Crise de la dette souveraine : « Du Bon et du Mauvais gouvernement », d’après Sylvie Goulard (première partie)

« Le Mal Gobierno » de l’Europe

, par Sébastien Arz

Crise de la dette souveraine : « Du Bon et du Mauvais gouvernement », d'après Sylvie Goulard (première partie)

« Au-delà de la crise de la dette souveraine, comment gérer l’économie européenne ? Quel rôle pour la France et l’Allemagne ? » Dans le cadre du Comité d’études des relations franco-allemandes à l’IFRI, la députée européenne Sylvie Goulard dresse une analyse sans complaisance des carences de l’Europe intergouvernementale, autant au niveau de la méthode, peu démocratique, que de ses résultats.

La construction européenne connait la fin d’un cycle. Elle appelle d’urgence une réinvention. Pour ce faire, l’ancienne présidente du ME-F et rapporteur sur la surveillance budgétaire de la zone euro, s’interroge : où le bât blesse ? Quels sont les tenants et les aboutissants de ce « Mal Gobierno » depuis la création de l’euro ?

Comptes publics : de la « délinquance » des Etats-membres

L’Union économique et monétaire (UEM) souffre d’un vice de conception. Telle qu’elle figurait dans le Rapport Delors (1989), elle s’articulait entre un pouvoir monétaire centralisé et indépendant – la BCE –, et un pouvoir économique qui, compte tenu du contrat et de l’esprit du traité, ne pouvait revêtir qu’une forme : la coopération.

Cette coopération n’a pas eu lieu. Sur fond de « méthode ouverte de coordination », les gouvernements nationaux de plusieurs Etats membres (dont la France, encore en 2009, et l’Allemagne en 2003) ne se sont pas sentis liés, ni par leurs engagements de discipline budgétaire issues du Pacte de Stabilité et de Croissance, ni par les stratégies européennes destinées à accroître la compétitivité.

Parallèlement, des rapports objectifs accablants – rapport Pébereau : « Rompre avec la facilité de la dette publique (2005) » – pointaient les défaillances des Etats membres. Faut-il dès lors s’étonner de la frustration du grand argentier allemand ayant fait à l’Europe le don majeur de sa principale réalisation d’après-guerre – le Deutsche Mark ?

Crise de la dette souveraine et gestion de l’économie européenne - Intervention de Sylvie Goulard
Sylvie Goulard, députée européenne, membre de la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, rapporteur sur la surveillance budgétaire dans la zone euro, est intervenu à l’Ifri dans le cadre de la conférence "Au delà de la...
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De manière similaire, les dirigeants européens ont brillé par leur inaction face aux pertes de compétitivité (Stratégie de Lisbonne). A l’inverse, l’Allemagne s’est engagée sur le chemin des réformes dès le milieu des années 90 : le débat initié par Helmut Kohl sur la renaissance du « Standort Deutschland » (l’Allemagne en tant que site d’investissement) et les réformes Hartz IV sur l’indemnisation du chômage - bien que contestables sur le fond – décèlent une prise de conscience face à la funeste dérive de pays, à l’image de l’Italie et la France.

Pacte de stabilité et de croissance

La deuxième défaillance résulte du système de contrôle mutuel, pierre angulaire du Pacte de stabilité et de croissance. Son inefficacité incombe pour une part aux institutions communes. Si d’aucuns militent en faveur d’une interprétation plus souple des critères de convergence, encore faudrait-il des organes efficients capables de les apprécier.

Deux exemples l’attestent.

Tout d’abord, il n’est besoin de rappeler qu’en 2003, la Commission engagée dans une « procédure de déficit excessif » contre la France et l’Allemagne, fut contrainte de mener les deux plus grandes puissances d’Europe devant la Cour de Justice, après que les Ministres de l’Economie et des Finances (ECOFIN) eurent repoussés les mécanismes de sanctions prévus à leur endroit ?

La France a encore rejeté fin juin la demande du Parlement européen - soutenue par la BCE - que les alertes lancées par la Commission contre des Etats sur le point de violer le pacte de stabilité soient adoptées de manière automatique. Qui croirait pourtant à un code de la route où l’appréciation des infractions serait confiée à un conseil des automobilistes souverain plutôt qu’à des radars automatiques ?

Il s’agit d’une position récurrente de la France qui pose question au Parlement Européen : considère-t-on qu’une règle démocratiquement édictée s’applique de facto ou après renégociation ?

Deuxièmement, la révélation des statistiques fallacieuses de plusieurs pays européens – dont la Grèce – dictait un renforcement des pouvoirs de vérification d’Eurostat. Curieusement, des pays s’élevant aujourd’hui contre le « péril grec » - à commencer par l’Allemagne - ont opposé un refus catégorique à la Commission, par crainte d’un examen trop poussé de leur compte public. Le paradoxe est éclatant et assez rare pour être souligné.

Défaillance des marchés

Force est ensuite de reconnaître que les marchés n’ont pas endossé leur rôle. Lorsque l’euro a été porté sur les fonds baptismaux, toute transgression des règles budgétaires devait être assortie d’une sanction immédiate des marchés.

Or, à rebours des prédictions, l’introduction de l’euro a donné lieu à une compression immédiate des « spreads » (différentiel avec l’emprunt allemand à 10 ans) des pays européens. A la différence de l’outrance actuelle consistant à situer des pays de la zone euro à des niveaux de crédibilité inférieurs à certains pays d’Afrique !

Mme Goulard rend toutefois hommage au rôle catalyseur des agences de notations dans la prise de conscience politique.

Repli national

La juxtaposition de politiques nationales favorise la cacophonie. Elle ne règle pas les phénomènes économiques de spécialisation inhérents à une zone monétaire, que seules des politiques communes peuvent équilibrer.

Et à cet égard, le "franco-allemand" est en panne : la France sape la liberté de circulation (Schengen), ce qui dessert la mobilité du travail ; l’Allemagne opère seule des choix énergétiques majeurs. Les deux pays s’opposent farouchement à la mise en place d’un budget européen digne de ce nom ou encore à l’émission conjointe d’obligations (eurobonds), qui seraient pourtant bien plus efficaces que les rachats de titres sur le second marché.

Brochant sur le tout, l’Allemagne s’inscrit dans un débat suranné et revêt les habits de Mr. Jourdain en rejetant péremptoirement l’irrésistible marche vers l’« Union de transfert » : non seulement les transferts sont-ils nécessaires mais s’opèrent dans l’UE depuis 1957 ! Si l’érection de limites demeure compréhensible, il est temps de mettre un terme au rejet de principes façonnant notre quotidien.

Vous avez dit : « gestion de crise » ?

La conception d’un « euro pour beau temps » dépourvu de règle de management de crise constitue une erreur abyssale - qui plus est dans une communauté de droit !

Au « Yes We can ! » américain répondait un « Dürfen wir ?! » (« Avons-nous le droit ?! ») des Allemands, propice au dérapage et à l’impasse décisionnelle (Sylvie Goulard).

Paradoxalement, la seule règle édictée – la clause de « no bail-out » (art. 125 du Traité de Lisbonne) – a su aboutir à un criant paradoxe fin 2008 : le sauvetage du forint et de l’économie hongroise situé hors de la zone euro !

Le défi réside donc dans le passage d’un « gouvernement par la règle » à des politiques communes actives, selon Sylvie Goulard. Il implique le dépassement d’un schéma, qui depuis trop longtemps ne génère qu’immobilisme et défaut d’audace !

Au bord de l’abyme : des avancées historiques sans précédents

La litanie de maux actuels est fille des vices du « Mal Gobierno » des années précédentes. Cependant, nonobstant les cris d’orfraie des Cassandre actuels, il faut raison garder. Impossible n’est pas européen ! Il convient de prendre acte des progrès accomplis vers la sortie du Mal Gobierno.

Allemagne : « l’acceptation de l’inacceptable »

Reprocher à l’Allemagne son manque d’activisme serait peu rigoureux. La crise persistante de la dette en zone euro a poussé ses dirigeants à briser des tabous totalement inimaginables voici quelques années.

En prise à une opinion réticente, chauffée à blanc par le Bild-Zeitung, il n’était pas aisé pour Frau Merkel d’afficher récemment sa détermination à sauver l’euro. Alors que l’Europe était malmenée sur l’autel du populisme – où s’illustre l’ex-chef du patronat allemand - son courage politique est plus qu’honorable. A chaque étape, l’Allemagne a rechigné, publié des textes apocalyptiques, des responsables ont démissionné en cascade. Mais l’Allemagne a suivi, chose assez rare pour être soulignée.

Chemin faisant, l’Europe est désormais très loin de sa construction de départ : la clause de « no bail-out », qui avait cristallisé le débat allemand sur l’introduction de l’euro dans les années 90, a été balayé par la « force normative de la réalité », souligne Mme Goulard.

Parmi les avancées concrètes : la possibilité pour le fonds de secours européen (le FESF) d’acheter directement, à titre exceptionnel, les obligations des Etats de la zone euro en difficulté. Le premier plan de sauvetage de la Grèce par le Bundestag a été entériné le 8 septembre, et un mécanisme de sauvetage des pays endettés est né : le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui va devenir permanent et sera renforcé, une fois voté par les Parlements des pays membres fin septembre.

BCE : vouée aux gémonies, désormais acclamée

De son côté, la Banque centrale européenne est montée en puissance. Au-delà de la validité de ses décisions à court et moyen terme, il importe de souligner l’évolution significative de sa perception dans les pays du Sud. A son égard, la France a considérablement tempéré son jugement. Faut-il rappeler l‘époque où la BCE était honnie, notamment par la gauche française ?

Or, lors de l’audition extraordinaire du 29 août 2011 du Parlement Européen, l’Europe entière a acclamé les efforts énergiques et méritoires du Président de la Banque Centrale Européenne – Jean-Claude Trichet –, y compris les CDU (Union chrétienne-démocrate de la chancelière), excusant les propos du Président allemand Christian Wulff. Et J. Rostowski, ministre polonais des Finances de déclarer : « C’est JC Trichet qui a sauvé l’Europe ! ».

Face à l’hyper-rigidité de certains Allemands, la BCE a en effet jeté aux orties son orthodoxie qui lui interdisait d’acheter des obligations d’Etat. Cette nouvelle réputation de la BCE, forgée durant la crise, repose sur une fermeté et un mode d’action exemplaire de son Président. Il a été, selon Jacques Delors, « le plus européen de tous ».

Une coopération avancée à 17

De manière décisive, la chancelière s’est finalement résolue à accepter une forme de coopération plus avancée à Dix-sept, pierre d’achoppement majeur de la politique allemande depuis la création de l’euro.

En matière de réforme de l’Union monétaire, les propos de la députée résonnent comme un rappel à l’ordre : l’intergouvernementalisme commande un respect égal de la souveraineté de nos partenaires européens, à l’inverse de l’arrogante politique du « couple franco-allemand » dictée par le merkozysme.

La légitimation des décisions propres à la zone euro est en effet une question complexe méritant ample réflexion.

Pourtant, en dépit des progrès substantiels accomplis, les louanges chantées à la gloire de ces « grands européens » ne sont pas pléthores. Au contraire, les efforts consacrés en faveur du « Bon Gouvernement » se heurtent au scepticisme des populations et des marchés. Pourquoi ? (lire la suite de l’article)

Vos commentaires
  • Le 3 octobre 2011 à 14:15, par HERBINET En réponse à : Crise de la dette souveraine : « Du Bon et du Mauvais gouvernement », d’après Sylvie Goulard (première partie)

    Affaiblie par de multiples échecs économiques et politiques, désespérée par l’absence d’éthique dans la finance, desséchée par l’euroscepticisme ambiant, l’Europe, sous perfusion, se préoccupe de la spirale paralysante. S’assombrissant à l’aune de l’aggravation de la zone euro, les perspectives pour la croissance européenne s’effondrent malgré la recherche du point d’équilibre. Si de la léthargie devons-nous sortir, tout laisse à penser que l’Europe ne survivra qu’à la condition de se construire autour de l’axe franco-allemand. Entre apocalypse et chemin de croix, les Cassandre s’arc-boutent sur la négation du camp des europhiles pour se livrer à des batailles mortifères. Toutefois, rien n’émousse les grands architectes de l’Union européenne, puisqu’ à l’instar de - Mein Mädchen -, du G 20 et des Banques Centrales, n’ayons de cesse de bâtir l’Europe-puissance. L’Europe de l’énergie se passera du pétrole, du gaz et du nucléaire pour miser sur les ressources locales avec un financement local. L’Europe de l’égalité défendra la notion égalitaire. Si les citoyens sont égaux dès la naissance et pendant l’existence, humanisons alors la fin de vie. Oser proclamer que d’autres politiques sont possibles ! Le fédéralisme n’est aucunement la racine mais la matrice de l’Europe. Tout cycle ayant pour vocation de prendre fin, le fédéralisme conduira et construira le chemin de vie pour la communauté de destins.

    Pierre-Franck HERBINET

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