Commission et Hongrie : les points de friction

, par Nicolas Delmas

Commission et Hongrie : les points de friction
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Dans la conférence donnée pour les Master 2 Droit de l’Union européenne et Contentieux Européens le vendredi 23 Mars, le directeur du Service Juridique de la Commission européenne, Ben Smudlers, a choisi pour sujet le recours en manquement et notamment le cas hongrois. La Commission de Venise, organe indépendant, s’est fendu d’un rapport très critique sur la politique hongroise actuelle.

Suite à l’écrasante majorité obtenue, le parti au pouvoir de Viktor Orban a adopté des lois cardinales (l’équivalent de nos lois organiques en France) qui portent atteinte aux droits de l’homme et qui sont incompatibles avec le droit de l’Union. La Commission a lancé une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie.

Néanmoins, pourquoi la Commission a-t-elle autant tardé à agir ?

Monsieur Smulders rappelle qu’ « on se frotte à des problèmes épineux lorsque des droits et des libertés fondamentales en cause. » Il est possible d’isoler quatre problèmes majeurs : avec le champ, les procès d’intention, les mesures qualificatives d’infraction et les infractions consommées.

A ces problèmes techniques, Monsieur Smulders rappelle qu’il existe aussi des problèmes politiques. En effet, le Parlement européen est très divisé sur cette question. Le parti majoritaire au Parlement, le Parti populaire européen, tend à protéger ce parti « ami ». Ainsi, le porte parole du PPE avait considéré que la prise de mesures drastiques en Hongrie s’imposait car la Hongrie disposait alors d’une constitution bolchévique. Or, comme l’a justement signalé l’eurodéputé Daniel Cohn Bendit, si c’était vrai, la Hongrie n’aurait jamais été membre de l’Union européenne. Elle est tenue pour pouvoir adhérer de se conformer à l’article 2 qui expose les critères auxquels les États doivent se conformer : État de droit, démocratie, droits de l’homme, etc... Si jamais la Hongrie disposait d’une telle constitution, honte à l’Union et à ses États membres pour l’avoir accepté ainsi.

Actuellement, la Commission a donc lancé une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie en exposant différents griefs : la législation en cause ferait naître des risques sur l’indépendance de la banque centrale, l’indépendance des juges, l’indépendance des médias et l’indépendance de la protection des données.

Tout d’abord, sur l’indépendance de la banque centrale, Monsieur Smulders est revenu sur les divers points qui posaient problème : la fusion entre la banque centrale et l’autorité chargée de la surveillance bancaire, la nomination du président de cette nouvelle institution par le gouvernement, la réduction du salaire du président à 25%, la supervision du Conseil d’Administration de cette institution par un représentant du Ministre des finances, la possibilité de modification de l’ordre du jour de ce conseil d’administration par le ministère des finances, la déclaration de loyauté à la Hongrie par le président lors de sa nomination.

Néanmoins, à l’heure actuelle, les autorités hongroises se sont montrées disposé à modifier leur loi sur quasiment toutes les préoccupations de la Commission. Il demeure un dernier point d’achoppement au niveau du salaire du président de la banque centrale. En effet, selon les statuts de la Banque centrale européenne, aucun État membre n’a le droit de diminuer le salaire du président de la banque centrale. Pour la Commission, l’application de la baisse de salaire aurait du toucher tous les salaires. Elle compte se placer sur le terrain de la discrimination. Pour autant, à voir le visage circonspect des professeurs de droit présents, l’idée a peu de chance d’aboutir. En effet, le gouvernement hongrois a adopté un plafond correspondant au salaire maximal admissible. Certes, ce plafond revient à ne baisser que le salaire du président de la banque centrale qui était le seul au dessus de cette limite.

Toutefois, vu que les intentions réelles du gouvernement hongrois ne sont pas punissables, il faut se placer sur le terrain du droit. Il n’en demeure pas moins que malgré cette diminution, le président de la banque centrale présente encore et de loin le plus haut salaire de la fonction publique hongroise. Par ailleurs, l’idée avancée par Monsieur Smulders d’une discrimination notamment par rapport aux présidents des entreprises publiques qui n’ont pas été soumis à la même discipline (puisque leurs bonus ne sont pas pris en compte pour le plafond) ignore quand même la différence de statut. La banque centrale n’a pas pour objectif de faire un quelconque profit, donc de donner un bonus à son président. Il peut en aller différemment pour une entreprise publique.

Ensuite, sur le contrôle des données personnelles, la Hongrie a adopté une nouvelle loi pour changer la structure du bureau en charge de ce domaine. Le statut du médiateur est transformé en agence. L’actuel médiateur est donc remplacé puisque son poste n’existe plus. Toutefois, de telles dispositions se heurtent au fait que la législation européenne interdit tout licenciement des personnes en poste (sauf selon d’impérieux motifs). La Commission veut sa réintégration pure et simple. Sur ce point, le contentieux est en cours. Mais, Monsieur Smulders semble assez confiant.

Après, sur l’indépendance des juges, la Hongrie a abaissé l’âge de la retraite des juges qui étaient les seuls à bénéficier d’une dérogation pour pouvoir travailler jusqu’à 70 ans. Cette disposition a eu pour effet immédiat de mettre 300 juges nommés sous les précédents gouvernements à le retraite. Or, depuis, la Hongrie prévoit que les juges actuellement en place puissent aller jusqu’à cette limite d’âge.

Autre point litigieux, la Hongrie a créé un Conseil de la Magistrature dont le président est désormais nommé par l’exécutif pour une période de 15 ans et n’est pas un juge, mais un politique. Par ailleurs, ce nouvel organisme décide de la nomination des juges, les soumet à des stages longs et renouvelables. Même si la France a quelques similitudes dans l’organisation de la justice (un conseil supérieur de la magistrature présidé par un politique et non des moindres), la Hongrie se dirige manifestement sur une pente glissante.

L’ensemble de ces mesures portent évidemment atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Or, depuis le Traité de Lisbonne, l’article 19 mentionne expressément le rôle des juridictions nationales dans l’application du droit de l’Union européenne. Dès lors, l’Union a intérêt à connaître de la nomination des juges. Néanmoins, dans une ordonnance assez méconnue qui concernait l’Italie, la Cour de Justice de l’Union européenne avait rejeté le motif tiré de l’indépendance des juges comme susceptible d’entraîner un recours en manquement. Néanmoins, pour le professeur Fabrice Picod, désormais, « l’état du droit a changé. » La présence de l’article 19 permet ainsi d’espérer une issue plus favorable pour la Commission européenne.

Enfin, sur l’indépendance des médias, la Hongrie a mis en place un organisme public qui veille à ce que les messages des médias hongrois soient « équilibrés ». Il est évident que derrière cette législation et son concept flou « d’équilibre », la presse est menacée dans son exercice, notamment par le biais de sanctions démesurées. L’atteinte à la liberté d’expression est manifeste. Le Conseil de l’Europe a publié un avis sur ce point. Néanmoins, il apparaît difficile d’utiliser la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, même si elle consacre la liberté d’expression, elle ne s’applique que dans les cas où l’Union a compétence. Son invocation risque donc d’être inutile.

Une réaction plus forte de la Commission est elle souhaitable ?

On peut donc regretter l’absence de l’utilisation de l’article 7 du Traité qui permet de poursuivre un État membre en cas de violations graves des droits et libertés. En effet, le cas hongrois aurait nécessité d’employer des moyens adéquats. Monsieur Smulders a pourtant rejeté cette possibilité, considérant que l’article 7 constitue une « bombe atomique » et ne doit servir qu’à faire pression sur les États membres. Monsieur Smulders a d’ailleurs eu cette réflexion : « Comme au temps de la guerre froide, la bombe atomique ne s’utilise pas. Elle permet un équilibre entre puissances. » Il est quand même important de se demander à quoi sert un article si son utilisation s’avère trop lourde pour être mis en œuvre.

Nous pouvons quand même saluer l’efficacité de ce recours qui a quand même poussé les autorités hongroises à négocier pour modifier une grande partie de leur législation litigieuse. Malgré tout, Monsieur Smulders pense que les griefs sur la protection des données personnelles et l’indépendance de la justice n’obtiendront pas gain de cause auprès de la Cour de Justice.

Néanmoins, si jamais il ne devait pas montrer pleinement ses effets, la Commission compte se reposer sur d’autres outils. Elle n’a pas hésité déjà à menacer de suspendre les fonds de cohésion. Elle pense désormais aux grands besoins de financement de la Hongrie qui aura besoin d’une ligne de crédit de 100 milliards d’euros à la mi-mai. Des premières négociations informelles ont commencé. La Commission souhaite faire pression sur la Hongrie en se servant de la conditionnalité, notamment en arguant que l’une des conditions n’est pas présente. En effet, ces prêts nécessitent un « climat propice aux affaires » qui ne serait donc pas présent selon la Commission. Néanmoins, le corps professoral présent y a vu plus un « risque de détournement de pouvoir pour la Commission. »

Il est vrai que comme le rappelle, Monsieur Smulders, « aucun État membre n’a droit à cette distance. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire de l’Union qui choisit ou non d’y donner suite. »Autre avantage pour le directeur du service juridique : cette aide est distribuée par tranche. Il est donc tout à fait possible de la suspendre ou de la restreindre si jamais la Hongrie ne se conformait pas assez vite à ses obligations.

Toutefois, sur cette voie, l’Europe ne s’avance pas seule puisque le FMI est aussi parti prenante au refinancement de la Hongrie. Or, les États-Unis d’Amérique sont très attentifs au cas hongrois et demeurent réticents à financer le régime actuellement au pouvoir.

Pas sûr pour autant que l’époque soit propice à ce genre de chantage, car la Hongrie pourrait être tentée de jouer la politique du pire, sachant qu’une grande partie de sa dette est détenue par des banques d’Europe de l’Ouest qui ont actuellement suffisamment de difficultés avec les problèmes de la zone euro et des dettes souveraines des États pour pouvoir perdre une ligne de crédit. Vouloir éteindre les étincelles de l’autoritarisme, c’est bien. Attention toutefois à ne pas embraser le foyer d’une nouvelle crise économique.

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