à fait d’accord, malheureusement ! Re : Carton rouge au journal de 20 heures de France 2

    Je ne peux qu’être à 100% d’accord avec cet article, ayant vu à la fois les deux journaux de France 2 et la plus grande partie de l’intervention de Nicolas Sarkozy.

    Cela ne fait que confirmer ce que j’écrivais dans "La construction européenne paie le prix de décennies de démagogie. Et d’un déficit démocratique, en partie résolu par le traité de Lisbonne..." paragraphe « Très peu d’information sérieuse sur l’Europe ».

    France 2 a un service de « médiateur », qui aborde ces questions le samedi après le journal de 13h (je ne sais s’il y en aura demain samedi 12/07) : http://relations.france2.fr/mediateur_intro.php

    Il serait bon que nombreux nous soyons à réagir à ce sujet, pour espérer avoir une influence pour un traitement plus normal de l’information. la moindre des choses c’est d’aborder ce qui a été abordé, et non un point qui n’a effectivement qu’été marginal.

  • Le 14 juillet 2008 à 20:58, par Ronan En réponse à : Carton rouge au journal de 20 heures de France 2

    2 min 30 s. pour traiter un tel sujet, c’est bien évidemment trop court, ça oblige à chercher des anecdotes fortes (comme la « hurlante » de Cohn-Bendit) ou des raccourcis faciles pour - faute de temps et économie de moyens - essayer de faire passer beaucoup d’idées en peu de mots...

    Maitenant, pour ce qui est des raccourcis faciles (comme quoi, à force de vouloir absolument simplifier les choses on s’expose fatalement à être inexact...) (et comme quoi, nul n’est à l’abri...) : il est inexact de présenter la « défense européenne » en ces termes « l’Otan comme une alliance avec les États-Unis qui n’est que parallèle avec une Politique Européenne de Sécurité Commune autonome ».

    La PESC étant en fait aujourd’hui de plus en plus conçue comme un « pilier européen » (en voie d’autonomisation) au sein (plutôt qu’en parallèle...) d’une « OTAN rénovée ». Dans cette « OTAN rénovée » les relations « euratlantiques » (i. e : avec les USA) passeraient progressivement du « Leadership » au « Partnership ».

    Et c’est là tout le sens des récentes décisions du Président Sarkozy en la matière, à savoir : « J’accentues le retour de la France au sein de l’OTAN (très largement commencé sous Mitterrand puis Chirac...), à condition qu’y soit vraiment développé un pilier européen autonome ».

    Quant à une « Europe de la défense » vraiment séparée de l’OTAN, ça pose problème : notamment auprès des Polonais et des Tchèques (qui - plus atlantistes que jamais - n’en veulent absolument pas...), et notamment auprès des Maltais et des Irlandais (qui tiennent absolument à leur neutralité...).

  • Le 15 juillet 2008 à 15:33, par lucrecius En réponse à : Carton rouge au journal de 20 heures de France 2

    Bien de ton avis Fabien...

    De mon point de vue, Mr Pujadas, n’est qu’un camelot de l’information qui officie sous les instructions d’un directeur de l’information... Au même titre que ses confrères des journaux télévisés concurrents, c’est un comédien qui joue le texte d’un auteur à la sauce d’une mise en scène sciemment construite.

    Je ne suis pas suffisamment informé pour décrire plus avant la nature des liens hiérarchiques ou d’autorité. Mais voici une liste (probablement incomplète) dans laquelle il doit y avoir autant de responsabilité... au dessus de M. Pujadas.
     Pierre Henri ARNSTAM Directeur de la rédaction de France 2
     François Guilbeau Directeur général, France 2
     Patrice Duhamel Directeur général en charge de l’antenne, du développement et de la diversification
     Patrick de Carolis Président Directeur général

    Remarque : Ce n’est pas étonnant que le nom de Pujadas viennent tout de suite à l’esprit.. car il n’a pas été facile de trouver les noms entre lui et M. Carolis

    Bien cordialeuropement,

    Lucrecius.

     Le pessimisme de l’intelligence ET l’optimisme de la volonté 

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