Je soulignais la semaine dernière le caractère temporaire des décisions prises le 21 juillet dernier. Les avancées enregistrées, bien que porteuses d’espoir, ne pouvaient être efficaces qu’à court ou au mieux à moyen terme. La semaine qui vient de s’écouler a démontré le caractère trop optimiste de cette analyse. Il n’y a eu, en effet, qu’un effet d’annonce, caractérisé par un rebond temporaire des valeurs boursières et une baisse passagère des taux d’intérêt proposés aux Etats européens. Un plan qui ne s’est révélé efficace qu’à extrêmement court terme puisque ces effets ne se sont fait sentir que quelques jours. On est donc en droit de se demander pourquoi, quels sont les facteurs qui expliquent une telle évolution alors qu’un retour au calme semblait être en bonne voie ?
Nous faisons donc face aujourd’hui a une double contagion. Il y a tout d’abord une contagion entre les Etats européens : l’Italie et l’Espagne ont été très menacées cette semaine. Les deux chefs du gouvernement Jose Luis Zapatero et Silvio Berlusconi ont été contraints d’intervenir publiquement pour tenter de convaincre les investisseurs de la crédibilité des garanties apportées par leurs économies. Une nouvelle forme de contagion peut être aussi discernée allant du secteur public vers le secteur privé. Il semblerait que les difficultés des Etats se répercutent aujourd’hui sur le moral des investisseurs et contribuent à la dégradation de l’ensemble des valeurs boursières.
Une économie américaine en grande difficulté et des problèmes de délais
La rechute n’est pas seulement due aux faiblesses du plan de sauvetage mis en place il y a deux semaines. L’économie européenne s’inscrit ces derniers jours dans un contexte macroéconomique mondial extrêmement défavorable. Cette situation est en grande partie expliquée par les difficultés politiques que connaissent actuellement les Etats-Unis. Ce n’est qu’à la dernière minute que les autorités américaines ont réussi, en début de semaine dernière, à trouver un accord concernant leur budget.
Pendant plusieurs semaines l’ombre du défaut de paiement américain a plané dans l’esprit des investisseurs. Ces doutes persistants quant à la capacité des Etats-Unis à rembourser leurs dettes ont eu un facteur aggravant et font partie des éléments déclencheurs de la rechute européenne. Il faut y ajouter les perspectives déprimantes de l’économie Outre-Atlantique (avec à venir un nouveau cataclysme : la note triple A vient d’être revue à la baisse par l’agence de notation Standard and Poor’s). Ce contexte est par conséquent très peu favorable à une accalmie et n’a rien à voir avec les décisions prises à Bruxelles il y a deux semaines. Le répit aurait sans doute été plus long pour la zone euro si l’Amérique avait été dans une situation moins critique.
Les mesures annoncées au sein de l’euro zone devraient être efficaces, néanmoins il faut du temps pour que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) soit en mesure d’intervenir sur les marchés. Les décisions prises et incorporées dans le nouveau traité doivent être ratifiées successivement par les 16 pays de la zone euro. Il existe donc un délai de plusieurs mois entre la prise de décision et la mise en action réelle. Ce délai est structurel et n’a rien à voir avec la qualité ou un quelconque manque d’envergure de l’accord entre les dirigeants de la zone euro. L’impact de ce délai que l’on pourrait qualifier de ‘mise en application’ a été pris en compte par les responsables.
Nous pouvons saluer l’initiative du président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso qui a envoyé jeudi dernier une lettre à tous les dirigeants nationaux pour les presser de faire ratifier au plus vite les accords par leurs différents parlements. A l’image de la France, où le Parlement a été réuni en session extraordinaire pour procéder au vote entérinant les accords, tous les pays de la zone euro devraient avoir complété ce processus d’ici la mi-septembre. Encore une fois, les dirigeants européens font de leur mieux mais ce délai institutionnel structurel est une faiblesse handicapante et explique cette rechute rapide. L’Europe doit être plus réactive et son organisation institutionnelle ne le lui permet pas, il faut à tout prix que cela change. Cette lenteur apporte un soutien encore plus fort à l’idée d’intégration totale des politiques économiques au sein de la zone euro.
Des divisions une nouvelle fois exprimées publiquement, l’erreur du défaut partiel de la Grèce
L’article de la semaine passée (Crise de la dette européenne : un premier pas) pointait comme un des principaux facteurs d’accalmie l’unité affichée par les dirigeants de la zone autour du plan de sauvetage. Cette unité a malheureusement explosé au cours de la semaine qui vient de s’écouler. La division est née de l’interprétation des accords par les différents partenaires. Tandis que le ministre de l’économie allemande Wolfgang Schauble écrivait aux députés de la majorité conservatrice au Reichstag que le plan de sauvetage n’était pas un ‘chèque en blanc’ fait aux pays du Sud et que l’action du FESF serait soumise à un contrôle drastique des gouvernements européens, George Papandreou, premier ministre grec, parlait d’un début de mutualisation de dettes souveraines au sein de la zone euro. Une telle différence ne peut que créer la confusion pour les observateurs et susciter la méfiance. Lorsque l’Europe se divise publiquement comme cela a été le cas cette semaine, la menace renaît et l’un des points capitaux faisant la solidité de l’accord d’il y a deux semaines a tout simplement disparu.
Une fois de plus, cette division est liée à un problème d’ordre institutionnel et est le résultat d’une absence d’un vrai leadership chargé de défendre l’intérêt général européen. Il est naturel que pour des raisons de politique intérieure le gouvernement de Madame Merkel reste prudent et fasse une interprétation minimaliste du plan de sauvetage et du rôle du FESF – l’Allemagne sera le principal pays contributeur dans le cadre du financement du FESF. Néanmoins, dans l’intérêt général des pays de la zone euro, la déclaration de Monsieur Schauble fait désordre et était plus qu’inappropriée. Il est urgent de retrouver une unité de façade à court terme et de la solidifier dans le long terme en créant un gouvernement économique européen capable de contrer les divisions entre Etats.
L’inquiétude manifestée dans l’article de la semaine dernière s’est révélée, en revanche, exacte. La décision de permettre un défaut de l’Etat grec et une contribution du secteur privé a été une erreur et il serait bon que les chefs de gouvernement y reviennent. L’incertitude concernant les conditions de transformation des bonds grecs (augmentation de leur maturité et baisse de leurs rendements notamment) représente toujours la principale menace de contagion pour les Etats italien et espagnol. Une assurance totale de non-défaut aurait permis de calmer les angoisses.
Cette assurance aurait pu être apportée par des conditions de prêt plus favorable vis-à-vis du gouvernement grec de la part des partenaires européens (plus faible taux d’intérêt, délais de remboursement plus longs). Cette solution aurait représenté un effort plus important pour les Etats prêtant a la Grèce mais aurait renforcé la stabilité de la zone euro et nous aurait permis d’éviter en grande partie cette rechute. Une plus forte solidarité aurait été la bienvenue. La meilleure solution aurait encore été celle de la création des eurobonds, permettant de mutualiser les dettes publiques (voir article précèdent).
Les nouvelles divisions dont ont fait preuve les dirigeants de la zone euro ainsi que la décision de faire contribuer les investisseurs privés dans le remboursement de la dette grecque sont deux autres facteurs explicatifs de la rechute.
Quelles solutions apporter à court, moyen et long terme ?
Le dernier facteur pouvant justifier le retour des difficultés pour les pays de la zone euro reste le manque de crédibilité du FESF. Cette institution est excellente, si et seulement si elle dispose des moyens de réguler et résoudre efficacement les problèmes de la dette. Ce n’est pas le cas dans sa configuration actuelle et les marchés le savent. Le FESF ne dispose pas de moyens suffisants, comme le disent les analystes de la banque d’investissement Goldman Sachs, une somme de 440 milliards d’euros ne suffit pas à pallier à un défaut d’économies telles que l’Italie ou l’Espagne. C’est également le désordre institutionnel et, en particulier, la lenteur du FESF (dont toute intervention nécessite une décision prise à l’unanimité par les pays de la zone euro) qui expliquent le scepticisme des observateurs.
Voilà donc quelles pourraient être les solutions à privilégier par les leaders européens dans un contexte économique mondial extrêmement tendu lié à la dégradation de la note de crédibilité des bonds américains.
A court terme, les pays de la zone euro doivent d’abord impérativement prendre des mesures extrêmement rapides pour que le FESF soit à pied d’œuvre début septembre et que les décisions prises le 21 juillet dernier soient appliques le plus rapidement possible. Il faudrait ensuite exiger l’union sacrée entre les différents partenaires et éviter tout dérapage et différences d’interprétation entre les pays. Plus que jamais l’unité doit être la règle d’or au sein de la zone euro. La Commission européenne doit prendre ses responsabilités et définir une ligne directrice suivie par tous les partenaires, y compris les plus puissants comme l’Allemagne. Cette ligne devra aller dans le sens d’une solidarité sans failles entre les Etats du Sud et ceux du Nord et dans le sens de l’interprétation donnée par Monsieur Papandreou.
Enfin, la Banque centrale européenne (BCE), seule capable à court terme de calmer les marchés financiers, doit monter au créneau et racheter si besoin les actifs toxiques des banques de l’Europe méditerranéenne ainsi que leurs emprunts d’Etat, de manière a desserrer l’étau qui pèse sur eux. Jean-Claude Trichet a raison : son principal objectif reste le maintien de l’inflation, quoi qu’il en soit, il est le seul à pouvoir calmer la situation actuellement. Tant pis pour l’inflation qui augmentera sans doutes mais tout du moins la zone euro sera sauvée. Et puis cet interventionnisme ne sera que temporaire, la BCE n’aura à effectuer ces rachats que jusqu’ au moment où le FESF sera en mesure de prendre efficacement son relais.
A moyen terme, la priorité doit être de faire en sorte que le FESF soit réellement efficace. Il commencera à agir au mieux début septembre, mais ne sera pas, dans sa disposition actuelle, suffisamment crédible pour enrayer la crise. Il faudrait organiser de toute urgence une nouvelle réunion entre chefs d’Etats qui pourrait déboucher sur les conclusions suivantes : une augmentation des moyens mis à la disposition du FESF (assez pour pallier à un éventuel défaut de l’Italie ou de l’Espagne), une augmentation de l’indépendance dont joui le FESF vis-à-vis des Etats (mis sous contrôle direct de la Commission européenne par l’intermédiaire du Commissaire à l’Economie), enfin, un contrôle indirect des Etats par le FESF en passant à un vote d’intervention a la majorité qualifiée et non plus à la majorité absolue. Sous cette nouvelle configuration, le FESF devrait être en mesure d’assurer efficacement sa mission de ramener l’équilibre, enrayer la contagion et plus généralement prévenir de nouvelles crises des dettes souveraines.
A long terme, les chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que la Commission européenne et la Banque centrale doivent réfléchir à un nouveau système qui débouche sur une gouvernance économique européenne centralisée au sein de la zone euro. Le projet des eurobonds pourrait constituer une intéressante piste de réflexion sur le chemin de l’intégration. Cette gouvernance ne se fera pas, de toute évidence, avant 2012 et l’élection présidentielle française. Elle reste cependant urgente. Cette réflexion ne pourra aller sans une volonté de réforme profonde des institutions européennes qui font, chaque jour un peu plus, la preuve de leurs limites.
Il faut s’attendre à une semaine extrêmement difficile sur les marchés financiers avec probablement des taux d’intérêt au plus haut pour les pays d’Europe du Sud. Cependant, l’Europe n’en sera cette fois pas la principale responsable, il s’agira d’une réaction face à la dégradation du climat Outre-Atlantique. Il nous faut à tout prix rester optimistes, des solutions existent pour sortir de cette crise. Plus que jamais, le monde pousse l’Europe à se remettre en question et à se reformer, une intégration européenne efficace reste notre meilleur espoir.
1. Le 8 août 2011 à 16:52, par HERBINET En réponse à : Crise de la dette au sein de la zone euro : Les raisons d’une rechute, des solutions à mettre en œuvre
Si une notation n’a pas la vertu de l’évangile, Standart & Poor’s perturbe la finance mondiale. La France contrairement aux Etats-Unis détient toujours le triple A. Suite à la perte du triple A américain, le couple franco-allemand refuse de céder à l’affolement. L’Amérique dégradée suscite le désarroi de Washington. Washington se questionne sur les blocages politiques à l’origine de sa dérive budgétaire. En raison des craintes sur les marchés, le ralentissement économique est envisagé. Face à l’ampleur de la débâcle, la Banque Centrale Européenne présente des mesures, alors que les investisseurs manifestent une grande nervosité. La BCE n’a de cesse d’éteindre l’incendie en vain. Le tableau est si sombre que les Européens doutent de la capacité de l’Union européenne à assumer sa responsabilité politique et morale. Le fédéralisme est une marque, que ses architectes portent comme un serment de pureté. Dans notre vieille Europe, la crédibilité politique se réduit à l’aune de la dette grandissante. En réponse, les architectes fédéralistes rétorquent par une coordination macroéconomique, par une politique budgétaire commune et par l’émission d’euro-obligations. Selon Alain MINC : « Nous allons à marche forcée vers une gouvernance économique européenne ».
Lui rendre grâce, c’est unir nos différences. Enrichie de nos différences, l’acception fédérale doit trouver le chemin de la lumière. Etre témoin de l’idéal fédéraliste, c’est refuser l’argent comme un instrument de domination et de pouvoir, c’est renoncer à l’individualisme, c’est construire un rempart contre la mondialisation. Croire en la démocratie, c’est phagocyter le fondamentalisme. Toutefois une conversion est possible grâce au souffle créateur bâtissant un berceau pour la civilisation européenne. Si EUROPE est une déesse, elle n’est aucunement un être INVISIBLE.
Pierre-Franck HERBINET
2. Le 10 août 2011 à 14:18, par Aymeric En réponse à : Crise de la dette au sein de la zone euro : Les raisons d’une rechute, des solutions à mettre en œuvre
@ Daniel,
Que les finances américaines aillent mal n’est une bonne nouvelle pour personne, ni pour les classes moyennes étatsuniennes, qui devraient subir de plein fouet des réductions de certaines dépenses sociales, ni pour l’économie américaine (et donc mondiale) qui souffrira de la diminution de l’investissement public, ni plus généralement pour les partisans de la sécurité sociale, qui perdent un allié de poids avec la neutralisation d’Obama par les républicains.
La droite dure américaine tire globalement son épingle du jeu. Je vous rappelle que l’accord du Congrès mise exclusivement sur les réductions de dépense, et exclut expressément de revenir sur les exonérations fiscales en faveur des très très gros revenus.
Tout cela aura des répercussions sur notre économie, sur le chômage en Europe, et sur le rapport de force politique entre classes moyennes et grandes fortunes sur cette planète.
Les seuls pays, effectivement, à sortir grandis de cette crise sont les pays émergents, la Chine notamment, qui, en premier créancier des USA, peut désormais légitimement donner des leçons de gestion budgétaire au monde occidental. Non, il n’y a pas de « verre à moitié plein » dans cette histoire.
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