...Contrairement à la France, les régions fédérales belges, allemandes ou autrichiennes, sont, elles, en mesure d’appliquer une gouvernance privilégiant l’équilibre socio-spatial tout en se revendiquant de la politique mise en œuvre par l’Union, dont certains pointent le libéralisme excessif.
L’exemple de l’université montre que les régions fédérales peuvent représenter la structure idéale, à la fois égalitaire et dynamique, de l’Europe de demain. Mais le fait que l’approche territoriale et régionale, plébiscitée par la stratégie de Lisbonne et la nouvelle sociologie économique, soit, pour le moment, l’apanage du Conseil des ministres de l’Union plus que de la Commission, n’est pas sans poser certains problèmes.
En effet, le Conseil est une sorte de mise en abîme territoriale qui entrave la culture de l’interaction entre les différentes régions d’Europe. Face au Conseil, une Commission organisée sur un modèle régional et non plus thématique, permettrait d’apporter des réponses territoriales inédites aux questions sociales qui, en particulier dans une France globalisée, sont trop souvent ignorées.
Paris : une ville globale qui perturbe le territoire
La plupart des classements de villes internationaux [1] identifient la mégapole parisienne comme quatrième et dernière ville globale, après New York, Londres et Tokyo. De telles villes fonctionnent de manière dénationalisée en interaction les unes avec les autres (Sassen, 1996) [2]. En Europe, Paris et Londres devancent, de loin, toutes les autres grandes régions urbaines, en termes de productivité, de nombre d’habitants, de sièges d’entreprises, d’infrastructures etc.
Mais Paris est aussi la capitale hypertrophiée d’un Etat centralisateur. Une conséquence de cette double fonction de ville globale et de capitale politique est de générer une redondance dans la régulation, autrement dit de perturber l’interaction entre les composantes sociales, spatiales, économiques et politiques des territoires. On distingue deux mouvements concurrents :
– la régulation propre aux régions économiques et politiques françaises qui s’effectue en relation avec l’action de l’Etat sur l’espace national centralisé [3]
– et la régulation propre à la ville globale.
Cette dernière reste peu étudiée et apparaît confusément dans le discours politique et médiatique. Pourtant, la consolidation d’une super-région francilienne se développant autour de La Défense et du foyer parisien, est, sans aucun doute, l’enjeu le plus important de ces prochaines décennies en France et en Europe. A cette fin, universités, grandes écoles, monde de l’information et du renseignement, médias, publicité, banques, jusqu’au marché de l’art… doivent s’intégrer à la sphère productive pour créer un cercle vertueux de valeur ajoutée du travail, sans équivalence avec ce que nous connaissons à présent.
La confusion parisienne entre « capitale » et « globale », rend possible l’absorption prédatrice par la mégalopole de toutes les gouvernances, celles des régions provinciales à l’Etat lui-même, qui s’intègre, malgré lui, dans le processus de globalisation. Il en résulte une forme de régulation paradoxale, ultralibérale « aterritorialisée », efficace et spectaculaire. Sans limites, Paris déstructure l’espace national par une logique de conquête génératrice d’inégalités qui prive de plus en plus d’initiative les territoires politiques.
Deux exemples : sur le front d’extension de la mégalopole parisienne, La Défense, centre d’information et de décision mondialisé, fusionne progressivement avec l’université de Nanterre, dont l’enracinement social dans la Banlieue ouest tend à disparaître au profit de la seule intelligence économique. Dans cette même logique, le TGV, transformé en outil d’injustice, dissocie les territoires connectés à Paris, des espaces non desservis, rejetés à la marge, victimes de « l’effet tunnel » et de la suppression des liaisons interrégionales classiques, comme le soulignent les Jeunes Européens Lorraine [4].
Ce phénomène a pris une telle ampleur que l’on parle de rassembler statistiquement les trafics TGV et aérien, pour accroître la visibilité du rayonnement national et international de Paris. La nouvelle géographie française se décompose en un centre : Paris, une marge intégrée : la province à grande vitesse et une marge de la marge : la province à faible vitesse. Comme le souligne le géographe Guy Burgel [5], le paysage social se lisse de la même manière :
– une majorité passive, payée à le rester (RMI généralisé), ou pas payée du tout (études certes encore gratuites mais dans des filières ou des facs officiellement classées sans débouchés), le reste des actifs se partageant entre petits consommateurs sans valeur ajoutée (professeurs du secondaire, fonctionnaires, commerçants et artisans) ;
– une minorité active : professions à très hauts revenus, générant de la richesse pour tout le monde, nouveaux garants de la cohésion nationale et sociale.
La région fédérale contre la ville globale : un idéal communautaire
Dans l’esprit de la stratégie de Lisbonne et de la nouvelle sociologie économique, la région est de plus en plus comprise comme un « milieu innovateur construit au terme d’un processus d’apprentissage et de coopération » (Lévesque B, 2001, p99) [6] et participant à la célèbre formule de l’ « économie de la connaissance et du savoir ».
C’est aussi de cette manière que la ville globale fonctionne, sauf qu’elle ne génère pas de régions. Depuis Paris, l’Etat français s’efforce de limiter la globalisation générée dans les territoires vulnérables et a contrario de la diffuser dans les territoires mis en valeur. Structurellement différent, le fédéralisme européen est fondé sur un grand nombre de métropoles régionales autant complémentaires que concurrentes : dans l’Union, Paris et Londres hors catégorie, la moitié des villes de dimension mondiale obéissent à une logique fédéraliste [7] .
L’idée encore répandue que la France posséderait une très forte cohésion sociale par rapport aux autres Etats européens n’est plus opératoire dans la lecture territoriale que l’Union européenne contribue à véhiculer. Les régions fédérales accordent dans les faits, une grande attention à la justice sociale parce qu’elles sont territorialisées. Par exemple, dans les trois systèmes fédéraux d’Allemagne, d’Autriche et de Belgique, les universités font, toutes, preuve d’une grande autonomie tout en étant souvent gratuites d’accès et financées par les régions. En chemin vers l’autonomie, l’université française devient onéreuse et sélective, suivant un mode de développement « à l’anglaise ».
À une échelle mondiale, la France est la troisième destination européenne des étudiants internationaux (la première pour les étudiants africains) [8]. La majorité de ces étudiants s’expatrient pour trouver la qualité, le prestige et bien sûr la gratuité des formations. Ils feront sans doute le choix, dans un futur proche, de délaisser la France pour se répartir aléatoirement dans la mosaïque de cadres régionaux des Etats fédéraux offrant un fort dynamisme universitaire pour un coût modeste.
C’est-à-dire : Flandre, Wallonie, Bruxelles, les seize Länder allemands, et les neuf autrichiens… Soit vingt-huit Etats-régions différents, véritable maillage égalitaire et dynamique de la future Europe politique et culturelle qui émergera peut-être dans quelques décennies [9] . Même si on imagine mal, actuellement, toutes ces régions s’insérer dans des flux internationaux massifiés.
En effet, si l’on prend l’exemple des plus cosmopolites d’entre elles, Anvers, le port mondial, « capitale du diamant », abrite une des plus importantes communautés musulmanes d’Europe… mais, est aussi la ville de l’extrême droite xénophobe. De même, Vienne, ville mondiale émergente qui se revendique « porte de l’orient » peine à se séparer d’une notoire culture de l’exclusion. Mais que penser de Paris ou Londres qui polarisent l’ensemble des flux et soumettent, à mesure de leur développement, les « passagers » de la mondialisation, comme leurs propres citoyens, à une sélection de plus en plus draconienne ?
Changer le fonctionnement de l’Europe pour favoriser une gouvernance régionale
À l’instar de n’importe quel gouvernement, la Commission européenne est organisée de manière thématique (transport, entreprises, politique régionale, environnement… vingt-six en tout), chacun de ces domaines placé sous la responsabilité d’un commissaire. Une telle approche fait de la Commission la partie transversale d’une organisation verticale de l’Europe pavée d’Etats représentée par le Conseil des ministres de l’Union. Dans son exercice de gouvernance, ce dernier conserve les configurations spatiales existantes selon l’idée logique que, par exemple, le droit français correspond le mieux à une entreprise française, cette dernière étant la plus adaptée à la culture française…
Cette mise en abîme ne permet pas de faire profiter l’ensemble de la Communauté des spécificités territoriales des différents Etats membres. Afin de gérer Paris (et bien sûr Londres) en se fondant sur la spécificité de la relation entre social et territoire propre au système fédéraliste, nous pourrions envisager une Commission fondée sur la région plus que sur un ensemble de thèmes. Après tout, si la politique régionale est le deuxième budget communautaire (après la PAC), il convient d’en faire le prisme à partir duquel toute l’Union s’organise.
Le Commissaire, ainsi épargné par les enjeux nationaux (ou nationalistes), pourrait devenir responsable d’une aire géographique donnée. Une telle instance aurait alors la capacité de composer librement des groupes de territoires, en recherche constante d’interlocuteurs et de configurations satisfaisantes, dans le but d’optimiser la régulation régionale et donc également la justice sociale.
La capacité de gouverner l’Union européenne structurellement, par le territoire, serait une manière d’aller au-delà des Etats en les considérant comme des émanations socio-spatiales aléatoires dont la région fédérale représente la configuration la plus stable. Il en résulterait une interopérabilité entre les territoires qui apporterait des propositions novatrices dans la résolution des crises sociales, particulièrement dans une France peinant à s’adapter à une forme de globalisation, qu’elle contribue pourtant à générer, et qui gagnerait à s’intégrer dans une Europe régionalisée.
1. Le 8 avril 2009 à 13:09, par Jean-Jo En réponse à : De la ville globale aux régions fédérales
En somme, tu nous proposes une balkanisation de la Commission européenne ?=>Je suis volontairement provocateur.
La Commission est en charge de l’intérêt général (ou en tout cas devrait l’être), pas des intérêts régionaux. La politique régionale, qui est un des éléments de la politique de cohésion de l’Union européenne a pour but de rapprocher les écarts de niveaux de vie et/ou de compétitivité existants entre les régions.
Par ailleurs, « je bent student bij de Gent Universiteit, dus je weet de Belgische federatie, vaar ? », franchement, considères tu le système fédéral belge comme un modèle ? C’est un mic-mac absolu entre « région », « communauté linguistique », « province » et « commune ». D’ailleurs, la ville de Bruxelles souffre de cet enchevêtrement de structures politico-administratives.
Je vais être un peu plus provocateur (si-si), est ce que tu cherches par ce biais à nous vanter les mérites d’un « Grand Paris » (même si ce n’est pas le thème officiel de ton article) ?
Dans tous les cas, ton article a le mérite de poser la question du rôle de l’UE dans l’organisation de son territoire=> je suis tout à fait dispo pour en discuter de vive voix car le sujet est passionnant.
2. Le 9 avril 2009 à 06:42, par Martina Latina En réponse à : De la ville globale aux régions fédérales
Merci pour cet article novateur. J’aimerais abonder en son sens par une constatation familière : depuis la plus haute antiquité, de l’architecture à la musique en passant par l’artisanat et la poésie, les arts savent produire des chefs-d’oeuvre en articulant des éléments modulables. Moyennant quelques aménagements surtout urgents en France, les régions constituent aussi à mes yeux les éléments idéaux, car à la fois de taille humaine et démocratiquement souple, maniables et opérationnels, donc faciles à coordonner pour la construction de l’Union européenne. Comme un concert est création d’harmonie, la concertation devrait pouvoir moduler et harmoniser les atouts des régions avec leurs besoins pour approcher ensemble le bien commun. Il nous faudrait juste un cadre institutionnel plus favorable, du coeur à l’ouvrage, de l’engagement, du talent, et sans doute le désir de mieux porter notre nom d’aventure-qui-dure : EUROPE !
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