Déni turque ou malaise européen ?

, par Sandra Fernandes

Déni turque ou malaise européen ?

La Turquie, parlons-en mais recentrons le débat et cessons de spéculer ! La France s’est livrée à un débat passionnel et manichéen sur la question de l’adhésion de la Turquie, mais les débats, parfois trop subjectifs, ne font que tourner autour de problématiques mal formulées.

Il n’y a pas « d’exception turque » mais une exclusivité européenne en quête d’identité. La question n’est pas de savoir si la Turquie est européenne ou si elle se trouve dans l’enceinte des frontières de l’Europe. Si son adhésion était réellement souhaitée et tournait à notre avantage, on aurait trouvé de nombreuses justifications d’ordre historique, culturel, géographique, économique... qui aurait authentifié l’européanité de la Turquie. La situation étant l’inverse, on tend à la stigmatiser et à s’y référer de manière plutôt craintive en renforçant ainsi un sentiment de peur, vraisemblablement infondé du côté turc. Osons le dire ouvertement, la controverse turque repose essentiellement sur l’Islam, grossièrement assimilé en France à l’ombre du terrorisme religieux et à l’insécurité. Cet amalgame prévaut sur son passé chrétien, son appartenance au monde occidental, qu’elle revendique et dont sa politique étrangère témoigne, sur ses efforts en matière de réformes et d’avancées politiques internes, économiques et culturelles et sur sa volonté indubitable de faire partie intégrante de l’UE.

Il faut dire que personne ne communique et n’informe vraiment à ce sujet et que l’opinion publique se fonde sur les clichés, sur la position des médias nationaux et des intellectuels avertis pour se prononcer. Les citoyens européens méconnaissent leurs voisins turcs, ou du moins ils ne les connaissent que partiellement, par le biais de l’immigration, générant ainsi une vision souvent déformée par une grille de lecture biaisée, reposant sur des critères essentiellement sociaux-économiques ; l’ignorance mène souvent à un refus de l’Autre, inconnu et étranger. Il n’est donc pas question de l’européanité de la Turquie mais du fameux « choc des civilisations ». Pourtant le paramètre religieux ne pourrait définir à lui seul le phénomène de civilisation. Plus que de la laïcité, c’est l’hypothétique adhésion d’un pays musulman, démocratique et pacifique qui est inédite et donc incertaine. Avec l’élargissement à la Turquie, c’est la communauté de destin qui vacille et une remise en question du dessein de l’Union Européenne dans son ensemble.

Toute cette controverse autour de la Turquie ne reflète en fait qu’une crise endogène. Nous sommes en pleine construction européenne et ce projet politique ambitieux n’est pas encore bien défini ; le cas de la Turquie en a révélé les limites. Dotée d’une diversité culturelle inter-nationale inhérente au continent européen et d’une diversité multiculturelle extra-européenne, l’Europe n’a pas encore su définir l’identité européenne et résoudre ce genre d’ambivalence. Pourtant, une telle initiative permettrait d’améliorer à la fois des problèmes d’intégration au niveau national mais amènerait également l’émergence d’une conscience commune. Logique nationale oblige, une réelle cohésion politique transnationale, européenne, n’est pas encore constatée et dans ce sens la Turquie pose également un problème. Elle parviendrait au podium des trois grands, rejoignant la Grande Bretagne et l’Allemagne, de part sa superficie et sa démographie. Si l’Union européenne était par définition européenne et non pas inter-nationale, les idéologies politiques l’emporteraient sur les intérêts nationaux.

En France on opte plutôt pour garder une certaine cohérence, franchir les étapes pas à pas et ne pas mettre en péril l’ensemble du projet européen, ce qui est louable. Mais si l’Europe savait pertinemment où ce projet la menait, elle cesserait loyalement d’ajourner les négociations d’adhésion avec la Turquie. L’entrée de la Turquie est perçue comme une sorte de « suicide européen ». Effectivement, d’un point de vue économique et financier, l’UE ne pourrait supporter l’adhésion d’un nouveau pays à court terme. Le même constat se fait au regard de la Roumanie et de la Bulgarie. Mais si nous nous plaçons du point de vue des valeurs, justement, la Turquie pourrait apporter un nouveau souffle à l’Europe en accord avec l’esprit du temps. Ces « protestants de l’Islam » pourraient réconcilier l’Europe avec le présent et l’engagerait vers une réelle perspective d’avenir en commun.

Précisons que cet article - republié ce jour - a initialement été publié dans nos colonnes en date du 22 mars 2005. Et c’est bien en ayant en mémoire le contexte de l’époque qu’il doit être attentivement relu...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie prise, le 16 janvier 2004, à Istambul (à l’occasion de l’ouverture d’un centre d’information de l’Union européenne) en présence de Romano Prodi, alors président de la Commission européenne (à gauche) et d’Abdullah Gül, ministre turc des Affaires étrangères (à droite).

Crédit © Communauté européenne, 2005

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