Une enquête franco-allemande en cours, portant sur leurs pratiques sportives associatives, révèle qu’ils s’investissent régulièrement dans des organisations locales faisant largement référence au pays d’origine. En Alsace (France), tout comme dans le Bade-Wurtemberg (Allemagne), l’existence d’un nombre relativement important de clubs de football patronnés par des Turcs et majoritairement fréquentés par des « originaires » de Turquie vient par exemple attester d’une telle tendance (Gasparini, Weiss, 2008). Qu’est-ce qui conduit ces populations à faire de l’« entre soi » ? Qu’en est-il du postulat selon lequel le sport est un puissant vecteur d’intégration nationale ?
Multikulti vs intégration républicaine
Analyser la pratique sportive des « immigrés » revient à analyser les politiques publiques du sport, même si les « immigrés » ne sont pas des acteurs passifs et ont des stratégies propres dont il faut tenir compte. On observe que selon le contexte national, les politiques publiques à destination des « minorités ethniques » ou des populations issues de l’immigration ne sont pas identiques. Les individus sont influencés par ces modèles nationaux et ils se construisent leur propre manière de penser et de se représenter l’intégration par le sport.
« L’Allemagne n’est pas un pays d’immigration » : cette affirmation a non seulement résumé pendant longtemps la vision intime que la société allemande avait d’elle-même, mais aussi entretenu l’idée que les Gastarbeiter (« travailleurs hôtes ») d’origine étrangère n’étaient là que de passage. Dans le sport, se sont développées des politiques de soutien aux associations sportives « ethniques », des dispositifs de lutte contre le racisme dans les stades de football et des politiques de gestion communautaire. Les regroupements ethniques sont banalisés dans le cadre associatif puisque, selon la conception « multiculturaliste » de l’intégration, le club sportif « ethnique » est considéré comme une première voie de participation des immigrés au sport organisé allemand et par la même comme une étape vers l’intégration nationale.
En France, ces formes de politiques publiques sont absentes en tant que telles. Dans un pays qui ne reconnaît pas l’existence de communautés sur son territoire, on ne parle pas de « minorités ethniques » car tout individu n’est pas d’abord « black, blanc, beur ou turc », mais s’identifie comme appartenant en premier lieu à la nation. En matière de sport, cette politique s’est traduite par une disparition progressive des clubs à base ethnique ou nationale (portugaise, algérienne, arménienne…) au profit du « brassage culturel ». Dans les dispositifs publics d’animation sportive, d’insertion ou d’intégration par le sport, c’est le territoire (ZEP, ZUP, ZUS, etc.), et non la communauté d’origine, qui s’est imposé comme un principe de catégorisation et d’action évident. Aussi, parmi tous les risques de mise en cause de la cohésion nationale, c’est celui du repli communautaire qui est le plus ancré dans l’imaginaire collectif.
Le football, élément d’un style de vie populaire ?
Si l’entrée dans une association sportive constitue une démarche volontaire marquant l’adhésion à une collectivité, l’investissement ne se fait pourtant pas « par hasard » mais s’inscrit dans un style de vie fonctionnant selon une logique produite par des conditions sociales d’existence et une position particulière dans la structure sociale (Bourdieu, 1979). Dès lors, si les populations originaires de Turquie installées en France et en Allemagne fonctionnent en partie autour de clubs de football « communautaires », c’est surtout parce qu’elles sont majoritairement d’origine populaire (et rurale pour la dernière vague migratoire). En Alsace, 73 % de la population active d’origine turque est ouvrière, avec une majorité d’ouvriers non qualifiés (INSEE, 1999). Dans le Bade-Wurtemberg, 75 % de cette population appartient aussi à cette catégorie socioprofessionnelle (Statistisches Landesamt, 2004). Or, quelle que soit l’origine culturelle, un club de football amateur est avant tout une instance de socialisation à un univers d’hommes, où prédominent un type d’expression et de valorisation du corps masculin, des valeurs collectives et un mode d’organisation et de sociabilité qui renvoient à un ethos populaire (Renahy, 2005).
L’analyse sociologique comparative entre la France et l’Allemagne permet de montrer que l’existence de clubs de football regroupant des « immigrés » turcs ne se limite pas à l’expression d’une « appartenance ethnique » (Weber, 1971), mais qu’elle est aussi liée au contexte politique de la société d’accueil, aux parcours migratoires ainsi qu’aux conditions sociales d’existence. Loin de révéler une volonté de fermeture sur la « communauté » d’origine, les actions collectives des « originaires » de Turquie font souvent fonction d’œuvre sociale à l’heure où la « discrimination négative » (Castel, 2007) enferme les plus démunis d’entre eux dans des destins presque écrits d’avance.
Suivre les commentaires : |