Fabien Cazenave : Aux EGE, vous présidez un atelier intitulé « Une Union plus juste, pour une convergence sociale entre pays européens ». En quoi une telle convergence peut-elle contribuer à la construction d’une Union plus juste ?
Marcel Grignard : L’Union européenne connait une réalité sociale très hétérogène, même si, par rapport au reste du monde, des caractéristiques communes montrent une spécificité européenne, notamment en ce qui concerne la protection sociale et le dialogue social. Mais d’un Etat membre à l’autre, on constate des situations très variables sur le niveau et les modalités de protection sociale, la place du dialogue social (domaines abordés, force des acteurs, articulation loi-négociation, …), le coût du travail, les modalités de représentation des salariés, …
Le marché unique franchit un nouveau pas important avec la transposition de la directive services, tandis que les concurrences sont vives entre États membres, tant au niveau social que fiscal, alors que ces domaines restent essentiellement de compétence nationale. Les restructurations et délocalisations d’entreprises auxquelles sont confrontés les salariés, accentuées par la crise actuelle, tendent à renforcer une vision de l’Union européenne incapable de répondre aux défis sociaux, ainsi que, par voie de conséquence, les replis nationaux. Ce qui ne fait qu’aggraver la concurrence entre salariés. Il est donc urgent de réagir, et cela ne peut se faire que par une coopération entre pays européens qui les renforce en leur permettant de mutualiser des moyens et d’éviter que les situations les plus défavorables ne tirent l’ensemble vers le bas.
Fabien Cazenave : Face à de telles différences, comment trouver une voie européenne commune et est-elle souhaitable ?
Marcel Grignard : Le dialogue avec les autres européens et la prise en compte de leurs réalités sont essentiels. Notamment par rapport aux nouveaux pays membres, il est impossible de vouloir leur imposer du jour au lendemain les standards sociaux de la Suède, la France, ou l’Autriche. Ce serait le meilleur moyen d’empêcher leur développement. C’est pourquoi nous parlons de convergence et non d’harmonisation.
Depuis leur adhésion, ces pays ont fait beaucoup de progrès et ont tiré la croissance européenne. Mais le niveau de dialogue social y est encore très faible, ce qui freine les progrès dans les conditions de travail, les salaires et la protection sociale. Les Directives européennes et les accords cadre entre partenaires sociaux ont commencé à construire un droit social européen, avec des droits en matière d’hygiène et santé au travail, de lutte contre les discriminations, de droits des travailleurs temporaires et intérimaires, etc. Mais il faut aller beaucoup plus loin pour construire un socle commun de droits à tous les salariés européens de façon à lier développement économique et progrès social.
Fabien Cazenave : Voir des Etats obtenir des opt out sur la Charte des Droits fondamentaux vous inquiète-t-il ?
Marcel Grignard : Dès lors que l’on qualifie ces Droits de fondamentaux, il est tout à fait anormal que l’on considère que l’on puisse ne pas les appliquer partout. Comment l’Union européenne peut-elle, dans ces conditions, demander l’intégration de normes sociales dans les accords internationaux ? Ces opt out constituent donc des entraves au progrès social, en Europe et dans le monde. Mais il faut se placer dans une perspective dynamique. Le Royaume Uni n’avait pas signé le protocole social du Traité de Maastricht, mais a ratifié quelques années plus tard le Traité d’Amsterdam qui incluait ce protocole … Rien n’est donc impossible, mais à condition de reprendre une dynamique positive dans la construction européenne. La crise actuelle et les défis d’avenir face à la montée des pays émergents et des problèmes environnementaux planétaires montrent plus que jamais le besoin d’Europe. A nous de saisir l’occasion et au syndicalisme européen de peser dans ce sens.
Fabien Cazenave : Quelles sont les directives à surveiller particulièrement en ce moment ?
Marcel Grignard : Des consultations vont bientôt démarrer sur la relance de la directive « temps de travail ». Cela fait partie du socle de droits pour l’ensemble des européens. Il faut veiller à éviter des dérives dangereuses pour la santé des salariés, et permettre un équilibre entre vie au travail et vie privée. La réglementation du travail en France et en Europe présente des failles que les entreprises, dans leur recherche de compétitivité, peuvent exploiter au détriment des conditions de travail. Ce n’est évidemment pas la bonne méthode et nous devons être vigilants sur cette question.
Le syndicalisme européen est également préoccupé par la directive sur le détachement des travailleurs, car elle pose le problème de l’équité de traitement entre les salariés d’un pays et ceux qui viennent y travailler temporairement. Les arrêts de la Cour de Justice européenne ont mis le doigt sur ce problème. La solution ne passe pas forcément en premier par la révision de la directive. A la CFDT, nous sommes convaincus que les solutions adaptées viendront de la discussion entre partenaires sociaux et non des marchandages entre Etats membres au Conseil.
D’autres directives en préparation posent question. C’est le cas aujourd’hui, par exemple, de la directive sur la Société privée européenne. Elle vise à créer un nouveau statut juridique pour des PME à l’échelle européenne, ce qui, en soi, peut être une bonne chose pour le dynamisme de l’économie européenne. Mais les propositions actuelles, en laissant les possibilités de transfert de siège social trop peu réglementées, risquent de favoriser des entreprises « boite à lettre » qui échapperaient aux règles sociales ou fiscales.
La veille législative est donc importante. Pour autant, la construction de l’Europe sociale ne se résume pas aux directives adoptées par l’Union. Avec un dialogue social européen à la hauteur des enjeux, on aurait moins besoin de surveiller les directives européennes, car celles-ci traduiraient l’accord entre partenaires sociaux. C’est donc la relance du dialogue social européen qui nous semble prioritaire. Nous attendons de la Commission Barroso II une attitude plus incitative en faveur du dialogue social, ce qui correspondrait à l’engagement pris par son Président en faveur de l’Europe sociale.
1. Le 9 avril 2010 à 05:54, par Martina Latina En réponse à : « Construire un socle commun de droits à tous les salariés européens » pour Marcel Grignard
Merci pour cet entretien : oui, « la convergence sociale » est à rechercher pour « une Union plus juste », et ce notamment par « la veille législative » nécessaire à la solidarité possible autant que nécessaire. Car « le besoin d’Europe » se fait sentir chaque jour davantage dans tous les domaines ;
or le peuple européen a reçu d’EUROPE - la jeune Phénicienne qui lui imprima son énergie avec son nom voilà trois millénaires en se laissant déposer par un TAURILLON mythique au bord de la future EUROPE - les moyens bien réels de la justice et de la paix grâce aux outils toujours actuels de communication démocratique : alphabétiques et (inter)nautiques. Que ces Etats Généraux déclenchent donc une mobilisation sociale plus efficace, mieux concertée, digne enfin de l’Union Européenne.
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